Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 mai 2020, Mme C..., représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Bordeaux du 16 janvier 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté précité du 16 décembre 2019 par lequel la préfète de la Gironde a décidé de son transfert aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde de lui délivrer, dans le délai de 8 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, une autorisation provisoire de séjour renouvelable le temps de ses démarches d'admission au statut de réfugié, ou, subsidiairement, de réexaminer sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, au profit de son conseil, la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de renonciation dudit conseil au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
- l'arrêté de transfert viole l'article L. 11-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 5 du règlement Dublin III ; en effet, elle a été privée de la garantie que constitue la présence physique d'un interprète, et alors que l'administration ne justifie pas de la nécessité du recours à un interprète par téléphone ;
- il viole l'article 17 du même règlement ; la préfète n'a pas usé de son pouvoir d'appréciation et du pouvoir dérogatoire qu'elle tient de cet article ; en effet, elle est dans une situation de grande vulnérabilité, ayant échappé à un réseau de prostitution et alors que son retour en Italie présente de sérieux risques qu'elle soit de nouveau entraînée dans ce réseau dès lors que l'Italie présente un risque systémique et n'est pas en mesure d'assurer la protection des personnes victimes de traite humaine.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 juin 2020, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- Mme C... a été déclarée en fuite depuis le 13 février 2020 ;
- les moyens qu'elle soulève ne sont pas fondés.
Par une décision en date du 9 avril 2020, l'aide juridictionnelle totale a été accordée à Mme C....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement européen (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dit " règlement Dublin III " ;
- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... C..., ressortissante nigériane, née en 1995, a déclaré être entrée en France irrégulièrement le 24 juillet 2019 et s'est présentée à la préfecture de la Gironde le 5 août 2019 afin d'y déposer une demande d'asile. Le relevé de ses empreintes décadactylaires ayant révélé qu'elle avait précédemment introduit une demande similaire en Italie le 18 juillet 2017, les autorités de cet Etat ont été saisies le 3 octobre 2019 d'une demande de prise en charge sur le fondement de l'article 18-1 du règlement UE n°604-2013. Cette demande a été acceptée par une décision explicite du 17 octobre 2019. Par un arrêté du 16 décembre 2019, la préfète de la Gironde a ordonné le transfert de Mme C... aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile. L'intéressée ayant été déclaré en fuite le 13 février 2020, le délai de transfert, qui expirait normalement le 16 juillet 2020, a été prolongé de 18 mois à compter de la date du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux du 16 janvier 2020 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté précité, soit jusqu'au 16 juillet 2021. Mme C... relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger " et de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...). 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. L'État membre veille à ce que le demandeur et/ou le conseil juridique ou un autre conseiller qui représente le demandeur ait accès en temps utile au résumé. ".
3. Comme l'a relevé le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux, il ressort des pièces du dossier, que Mme C... a été reçue en entretien individuel conformément à l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013, le 5 août 2019, avant l'édiction de la décision de transfert, entretien au cours duquel elle a pu présenter tous les éléments utiles à l'appui de sa demande d'asile et qu'elle a bénéficié tout au long de la procédure, ainsi que le permettent les dispositions précitées, de l'assistance téléphonique d'un interprète en langue anglaise, qu'elle a déclarée comprendre, appartenant à l'organisme d'interprétariat ISM Interprétariat, titulaire de l'agrément prévu par les mêmes dispositions du code de l'entrée et séjour des étrangers et du droit d'asile. Mme C... ne saurait utilement se prévaloir de ce que les services de l'interprète ont été fournis par téléphone, comme le permettent les dispositions de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sans que le préfet n'en justifie la nécessité, dès lors que les modalités techniques du déroulement de l'entretien ne l'ont pas privée de la garantie liée au bénéfice d'un interprète, la seule circonstance de la forme téléphonique de son assistance n'étant pas de nature à avoir méconnu le respect de la confidentialité ni porté atteinte aux garanties prévues par les dispositions précitées du règlement européen. Dans ces conditions, la requérante, qui a reconnu, en fin du compte-rendu d'entretien, qu'elle a signé, avoir compris les informations qui lui avaient été communiquées dans le cadre de la procédure, ne fait état d'aucun élément, ni d'aucune circonstance particulière tenant au déroulement de cet entretien, de nature à démontrer que celui-ci aurait été mené en l'absence des garanties prévues par les dispositions précitées ou que les conditions de sa conduite auraient été susceptibles d'exercer une influence sur le sens de la décision prise à son encontre. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du 4 de l'article 5 du règlement n° 604/2013 doit être écarté.
4. En second lieu, en vertu de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (...) ". Si la mise en oeuvre, par les autorités françaises, des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 doit être assurée à la lumière des exigences définies par les dispositions du second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, en vertu desquelles les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif, la faculté laissée à chaque État membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
5. En application du principe qui vient d'être énoncé, il appartient au juge administratif de rechercher si, à la date de l'arrêté contesté, au vu de la situation générale du dispositif d'accueil des demandeurs d'asile en Italie et de la situation particulière de Mme C..., il existait des motifs sérieux et avérés de croire qu'en cas de remise aux autorités italiennes, elle ne bénéficierait pas d'un examen effectif de sa demande d'asile ou risquerait de subir des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales justifiant la mise en oeuvre de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
6. Mme C... fait valoir que les autorités italiennes sont confrontées à de grandes difficultés pour traiter les demandes d'asiles, dans un contexte politique particulier, et seraient dans l'impossibilité de prendre en charge de façon satisfaisante les personnes vulnérables, en particulier celles qui, comme elle, sont des victimes de réseaux de traite humaine, et qu'ainsi, elle encourrait le risque d'être à nouveau entraînée dans un réseau de prostitution en cas de retour en Italie. Toutefois, comme l'a déjà relevé le magistrat désigné par le président du tribunal administratif, l'Italie est un Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de ces deux conventions internationales. Si cette présomption est réfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant, Mme C... n'établit pas, par la production de documents d'ordre général, notamment de l'extrait d'un rapport de l'Organisation Suisse d'Aide aux Réfugiés (OSAR) de janvier 2020, l'existence de défaillances en Italie qui constitueraient des motifs sérieux et avérés de croire que sa demande d'asile ne serait pas traitée par les autorités italiennes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
7. Ainsi, les circonstances invoquées par Mme C..., tenant à ce qu'elle aurait fui un réseau de prostitution et à l'existence de défaillances systémiques dans les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie s'agissant de personnes victimes de la traite humaine comme elle dit l'être, ne permettent pas d'établir qu'en s'abstenant de mettre en oeuvre la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, le préfet de la Haute-Garonne aurait commis une erreur manifeste d'appréciation.
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Le présent arrêt rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par Mme C.... Par suite, ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent être accueillies.
Sur les conclusions au titre des articles 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme dont Mme C... demande le versement à son conseil sur ces fondements.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 19 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
Mme Karine Butéri, président-assesseur,
Mme D..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 16 novembre 2020.
Le rapporteur,
D...Le président,
Pierre Larroumec
Le greffier,
Cindy VirinLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX01498