Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés le 17 août 2018, le 18 décembre 2018 et le 12 août 2019, la caisse guadeloupéenne de retraites par répartition, représentée par
Me G..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de La Guadeloupe du
19 juin 2018 ;
2°) d'annuler la décision du 15 novembre 2016 par laquelle l'inspectrice du travail a refusé l'autorisation de licencier Mme A..., ensemble la décision implicite de rejet du
17 mai 2017 puis la décision explicite du 6 septembre 2017 par lesquelles le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a rejeté son recours hiérarchique ;
3°) de mettre à la charge des intimés la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'inspectrice du travail n'a pas respecté le principe du contradictoire de l'enquête dès lors qu'elle a seulement annexé à sa décision, et donc communiqué, des attestations anonymes de salariés selon lesquelles " deux salariés de l'entreprise ont également ont eu à rayer des éléments de l'avenant à leur contrat de travail sans que leur soit reproché un fait fautif " sans chercher à consulter les avenants correspondants pour vérifier tant les dires de ces salariés que la teneur des éléments rayés ;
- elle n'a pas davantage eu accès à des pièces susceptibles de corroborer les attestations de trois salariés indiquant qu'elles auraient bénéficié d'une réduction de leur temps de travail sans perte de salaire à la suite d'un congé maternité ;
- aucune information sur son droit d'accès à ces pièces ne lui a été communiquée ;
- elle n'a pas été entendue dans le cadre de l'enquête contradictoire, l'inspectrice du travail ayant refusé de reporter la date de sa première audition prévue à une date trop proche de sa convocation ;
- le ministre du travail a entaché sa décision du 6 septembre 2017 d'erreur de droit dès lors qu'il s'est fondé sur des dispositions du code du travail qui n'étaient pas encore en vigueur ;
- en méconnaissance de l'article R. 2421-2 du code du travail, l'inspectrice du travail n'a entamé la procédure contradictoire que le 8 novembre 2016, soit au-delà du délai de
15 jours dont elle disposait ; l'enquête a été bâclée en ce qu'elle a refusé de reporter la date de sa première audition fixée au 8 novembre 2016 et qu'elle a reçu les derniers documents volumineux le 14 novembre 2016 soit la veille de sa décision ;
- tous les faits justifiant le comportement fautif de la salariée n'ont pas été pris en compte par l'inspectrice du travail ;
- l'inspectrice du travail n'a pas davantage tenu compte des faits nouveaux portés à sa connaissance dans un courrier du 14 novembre 2016 tirés ce que Mme A... exerçait une activité parallèle sans en avoir informé son employeur ;
- les faits reprochés à Mme A..., caractérisés par un refus persistant d'une modification de ses conditions de travail, une volonté d'imposer ses propres conditions de travail et de nuire à son employeur, un refus de se soumettre aux obligations de confidentialité, un harcèlement de sa direction, des faits d'injures et de séquestration, justifient une mesure de licenciement ;
- ces faits n'avaient jamais auparavant été sanctionnés.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 novembre 2018, Mme A..., représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la caisse guadeloupéenne de retraites par répartition de la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative ainsi que des entiers dépens.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par la caisse guadeloupéenne de retraites par répartition n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D... B... ;
- et les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Après avoir été embauchée en qualité d'employée par contrat à durée déterminée le 27 mars 2007, Mme A... a été recrutée le 27 août 2008 par contrat à durée indéterminée en qualité de conseillère en clientèle au sein de la caisse guadeloupéenne de retraites par répartition (CGRR). Titulaire des mandats de représentant du personnel au comité d'hygiène et de sécurité et de conseiller du salarié, elle a reçu le 13 février 2015 une convocation en vue d'un entretien préalable à son licenciement prévu le 10 mars 2015. Le comité d'établissement réuni le 19 mars 2015 a émis un vote défavorable à l'unanimité au licenciement de
Mme A.... La direction des entreprises, de la concurrence, du travail et de l'emploi de La Guadeloupe a été saisie le 25 mars 2015 d'une demande de licenciement pour motif disciplinaire. Par une décision du 21 mai 2015, l'inspectrice du travail a refusé d'autoriser le licenciement de Mme A.... Le recours hiérarchique exercé par la CGRR à l'encontre de cette décision a été implicitement rejeté par une décision du ministre du travail. Par un jugement du 15 septembre 2016, le tribunal administratif de La Guadeloupe a annulé ces deux dernières décisions et a enjoint à l'inspectrice du travail de procéder à une nouvelle instruction de la demande de la CGRR. Par une décision en date du
15 novembre 2016, l'inspectrice du travail a de nouveau refusé d'autoriser le licenciement de Mme A.... Le recours hiérarchique exercé par la CGRR a été rejetée par une décision implicite née le 17 mai 2017 du silence gardé par le ministre du travail puis par une décision expresse en date du 6 septembre 2017. Par un jugement du 19 juin 2018, le tribunal administratif de La Guadeloupe a rejeté les demandes de la CGRR tendant à l'annulation des décisions des 15 novembre 2016 et 6 septembre 2017 qui s'est substituée à celle du
17 mai 2017. La CGRR relève appel de ce jugement.
Sur la légalité de la décision de l'inspectrice du travail :
2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
En ce qui concerne la régularité de la procédure :
3. En premier lieu, en application de l'article R. 2421-4 du code du travail, l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé " procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat ". Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément à ces dispositions impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, de mettre à même l'employeur et le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des éléments déterminants qu'il a pu recueillir, y compris des témoignages, et qui sont de nature à établir ou non la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation. Toutefois, lorsque la communication de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui les ont communiqués, l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé et l'employeur, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur.
4. D'une part, la CGRR soutient que le principe du caractère contradictoire de l'enquête n'a pas été respecté par l'inspectrice du travail qui s'est bornée à communiquer des attestations anonymisées de salariés exposant, pour deux d'entre eux, avoir rayé des mentions sur leur avenant à leur contrat de travail sans que leur soit reproché un fait fautif et, pour trois d'entre eux, avoir bénéficié d'une réduction de leur temps de travail sans perte de salaire à la suite d'un congé maternité. Toutefois, alors qu'il est constant que l'employeur a été informé le 9 novembre 2016 de la teneur des différentes attestations qui ont revêtu un caractère déterminant, l'employeur n'établit ni même n'allègue avoir sollicité en vain la communication des avenants dont il n'est pas davantage établi que l'inspectrice du travail n'aurait pu les consulter pour vérifier tant les dires des salariés que le contenu des mentions rayées.
5. D'autre part, la CGRR soutient que la procédure a été viciée compte tenu du délai très court que l'inspectrice du travail, qui a refusé de reporter la date de sa première audition, lui a laissé entre cette dernière et le courrier de convocation. Toutefois, et ainsi que les premiers juges l'ont justement mentionné, il ressort des pièces du dossier que la CGRR a été avertie par courrier du 27 octobre 2016 de ce que sa première audition dans le cadre de l'enquête contradictoire était fixée à la date du 8 novembre 2016, ce qui constitue un délai suffisant. En outre, si le directeur de la CGRR n'était pas présent lors de cette audition, il était représenté par le responsable ressources qualité de la caisse qui a pu formuler des observations dont l'inspectrice du travail a tenu compte. Il ne ressort des pièces du dossier ni que l'inspectrice du travail a " bâclé " l'enquête contradictoire organisée dans un délai trop contraint ni qu'elle n'a pas disposé du temps nécessaire pour consulter les pièces même volumineuses transmises par l'employeur.
6. Il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance du caractère contradictoire de l'enquête doit être écarté dans toutes ses branches.
7. En second lieu, aux termes de l'article R. 2421-4 du code du travail : " (...) L'inspecteur du travail prend sa décision dans un délai de quinze jours, réduit à huit jours en cas de mise à pied. Ce délai court à compter de la réception de la demande d'autorisation de licenciement. Il n'est prolongé que si les nécessités de l'enquête le justifient. L'inspecteur informe les destinataires mentionnés à l'article R. 2421-5 de la prolongation du délai. ".
8. Ainsi qu'il a été dit au point 1, par un jugement du 15 septembre 2016, le tribunal administratif de La Guadeloupe a notamment enjoint à l'inspectrice du travail de procéder à nouveau à l'instruction de la demande de licenciement de Mme A... dans un délai de deux mois lequel a été respecté. Le moyen tiré de ce que l'inspectrice du travail a pris sa décision au-delà du délai de quinze jours prévu par l'article R.2421-4 du code du travail, dont les formalités ne sont au demeurant pas prescrites à peine de nullité, est inopérant.
En ce qui concerne le fond :
9. En premier lieu, ressort des pièces du dossier que la demande d'autorisation de licenciement présentée le 25 mars 2015 par la CGRR était motivée, d'une part, par le refus de Mme A... d'aménager ses conditions de travail et, d'autre part, par l'entrave au bon fonctionnement de l'institution et une volonté manifestée par l'intéressée de nuire à son employeur. L'inspectrice du travail a examiné tous les griefs précis et détaillés figurant dans la demande d'autorisation de licenciement pour faute de Mme A.... S'agissant du refus d'aménagement des conditions de travail, elle a ainsi relevé qu'il était reproché à la salariée de n'avoir pas accepté les propositions de modifications contractuelles formulées pour respecter les prescriptions du médecin du travail, d'avoir refusé de réduire son temps de travail, de n'avoir pas voulu insérer dans son contrat de travail une clause prévoyant la restitution de matériel en cas de rupture ou suspension des relations contractuelles, une clause de discrétion et de secret professionnel et une clause d'information de l'employeur en cas d'exercice d'une autre activité professionnelle. Pour ce qui est de l'entrave au bon fonctionnement de l'institution et de la volonté de Mme A... de nuire à son employeur, l'inspectrice du travail a noté qu'il était fait grief à la salariée d'avoir adopté un comportement général malveillant, d'avoir commis des faits de harcèlement de ses supérieurs hiérarchiques, d'avoir refusé de participer à une formation interne et à une réunion professionnelle, d'avoir participé à des faits de séquestration et d'avoir proféré des injures à caractère racial. S'il est soutenu par la CGRR que l'inspectrice du travail n'a par ailleurs pas tenu compte des faits nouveaux portés à sa connaissance dans un courrier du 14 novembre 2016 faisant état de l'exercice par Mme A... d'une activité parallèle, ces faits ne figuraient pas dans la demande d'autorisation de licenciement et n'avaient donc pas à être pris en compte pour apprécier si l'ensemble des faits reprochés à la salariée constituaient une faute d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement. Le moyen tiré de l'erreur de droit doit par conséquent être écarté.
10. En second lieu, d'une part, si des faits ayant déjà servi à fonder une précédente sanction sont susceptibles d'être pris en compte par l'autorité investie du pouvoir disciplinaire pour moduler la sanction qu'elle entend infliger à l'agent en raison d'une faute postérieure à ces faits, ceux-ci ne peuvent en revanche légalement fonder une nouvelle sanction en l'absence de faute postérieure.
11. Il ressort des pièces du dossier que la participation, le 12 juillet 2013, de
Mme A... à des faits de séquestration et d'injures raciales, les accusations calomnieuses qu'elle a portées le 18 novembre 2013 contre son supérieur hiérarchique, ses refus de participer le 15 décembre 2014 à une formation interne et le 28 novembre 2014 à une réunion et les faits de harcèlement de sa hiérarchie entre le 16 avril 2013 et le 28 novembre 2014, ont tous fait l'objet de sanctions disciplinaires distinctes et qu'aucune autre faute postérieure n'a été constatée par l'employeur. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé qu'il ne pouvait être tenu compte de ces griefs pour justifier le licenciement de Mme A....
12. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que, pour solliciter l'autorisation de licencier Mme A..., la CGRR s'est également fondée sur le fait que l'intéressée avait refusé, le 9 décembre 2014, de signer un avenant comportant des modifications de ses conditions de travail destinées à tenir compte des préconisations du médecin du travail et relatives à la durée du travail en cas d'allaitement ainsi que sur la circonstance qu'elle s'était opposée au principe d'insertion de deux clauses contractuelles : l'une dite " activité professionnelle " qui l'oblige à prévenir l'employeur en cas d'exercice d'activité complémentaire et l'autre prévoyant la restitution du matériel en bon état en cas de départ. Il ressort toutefois des pièces du dossier que, le 28 janvier 2015, Mme A... a accepté de signer un avenant comportant lesdites modifications de ses conditions de travail et l'insertion des clauses contractuelles précitées. Si elle a, en revanche, refusé ce jour-là de signer une nouvelle clause de confidentialité, ce seul fait ne saurait être regardé, eu égard notamment à la circonstance que son contrat initial comportait déjà une clause de cette nature, comme constituant une faute d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de Mme A....
13. Dans ces conditions, l'inspectrice du travail a pu, sans commettre d'erreur d'appréciation, refuser d'autoriser le licenciement de Mme A....
Sur la légalité de la décision du ministre du travail :
14. Il ne résulte pas des mentions portées sur la décision litigieuse du 6 septembre 2017 que le ministre du travail se serait fondé sur des dispositions du code du travail non encore entrées en vigueur. Le moyen tiré de l'erreur de droit doit par conséquent être écarté.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la CGRR n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Guadeloupe a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspectrice du travail du 15 novembre 2016 et de la décision du ministre du travail du 6 septembre 2017.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont la CGRR demande le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la CGRR la somme dont Mme A... demande le versement sur le fondement des mêmes dispositions. Aucun dépens n'ayant été exposé dans la présente instance, les conclusions de Mme A... tendant à leur paiement ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la caisse guadeloupéenne de retraites par répartition est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de Mme A... tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et au paiement des entiers dépens de l'instance sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la caisse guadeloupéenne de retraites par répartition, à Mme A... et au ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 30 novembre 2020 à laquelle siégeaient :
- M. Dominique Naves, président,
- Mme D... B..., présidente-assesseure,
- Mme E... F..., première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 décembre 2020.
Le rapporteur,
Karine B...Le président,
Dominique Naves
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 18BX03240 2