Par une requête, enregistrée le 7 mai 2020, Mme B..., représentée par Me Trebesses, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 30 janvier 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 13 décembre 2019 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 80 euros par jour de retard, ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation dans les mêmes conditions de délais et d'astreinte, et de lui délivrer dans cette attente un récépissé autorisant le séjour et le travail ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- l'arrêté en litige est insuffisamment motivé et est entaché d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- il a été pris aux termes d'une procédure irrégulière en ce que le défaut d'information, lors de son audition, sur les droits qu'elle tenait des dispositions des articles R. 316-1 et R. 316-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'a privée du délai de réflexion ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elle est engagée dans un parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle ;
- il méconnaît les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la préfète s'est crue à tort liée par les décisions de l'OFPRA et de la CNDA.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 juillet 2020, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Elle s'en remet au mémoire déposé en première instance.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 16 avril 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code pénal ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Birsen Sarac-Deleigne ;
- et les conclusions de Mme Sylvande Perdu, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante nigériane, née le 13 mars 1991, est entrée en France au mois de novembre 2012 selon ses déclarations. Le 29 novembre 2013, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande d'asile. La Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a confirmé ce rejet par décision du 7 novembre 2014. Par arrêté du 5 février 2015, le préfet de police a pris à son encontre une première décision portant obligation de quitter le territoire français. Sa demande de réexamen a été déclarée irrecevable par décision de l'OFPRA du 19 juillet 2018, confirmée par la CNDA le 18 mars 2019. Le 13 décembre 2019, après une seconde demande de réexamen de sa demande d'asile, la préfète de la Gironde a pris un nouvel arrêté par lequel elle a indiqué que " l'attestation de demande d'asile n'est pas délivrée ", lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme B... relève appel du jugement du 30 janvier 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté, lequel, contrairement à ce que soutient la requérante, ne comporte pas de refus de titre de séjour.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours :
2. Aux termes de l'article R. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le service de police ou de gendarmerie qui dispose d'éléments permettant de considérer qu'un étranger, victime d'une des infractions constitutives de la traite des êtres humains ou du proxénétisme prévues et réprimées par les articles 225-4-1 à 225-4-6 et 225-5 à 225-10 du code pénal, est susceptible de porter plainte contre les auteurs de cette infraction ou de témoigner dans une procédure pénale contre une personne poursuivie pour une infraction identique, l'informe : 1° De la possibilité d'admission au séjour et du droit à l'exercice d'une activité professionnelle qui lui sont ouverts par l'article L. 316-1 ; / 2° Des mesures d'accueil, d'hébergement et de protection prévues à la section 2 du présent chapitre ; / 3° Des droits mentionnés à l'article 53-1 du code de procédure pénale, notamment de la possibilité d'obtenir une aide juridique pour faire valoir ses droits. / Le service de police ou de gendarmerie informe également l'étranger qu'il peut bénéficier d'un délai de réflexion de trente jours, dans les conditions prévues à l'article R. 316-2 du présent code, pour choisir de bénéficier ou non de la possibilité d'admission au séjour mentionnée au deuxième alinéa. / Ces informations sont données dans une langue que l'étranger comprend et dans des conditions de confidentialité permettant de le mettre en confiance et d'assurer sa protection. ". Aux termes de l'article R. 316-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pendant le délai de réflexion, aucune mesure d'éloignement ne peut être prise à l'encontre de l'étranger en application de l'article L. 511-1, ni exécutée. ". Les dispositions précitées de l'article R. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile chargent les services de police d'une mission d'information, à titre conservatoire et préalablement à toute qualification pénale, des victimes potentielles de faits de traite d'êtres humains. Ainsi, lorsque ces services ont des motifs raisonnables de considérer que l'étranger pourrait être reconnu victime de tels faits, il leur appartient d'informer ce dernier de ses droits en application de ces dispositions. En l'absence d'une telle information, l'étranger est fondé à se prévaloir du délai de réflexion pendant lequel aucune mesure d'éloignement ne peut être prise ni exécutée, notamment dans l'hypothèse où il a effectivement porté plainte par la suite.
3. Il ressort des mentions du procès-verbal d'audition de Mme B... par les services de police de Grenoble en date du 13 mars 2019 qu'elle a déposé une plainte contre X en vue de permettre l'identification de la personne l'ayant contrainte à se livrer à la prostitution depuis son arrivée sur le territoire français en 2012. La requérante a alors déclaré avoir été contrainte de se livrer à cette activité en raison de son engagement auprès d'une personne prénommée " Johnson " à rembourser un prêt contracté dans le cadre du serment du " juju " sous peine de représailles. Elle a identifié au cours de cette audition une personne à qui elle aurait remis de l'argent destiné à son proxénète. Elle a indiqué avoir cessé de se prostituer pour le compte de cette personne depuis 2018. Dans ces conditions, il appartenait aux services de police, dès lors qu'ils disposaient d'éléments permettant raisonnablement de considérer que l'intéressée était victime de faits de proxénétisme au sens des dispositions précitées du 2° de l'article 225-5 du code pénal, de l'informer de façon suffisamment précise des droits qu'elle tenait des dispositions de l'article R. 316-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ce qui n'a pas été fait en l'espèce. La méconnaissance de cette obligation a privé Mme B... de l'ouverture du délai de réflexion prévue à l'article R. 316-2 précité ainsi que de l'information selon laquelle elle était susceptible de bénéficier d'une éventuelle admission au séjour et du droit d'exercer une activité professionnelle en application de l'article L. 316-1 du même code. Par suite, Mme B... ayant été privée d'une garantie, l'arrêté du 13 décembre 2019 par lequel la préfète de la Gironde l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours ainsi que, par voie de conséquence, la décision du même jour fixant le pays de renvoi, doivent être annulés.
4. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
5. L'annulation prononcée par le présent arrêt, qui concerne l'obligation de quitter le territoire français implique, conformément aux dispositions de l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que la préfète de Gironde réexamine la situation de Mme B... et la mette en possession d'une autorisation provisoire de séjour. Dès lors, il y a lieu d'enjoindre à la préfète de procéder à ce réexamen et de prendre, en application de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, une nouvelle décision dans un délai qu'il y a lieu de fixer à trois mois suivant la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte. Dès lors que le moyen retenu ci-dessus, seul fondé, ne concerne que l'obligation de quitter le territoire et non un refus de délivrance de titre de séjour qui aurait été opposé à l'intéressée, celle-ci n'est pas fondée à demander qu'il soit enjoint au préfet de lui délivrer un titre de séjour.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
6. Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Trebesses, avocat de Mme B..., d'une somme de 1 200 euros, ce versement entrainant renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1906151 du 30 janvier 2020 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 13 décembre 2019 portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de renvoi pris à l'encontre de Mme B... est annulé.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète de la Gironde de procéder au réexamen de la situation de Mme B... et de prendre une nouvelle décision dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Article 4 : L'Etat versera à Me Trebesses une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... G... B..., à Me Trebesses, au ministre de l'intérieur et à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 13 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Birsen Sarac-Deleigne, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 novembre 2020.
Le rapporteur,
Birsen Sarac-DeleigneLe président,
Elisabeth JayatLe greffier,
Virginie Marty
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX01549