Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistré sous le n° 16BX00728 le 19 février 2016 et un mémoire enregistré le 26 juillet 2016, le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 29 décembre 2015 du tribunal administratif de la Guadeloupe ;
2°) de rejeter la demande de la Société d'éolienne caribéenne.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier ; en effet, le tribunal aurait dû fixer une nouvelle audience dès lors qu'il a communiqué après l'audience du 16 décembre 2015 le mémoire en réplique de la société ; le jugement qui a pris en compte ce nouveau mémoire non communiqué, est intervenu sans que le principe du contradictoire ait été respecté ;
- la demande de première instance était irrecevable dès lors que la société a demandé l'annulation partielle d'une décision indivisible ; la société n'a présenté aucune conclusion tendant à l'annulation de la décision fixant la liste des lauréats dans le délai de deux mois suivant la notification du courrier l'informant du rejet de son offre ; les premiers juges ont statué au-delà des conclusions qui leur étaient présentées ;
- les premiers juges ont entaché leur jugement d'erreur de droit en se fondant sur le code des marchés publics pour annuler les décisions contestées alors que l'appel d'offres a été passé sur le fondement de l'article L. 311-10 du code de l'énergie et du décret n° 2002-1434 du 4 décembre 2002 ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, les prétentions indemnitaires de la société ont été contestées ;
- quand bien même le montant du préjudice n'aurait pas été contesté, les premiers juges ont méconnu leur office en ne procédant pas à l'évaluation du préjudice invoqué ;
- la perte invoquée d'un avantage fiscal est sans lien avec la décision contestée dès lors que l'attribution de l'appel d'offres ne permet aux lauréats que de bénéficier d'une autorisation d'exploiter et non de bénéficier d'un avantage fiscal ; la société aurait pu mettre en oeuvre son projet et bénéficier de l'avantage fiscal sans être titulaire de l'appel d'offres ;
- au surplus, la perte d'un avantage fiscal, à la supposer établie, doit être déterminée au regard des bénéfices réalisés ; un avantage fiscal à venir ne peut financer le projet ab initio ; le document de la BPCE qui a été produit ne peut donc servir de base pour déterminer la perte alléguée ; la perte alléguée de cet avantage ne saurait constituer un manque à gagner ;
- la société aurait pu demander à bénéficier du tarif d'achat d'énergie prévu par l'arrêté du 8 mars 2013 ;
- le préjudice n'est donc ni certain ni établi ;
- il renvoie à son mémoire de première instance s'agissant des autres moyens soulevés par la société.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 8 juillet 2016 et 29 août 2016, et une note en délibéré enregistrée le 26 septembre 2016, la Société d'éolienne caribéenne, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le mémoire en réplique présenté devant le tribunal a bien été communiqué au ministre avant l'audience ; le ministre a eu le temps de répondre à ce mémoire ; le ministre n'a répondu que le 25 septembre 2015 à la demande qui avait été introduite le 19 octobre 2012 et le tribunal avait déjà à plusieurs reprises reporté la tenue de l'audience à sa demande ; le ministre n'a jamais signalé qu'il n'avait pas reçu ce mémoire ; le tribunal a visé la note en délibéré du ministre ; rien dans cette note ne justifiait de la soumettre au débat contradictoire alors qu'une bonne administration de la justice impose de juger dans un délai raisonnable ; le jugement n'est donc pas irrégulier ;
- la décision contestée lui a été notifiée avec l'indication que cette décision pouvait faire l'objet d'un recours dans le délai de deux mois ; elle s'est conformée à cette indication ; il ne lui a jamais été indiqué qu'elle pouvait contester la liste des lauréats dans son intégralité ; au demeurant cette liste n'a pas été publiée ; l'avis de la Commission de régulation de l'énergie, publié, ne lie pas le ministre ; la décision désignant les lauréats n'est pas une décision indivisible ; sa demande n'était pas tardive ; en tout état de cause, en admettant que ses conclusions en annulation seraient irrecevables, cette irrecevabilité ne ferait pas obstacle à la réparation de son préjudice ;
- il n'est pas démontré que l'appréciation du tribunal aurait été différente s'il s'était fondé sur les textes applicables au litige ; le ministre devait respecter le cahier des charges diffusé par la Commission de régulation de l'énergie et notamment son article 5 ; en examinant la notation de l'offre au regard des critères énoncés dans le cahier des charges, le tribunal n'a pas commis d'erreur de droit et a pu retenir trois erreurs manifestes d'appréciation ;
- le tribunal a pu se fonder sur les éléments qui étaient produits par la société en les estimant suffisamment probants quant à l'évaluation du préjudice ; au surplus, le ministre n'a pas contesté l'évaluation proposée par la société ; il ne peut se prévaloir d'une contestation contenue dans sa note en délibéré ; il n'est pas établi que le tribunal n'aurait pas procédé à la vérification des pièces produites ;
- l'attribution de l'appel d'offres lui aurait permis de bénéficier du dispositif prévu par l'article 199 undecies B du code général des impôts ; le plan de financement qu'elle a présenté comptabilisait donc cet avantage au titre des ressources ; elle peut prétendre à la différence entre l'avantage qu'elle escomptait et celui qui résulte de la modification ultérieure du dispositif fiscal, du fait du retard qu'elle a subi dans l'attribution de l'appel d'offres ; le candidat évincé qui avait une chance sérieuse de remporter l'appel d'offres peut prétendre à l'indemnisation de la perte des bénéfices escomptés ;
- l'aide fiscale qui a succédé au dispositif escompté est un mécanisme de crédit d'impôt mis en oeuvre en moyenne deux ans après la mise en service de l'installation ; elle doit donc recourir à un crédit-relais dont les frais s'élèvent à au moins 571 200 euros ;
- si le ministre soutient qu'elle aurait pu bénéficier du dispositif " guichet ouvert ", il n'établit pas que ce dispositif aurait été plus avantageux que le bénéfice du tarif d'achat proposé dans son offre, accompagné de la réduction d'impôt alors en vigueur ;
- elle renvoie à ses écritures de première instance quant aux autres moyens soulevés.
II. Par une requête enregistrée sous le n° 16BX00729 le 19 février 2016 et un mémoire enregistré le 26 juillet 2016, le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement susvisé du 29 décembre 2015 du tribunal administratif de la Guadeloupe en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative.
Il se réfère aux écritures présentées dans l'instance au fond.
Par des mémoires en défense enregistrés les 8 juillet 2016, 27 juillet 2016 et 29 août 2016, la Société d'éolienne caribéenne, représentée par Me C..., conclut dans le dernier état de ses écritures au non lieu à statuer sur les conclusions à fins de sursis à exécution du jugement et à la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient les mêmes moyens que ceux exposés dans l'instance au fond ; elle soutient, en outre, que le jugement a été exécuté et que les conclusions à fins de sursis à exécution ont donc perdu leur raison d'être.
Par un arrêt n° 16BX00728, 16BX00729 du 18 octobre 2016, la cour a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions du ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer à fins de sursis à exécution du jugement du 29 décembre 2015 du tribunal administratif de la Guadeloupe, a annulé ce jugement et a rejeté la demande présentée par la Société d'éolienne caribéenne devant le tribunal administratif.
Par une décision n° 406968 du 14 décembre 2018, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé les articles 2 et 3 de l'arrêt de la cour et a renvoyé l'affaire, dans cette mesure, à la cour.
Par un mémoire enregistré le 26 mai 2019, la Société d'éolienne caribéenne, représentée par Me C..., confirme ses précédentes conclusions.
Par ordonnance du 27 mai 2019, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 24 juin 2019 à 12 heures.
Un mémoire enregistré le 1er octobre 2019 après la clôture de l'instruction a été présenté par le ministre de la transition écologique et solidaire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'énergie ;
- le code de l'environnement ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général des impôts ;
- le code de l'urbanisme ;
- le décret n° 2002-1434 du 4 décembre 2002 relatif à la procédure d'appel d'offres pour les installations de production d'électricité ;
- l'arrêté interministériel du 17 février 1989 fixant des mesures de protection des oiseaux représentés dans le département de la Guadeloupe ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E... B...,
- les conclusions de Mme Sylvande Perdu, rapporteur public,
- et les observations de Me A... D..., représentant la Société d'éolienne caribéenne.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis publié au Journal officiel de l'Union européenne du 9 novembre 2010, le ministre chargé de l'énergie a, en application des dispositions des articles L. 311-10 et suivants du code de l'énergie, engagé une procédure d'appel d'offres portant sur la réalisation et l'exploitation d'installations terrestres de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent pour une puissance maximale de 95 MW répartis en cinq tranches géographiques. La tranche n° 1 de l'appel d'offres portait sur l'attribution de trois projets au plus pour une puissance maximale cumulée de 20 MW pour le département de la Guadeloupe et les collectivités de Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Par courrier du 26 mars 2012, la société a été informée que son offre concernant le projet " Ferme Deschamps ", situé en Guadeloupe, n'était pas retenue. Elle a formé contre cette décision, le 27 avril 2012, un recours gracieux qui a été rejeté le 16 mai 2012. Elle a également adressé au ministre, le 11 juin 2012, une réclamation préalable tendant à la réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait du rejet de sa candidature, qu'elle évaluait à 17,358 millions d'euros. Elle a saisi le tribunal administratif de la Guadeloupe d'une demande tendant à l'annulation de la décision du 26 mars 2012 et de la décision rejetant son recours gracieux et à la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice lié au rejet de sa candidature. A la suite du désistement de plusieurs lauréats, en cours de première instance, la société requérante a été déclarée lauréate le 4 juin 2015 et a alors ramené ses prétentions indemnitaires à 4 641 200 euros. Par jugement du 29 décembre 2015, le tribunal administratif de La Guadeloupe a fait droit à ses conclusions. Par arrêt du 18 octobre 2016, la cour a constaté dans l'article 1er de son arrêt qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions du ministre chargé de l'énergie tendant au sursis à exécution de ce jugement, a annulé ce jugement par l'article 2 de son arrêt et a rejeté la demande de la Société d'éolienne caribéenne par l'article 3 de l'arrêt. Saisi d'un pourvoi de la société, le Conseil d'Etat, par décision du 14 décembre 2018, a annulé les articles 2 et 3 de l'arrêt de la cour et a renvoyé, dans cette mesure, l'affaire à la cour.
Sur la recevabilité des conclusions en annulation des décisions des 26 mars 2012 et 16 mai 2012 :
2. Aux termes de l'article L. 311-10 du code de l'énergie dans sa version applicable en l'espèce : " Lorsque les capacités de production ne répondent pas aux objectifs de la programmation pluriannuelle des investissements, notamment ceux concernant les techniques de production et la localisation géographique des installations, l'autorité administrative peut recourir à la procédure d'appel d'offres. Les critères mentionnés à l'article L. 311-5 servent à l'élaboration du cahier des charges de l'appel d'offres (...) ". En application de l'article L. 311-11 du même code, l'autorité administrative désigne le ou les candidats retenus et délivre les autorisations prévues à l'article L. 311-5 dans des conditions fixées par voie réglementaire. L'article L. 311-12 de ce code alors applicable dispose que : " Lorsqu'elles ne sont pas retenues à l'issue de l'appel d'offres, Electricité de France et, si les installations de production sont raccordées aux réseaux de distribution dans leur zone de desserte, les entreprises locales de distribution chargées de la fourniture sont tenues de conclure, dans les conditions fixées par l'appel d'offres, un contrat d'achat de l'électricité avec le candidat retenu, en tenant compte du résultat de l'appel d'offres (...) ".
3. Pour arrêter, après appel d'offres, la liste des candidats qui auront vocation à obtenir l'autorisation d'exploiter prévue à l'article L. 311-5 du code de l'énergie ainsi qu'un contrat d'achat de l'énergie produite, l'administration doit se fonder sur une appréciation de la valeur des offres de l'ensemble des candidats au regard des critères retenus. En l'espèce, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la tranche n° 1 pour laquelle la société requérante avait présenté une candidature ne pouvait donner lieu qu'à trois projets au plus. La décision arrêtant la liste des trois candidats retenus présente ainsi un caractère indivisible. Il résulte de ses écritures que la Société d'éolienne caribéenne n'a entendu demander l'annulation de cette décision qu'en tant qu'elle a écarté sa propre candidature. Ces conclusions étaient, par suite, irrecevables et, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement sur le litige d'excès de pouvoir, le ministre est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal y a fait droit.
Sur le litige indemnitaire :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
4. Si le mémoire présenté par la Société d'éolienne caribéenne le 24 septembre 2015 a été communiqué par courrier simple du même jour au ministre chargé de l'énergie, il ne résulte pas de l'instruction que ce courrier du 24 septembre 2015 ait été reçu par le ministre. Ce mémoire a été reçu par le ministre le 17 décembre 2015, à la suite d'une demande de sa part, après l'audience qui s'est tenue le 16 décembre 2015. Alors même que ce n'est qu'après l'audience que le ministre a déclaré ne pas avoir reçu ce mémoire, lequel contenait des éléments nouveaux concernant l'évaluation du préjudice invoqué non repris dans le mémoire ultérieur enregistré le 9 octobre 2015, et sur lequel le tribunal s'est appuyé pour rendre son jugement du 29 décembre 2015, et alors même que la tenue de l'audience avait déjà été reportée à plusieurs reprises en l'absence de production en défense durant trois ans, ce jugement ne peut être regardé comme ayant été rendu dans le respect du caractère contradictoire de la procédure. Par suite, le ministre est fondé pour ce motif à en demander l'annulation en tant qu'il statue sur les conclusions indemnitaires de la Société d'éolienne caribéenne.
5. Il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions en réparation présentées par la Société d'éolienne caribéenne.
En ce qui concerne le fait générateur invoqué :
6. Le paragraphe 5.1 du cahier des charges prévoyait que les candidats se verraient attribuer une note sur 30 décomposée en quatre critères, le critère " prix d'achat " étant noté sur 15, le critère " évaluation des impacts environnementaux " étant noté sur 5, le critère " délai de réalisation " étant également noté sur 5 et le critère " amélioration de la production électrique " étant aussi noté sur 5. Selon le paragraphe 5.3 de ce cahier des charges, l'évaluation des impacts environnementaux était décomposée en cinq sous-critères notés chacun sur un point, dont le sous-critère " respect de la faune " et le sous-critère " absence de conflit d'usage dans l'utilisation des sols " et le paragraphe 4.3 prévoyait que cette évaluation serait faite sur la base d'un dossier préliminaire d'évaluation des impacts environnementaux soumis préalablement au préfet de région par le candidat, le préfet devant rendre un avis motivé favorable, neutre, réservé ou défavorable sur l'installation, transmis à la Commission de régulation de l'énergie. Selon le paragraphe 5.4, l'évaluation du délai de réalisation était également décomposée en cinq sous-critères notés chacun sur un point, dont le critère " niveau de maîtrise foncière ". Et selon le paragraphe 5.5 la note de l'amélioration de la production électrique devait être composée de deux sous-notes, évaluées, respectivement, sur 4 et sur 1, relatives d'une part, à la mise à disposition de dispositifs de stockage dépassant les conditions minimales prévues à l'annexe 3 du cahier des charges et d'autre part, aux efforts en termes de recherche et développement, évalués à partir d'une note spécifique fournie par le candidat.
7. Il résulte de l'instruction que la Société d'éolienne caribéenne a obtenu 7,57 sur 15 pour le critère prix, 3 sur 5 pour le critère évaluation des impacts environnementaux, dont 0 pour les sous-critères " respect de la faune " et " absence de conflit d'usage dans l'utilisation des sols ", 2,46 sur 5 pour le critère " délai de réalisation ", dont 0 pour le sous-critère " niveau de maîtrise foncière " et 0 sur 5 pour le critère " amélioration de la production électrique ", soit un total de 13,03 sur 30. Elle soutient que les notes de 0 obtenues pour les critères ou sous-critères rappelés ci-dessus traduisent une erreur manifeste dans l'appréciation de la valeur de son offre.
8. S'agissant du sous-critère " respect de la faune ", il résulte de l'instruction, et notamment de l'étude préliminaire des impacts sur l'environnement fournie par la société à l'appui de sa candidature que la présence de dix espèces nicheuses et sédentaires du peuplement aviaire a été mis en évidence sur le site du projet et que neuf de ces espèces sont protégées au titre de l'arrêté interministériel du 17 février 1989 qui en interdit notamment la destruction. Il résulte également de cette étude que le site choisi par la société présente une sensibilité écologique générale moyenne à forte et que les travaux d'installation d'un parc éolien dans le secteur choisi risquent d'engendrer une disparition des sites d'accueil pour la faune et peut avoir pour effet un dérangement entraînant un départ provisoire ou définitif. Toutefois, il résulte également de l'instruction et notamment de cette étude que les espèces avifaunistiques protégées présentes sur le site ne sont pas inscrites sur une liste d'espèces menacées ou sensibles et l'étude fournie par la société ajoute sans que le ministre n'apporte sur ce point de contestation utile que les risques de mortalité de ces oiseaux nicheurs est très faible dès lors qu'ils se déplacent à faible hauteur et que le projet, en améliorant la couverture herbacée du site, aura un impact positif pour certaines espèces dont la nourriture composée d'insectes sera favorisée. Si le ministre fait valoir que la société requérante n'est pas en mesure de certifier de l'absence de chiroptères sur la zone du projet, il résulte des stipulations du 4.3 du cahier des charges que l'offre devait être appréciée au regard du seul dossier d'évaluation préliminaire des impacts environnementaux disponibles au moment de la candidature et des pré-diagnostics environnementaux menés si nécessaire pour le compte du maître d'ouvrage et il n'est pas sérieusement contesté qu'en l'état des données existantes lors du dépôt de l'offre, l'aire d'étude n'abritait aucun gîte de chiroptères ainsi que le mentionne l'étude fournie par la société qui cite la " Contribution à l'étude des chiroptères " de la direction régionale de l'environnement. Dans ces conditions, en attribuant à l'offre de la Société d'éolienne caribéenne une note nulle sur ce sous-critère que le préfet de la Guadeloupe (direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement) avait d'ailleurs proposé de fixer à 0,500 sur 0,714, le ministre a entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de l'offre au regard de ce sous-critère.
9. S'agissant du sous-critère " absence de conflit d'usage dans l'utilisation des sols ", contrairement à ce que soutient le ministre, la zone NC du plan d'occupation des sols de la commune d'Anse-Bertrand, dans laquelle se situe le projet, n'interdit pas l'implantation d'éoliennes mais prévoit seulement que ces installations feront l'objet d'une étude d'impact paysager et d'une enquête publique afin d'éviter les nuisances pour les habitations voisines. Si le ministre soutient également que le projet serait incompatible avec le schéma d'aménagement régional de la Guadeloupe, il n'apporte aucun élément permettant de corroborer cette incompatibilité. Par suite, en attribuant la note de 0 à l'offre de la société sur ce sous-critère que le préfet avait au demeurant proposé d'évaluer à 0,536 sur 0,714, le ministre a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.
10. S'agissant du sous-critère " niveau de maîtrise foncière ", la société a justifié du " degré de maîtrise foncière du terrain " d'assiette du projet en produisant à l'appui de son dossier de candidature une délibération de la commission permanente du conseil général de la Guadeloupe autorisant le président du conseil général à signer un bail emphytéotique de 25 ans avec elle portant sur des parcelles précisément identifiées. Alors même que la société, au stade de sa candidature, n'a pas produit de bail signé avec le département, elle est fondée à soutenir que la décision contestée est entachée sur ce point d'erreur manifeste d'appréciation.
11. S'agissant, en revanche, du critère " amélioration de la production électrique ", la société ne conteste pas ne pas avoir proposé de dispositifs de stockage dépassant les conditions minimales prévues à l'annexe 3 du cahier des charges. Quant aux efforts en termes de recherche et développement, elle s'est bornée à produire des documents attestant de l'engagement du constructeur des éoliennes dans des démarches de recherche et développement et une convention du 18 mai 2011 conclue entre le laboratoire de recherche en géosciences et énergie de l'université des Antilles et de la Guyane, Electricité de France et elle-même pour la fourniture d'informations sur le fonctionnement du parc éolien projeté dans le cadre de l'appel d'offres, qui ne traduisent pas d'engagements de sa part dans des actions de recherche et développement. Dans ces circonstances, en lui attribuant une note nulle sur le critère concernant l'amélioration de la production électrique, l'administration n'a pas entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation.
12. Il résulte de ce qui précède que la décision attaquée est entachée d'erreur manifeste quant à l'appréciation de l'offre de la Société d'éolienne caribéenne au regard de trois des sous-critères prévus par le cahier des charges. Cette illégalité fautive est de nature à engager la responsabilité de l'Etat vis-à-vis de la société.
En ce qui concerne le préjudice :
13. Dès lors que la société intimée a obtenu une note inférieure de seulement 0,56 points à celle obtenue par le candidat retenu ayant obtenu la moins bonne note, elle est fondée à soutenir que l'illégalité commise lui a fait perdre une chance sérieuse d'être retenue dès l'attribution de l'appel d'offres en 2012.
14. La société intimée évalue son préjudice à la somme de 4 641 200 euros correspondant, d'une part, à la perte du bénéfice de l'avantage fiscal prévu par l'article 199 undecies B du code général des impôts et, d'autre part, aux frais du prêt-relais qu'elle dit être dans l'obligation de contracter pour démarrer son projet sans avoir pu bénéficier de cet avantage fiscal.
15. Il résulte de l'instruction que si elle avait été retenue en 2012, la société aurait pu solliciter le bénéfice du dispositif de réduction d'impôt prévu par l'article 199 undecies B du code général des impôts en faveur des investissements productifs neufs réalisés notamment dans les départements d'outre-mer dans le secteur de la production d'énergie renouvelable, égale à 45,9 % de l'investissement, et pratiquée au titre de l'année au cours de laquelle l'investissement est réalisé. Il résulte également de l'instruction qu'après la réforme du régime de ces investissements lorsqu'ils sont réalisés par des sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés, issue de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013, la société ne pouvait plus prétendre qu'au crédit d'impôt prévu par l'article 244 quater W du même code, d'un montant inférieur, et accordé au titre de l'année au cours de laquelle l'investissement est mis en service. Toutefois, le préjudice résultant pour la société de la modification du dispositif de l'avantage fiscal en faveur des investissements productifs neufs réalisés notamment dans les départements d'outre-mer entre l'année 2012 et la date à laquelle son projet a été retenu n'est pas la conséquence directe de la décision fautive prise sur l'appréciation de son offre mais résulte des modifications intervenues dans le régime de cet avantage fiscal.
16. Par ailleurs, si la société soutient n'avoir d'autre choix que de contracter un prêt-relais, l'avantage fiscal auquel elle pouvait prétendre en 2015, lorsqu'elle a finalement été admise à mettre en oeuvre son projet, n'étant pas attribué lors de la réalisation de l'investissement mais seulement lors de sa mise en service, elle se borne à produire la proposition d'un organisme bancaire concernant un tel prêt mais n'établit pas avoir contracté un prêt-relais. Le préjudice invoqué lié aux frais d'un prêt-relais ne peut, par suite, être regardé comme certain.
17. Il résulte de ce qui précède que la Société d'éolienne caribéenne n'est pas fondée à demander la condamnation de l'Etat à réparer les préjudices qu'elle invoque.
Sur les frais liés à l'instance :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme que demande la société intimée au titre des frais d'instance exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 29 décembre 2015 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la Société d'éolienne caribéenne devant le tribunal administratif de la Guadeloupe est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la transition écologique et solidaire et à la Société d'éolienne caribéenne.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2019 à laquelle siégeaient :
Mme E... B..., président,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 29 octobre 2019.
Le président-assesseur,
Frédéric Faïck
Le président-rapporteur,
Elisabeth B...Le greffier,
Virginie Marty
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX04350