Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 janvier 2019, M. E..., représenté par
Me Benoit-Palaysi, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 6 décembre 2018 du tribunal administratif de Toulouse ;
2°) d'annuler la décision du 14 avril 2016 de l'inspecteur du travail autorisant son employeur à procéder à son licenciement pour motif économique, ainsi que la décision implicite du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social portant rejet de son recours hiérarchique formé à l'encontre de cette décision ;
3°) de mettre à la charge de la société Atelier Proto Production (APP) la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la cessation d'activité de la société est due à la légèreté blâmable de l'employeur, ce que devait contrôler l'inspectrice du travail ;
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que les sociétés Lisi Aerospace, Figeac Aero et Safran étaient représentatives du secteur d'activité du groupe Nexteam, et les désigner pour comparer la compétitivité de Nexteam ;
- la société APP n'a pas respecté ses obligations en matière de reclassement dès lors que les propositions de reclassement n'ont pas été en adéquation avec ses compétences et sa qualification ainsi que son niveau de rémunération.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 mai 2019, la société Atelier Proto Production, représentée par Me Ogez, SELASU SO Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de Monsieur E... la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 27 octobre 2020 le ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.
Il réitère ses observations formulées en première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac,
- les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public,
- et les observations de Me Vuez, représentant la société Atelier Proto Production.
Considérant ce qui suit :
1. Monsieur C... E... a été recruté par contrat à durée indéterminée le
16 août 2005, en qualité de responsable section tournage au sein de l'Atelier Proto Production (APP), société spécialisée dans la fabrication de prototypes dans les domaines de l'aéronautique, du spatial et de l'automobile. Il est délégué du personnel depuis le
28 novembre 2013. Le 1er avril 2014, APP a été rachetée par le groupe Nexteam, implanté dans le Sud-Ouest avec un effectif de 500 salariés. A la suite de difficultés économiques et de l'échec d'un projet de reprise, les dirigeants de la société APP ont procédé à sa fermeture au cours de l'année 2015. Le 17 décembre 2015, l'inspectrice du travail, saisie d'une demande d'autorisation de licencier M. E..., a pris une décision de refus, confirmée implicitement par le ministre du travail. Cependant, l'inspectrice du travail a accordé à l'entreprise APP l'autorisation de procéder au licenciement de M. E... pour le motif tiré de la cessation d'activité de la société le 14 avril 2016. Le ministre du travail a opposé un rejet implicite du recours hiérarchique formé par le salarié à l'encontre de cette décision de l'inspectrice du travail. M. E... relève appel du jugement du 6 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux dernières décisions.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Il ressort des termes mêmes de la décision du 14 avril 2016 de l'inspectrice du travail de la Haute-Garonne, que celle-ci s'est fondée, pour estimer établi le motif économique de licenciement de M. E..., sur la seule cessation totale et définitive d'activité de la société APP.
3. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande d'autorisation de licenciement présentée par l'employeur est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié. A ce titre, lorsque la demande est fondée sur la cessation d'activité de l'entreprise, celle-ci n'a pas à être justifiée par l'existence de mutations technologiques, de difficultés économiques ou de menaces pesant sur la compétitivité de l'entreprise. Il appartient alors à l'autorité administrative de contrôler, outre le respect des exigences procédurales légales et des garanties conventionnelles, que la cessation d'activité de l'entreprise est totale et définitive, que l'employeur a satisfait, le cas échéant, à l'obligation de reclassement prévue par le code du travail et que la demande ne présente pas de caractère discriminatoire. Il ne lui appartient pas, en revanche, de rechercher si cette cessation d'activité est due à la faute ou à la légèreté blâmable de l'employeur, sans que sa décision fasse obstacle à ce que le salarié, s'il s'y estime fondé, mette en cause devant les juridictions compétentes la responsabilité de l'employeur en demandant réparation des préjudices que lui auraient causé cette faute ou légèreté blâmable dans l'exécution du contrat de travail.
4. En premier lieu, M. E... persiste à soutenir que l'inspecteur du travail a commis une erreur de droit en omettant de vérifier que le groupe Nexteam n'avait pas lui-même organisé la faillite de la société APP au profit de la société Gentilin, autre filiale du groupe, en privant la société APP de ses moyens de production matériels et humains. Cependant, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que s'il appartenait à l'inspecteur du travail de vérifier que la cessation d'activité de la société APP était totale et définitive, il ne lui appartenait pas, en revanche, de contrôler si cette cessation d'activité était justifiée et ainsi d'en rechercher l'origine, et à ce titre il ne lui appartenait pas de rechercher si la cessation d'activité était due à la faute ou à la légèreté blâmable de l'employeur. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier, notamment des éléments transmis par le groupe à l'administration au soutien de sa demande d'autorisation, que depuis l'année 2014, la société Gentilin a injecté des avances de trésoreries à la société APP afin de lui permettre de procéder au paiement des salaires, des fournisseurs et des charges sociales, a procédé à la mise à disposition, à titre gratuit, de personnel et lui a fourni du travail en sous-traitance afin de relancer son activité. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'erreur de droit doit être écarté.
5. En deuxième lieu, M. E... fait valoir que l'administration a commis une erreur de droit en comparant la compétitivité du groupe Nexteam avec celles des sociétés
Lisi Aerospace, Figeac Aero et Safran. M. E... n'apportant en appel aucun élément nouveau à l'appui de ce moyen, il y a lieu d'adopter le motif par lequel les premiers juges ont considéré qu'alors même que ces sociétés employaient un nombre plus important de salariés, elles oeuvraient dans le même secteur d'activité et que par suite, l'inspecteur du travail avait pu, sans commettre d'erreur de droit, comparer le groupe Nexteam à ces sociétés pour apprécier la menace pesant sur sa compétitivité du fait de la société APP.
6. En dernier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L.1233-4 du code du travail : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel ". Aux termes du troisième alinéa du même article : " Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure ".
7. Il résulte de ces dispositions que, pour apprécier si l'employeur a satisfait à l'obligation de reclassement qui lui incombe avant de procéder à un licenciement économique, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de vérifier que la société a cherché à reclasser le salarié sur un autre emploi équivalent. A défaut d'emploi équivalent disponible dans la société ou, le cas échéant, le groupe, il appartient à l'employeur, en application des dispositions législatives précitées, de rechercher à le reclasser sur un emploi d'une catégorie inférieure.
8. Au titre de son obligation de reclassement, l'employeur doit s'efforcer de proposer au salarié des offres de reclassement écrites, précises et personnalisées, portant, si possible, sur un emploi équivalent. Si, pour juger de la réalité des efforts de reclassement de l'employeur, l'inspecteur du travail peut tenir compte de la volonté exprimée par le salarié, l'expression de cette volonté, lorsqu'il s'agit d'un reclassement sur le territoire national, ne peut néanmoins être prise en compte qu'après que des propositions de reclassement écrites, précises et personnalisées ont été effectivement exprimées, et à condition que l'information du salarié soit complète et exacte. Le contexte d'une cessation totale d'activité de l'entreprise ne dispense pas l'employeur de l'obligation qu'il a de rechercher des offres personnalisées de reclassement pour le salarié.
9. Il ressort des pièces du dossier que M. E... occupait, au sein de la société APP, le poste de " responsable section tournage " pour un salaire de 4 538,29 euros brut mensuel et bénéficiait d'un statut d'agent de maîtrise niveau 5 échelon 3. Il est constant, ainsi que l'a fait valoir sans être contredit, le groupe Nexteam dans sa demande d'autorisation de licenciement, que l'activité d'APP, consistant en la réalisation du tournage de prototypes, n'est exercée par aucune autre filiale du groupe. Ainsi, l'employeur de M. E... lui a adressé quinze propositions personnalisées de reclassement sur des postes variés. Il ressort de ces propositions qu'un seul de ces quinze postes, celui de " leader d'îlot FNR " sur un statut d'agent de maîtrise niveau 5 échelon 2, aurait permis à M. E... de conserver une rémunération équivalente à celle qu'il percevait au sein de la société APP, alors que les quatorze autres offres de reclassement auraient conduit M. E... à exercer un poste de qualification et de rémunération inférieures. M. E... fait tout d'abord valoir que son employeur n'aurait pas satisfait à l'obligation de reclassement, dès lors que l'essentiel des postes qui lui ont ainsi été proposés ne concernaient pas des emplois équivalents à celui qu'il occupait. Cependant, dans le contexte de la fermeture du site, la société APP soutient sans être utilement contredite, qu'au vu de la pénurie d'emplois correspondant aux qualifications de l'intéressé, de telles offres étaient les seules disponibles. Au demeurant, il ressort également des pièces du dossier que l'employeur de M. E... s'était engagé à procéder au maintien provisoire de son ancienne rémunération ainsi qu'à l'allocation d'une indemnité dégressive. Si le requérant fait encore valoir qu'il a refusé ces propositions au motif qu'il a exercé le métier de tourneur pendant trente-six années et qu'il n'est donc pas qualifié pour exercer l'un des postes proposés, il est toutefois constant, d'une part, qu'un poste de tourneur sur le site MPSUD lui a été offert, et d'autre part, que la circonstance qu'une formation professionnelle permettant au salarié de s'adapter à ses nouvelles fonctions était nécessaire ne pouvait justifier que l'employeur s'abstînt de les lui proposer, en l'absence, ainsi qu'il a été dit, de poste équivalent à l'ancien poste de M. E.... Dans ces conditions, et alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que d'autres postes vacants au sein du groupe Nexteam et susceptibles d'être occupés par M. E... ne lui auraient pas été proposés, l'inspectrice du travail de la Haute-Garonne n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que la société avait formulé des propositions de reclassement suffisamment sérieuses et avait ainsi satisfait à son obligation de reclassement.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 14 avril 2016 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement pour motif économique et de la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique par le ministre en charge du travail.
Sur les frais de l'instance :
11. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la société APP présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. C... E..., à la société Atelier Proto Production (A.P.P.) et au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 14 décembre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Dominique Naves, président,
Mme Karine Butéri, présidente-assesseure,
Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 janvier 2021.
Le président,
Dominique Naves
La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 19BX00241 2