Par un jugement n° 1601726, 1603491 du 8 mars 2018 procédant à leur jonction, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté les requêtes de la société Altran Technologies Sud-Ouest.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 4 mai 2018 et le 11 juillet 2019, la société Altran Technologies Sud-Ouest, représentée par Me F... puis par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 8 mars 2018 ;
2°) d'annuler la décision du 2 mai 2016 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social a refusé d'autoriser le licenciement de M. C... ;
3°) d'enjoindre au ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social de réexaminer la demande d'autorisation de licenciement de M. C... et d'assortir cette injonction d'une astreinte à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les premiers juges ont entaché leur jugement d'une contradiction de motifs et d'une erreur de droit en estimant que M. C... n'avait pas bénéficié d'un temps suffisant pour préparer sa défense, en rappelant tout à la fois que seul un délai de 5 jours entre la convocation à l'entretien préalable et ledit entretien est nécessaire et que la lettre de convocation n'avait pas à contenir l'ensemble des griefs reprochés ;
- les premiers juges ont entaché leur jugement d'une erreur d'appréciation en relevant l'existence de versions divergentes pour considérer que la matérialité du geste obscène de M. C... n'était pas établie ;
- les premiers juges ont entaché leur jugement d'une erreur d'appréciation en jugeant que les propos tenus lors de la réunion du CHSCT du 25 juin 2015 n'étaient pas d'une gravité suffisante ;
- la décision du 2 mai 2016 est entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle indique que seuls les faits figurant dans la note d'information jointe à la convocation au comité d'entreprise pouvaient être reprochés à M. C..., ce dernier ayant eu connaissance de l'ensemble des griefs qui lui étaient reprochés lors de son entretien préalable ;
- le ministre du travail ne pouvait limiter les griefs retenus à l'encontre de M. C... pour fonder son licenciement aux seuls éléments mentionnés dans la lettre d'information des membres du comité d'entreprise ;
- la matérialité des faits, en l'occurrence le doigt d'honneur fait par M. C... ainsi que la prise et la diffusion de photographies sans autorisation, est établie ;
- les faits reprochés à M. C..., même s'ils se résument aux seuls propos injurieux tenus, justifient une mesure de licenciement ;
- le comportement de M. C..., qui a déjà fait l'objet de sanctions disciplinaires, est de longue date inapproprié.
Par un mémoire en défense enregistré le 12 juillet 2018, M. E... C..., représenté par Me D..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Altran Technologies Sud-Ouest d'une somme de 3 600 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par la société Altran Technologies Sud-Ouest n'est fondé.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 juin 2019, le ministre du travail conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par la société Altran Technologies Sud-Ouest n'est fondé.
Par une ordonnance du 15 juillet 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 19 août 2019.
Des mémoires, enregistrés le 31 octobre 2019, le 20 février 2020 et le
5 octobre 2020 ont été présentés pour M. C....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B... A... ;
- les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public ;
- les observations de Me G..., représentant la société Altran Technologies Sud-Ouest.
Considérant ce qui suit :
1. La société Altran Technologies Sud-Ouest, qui exerce une activité de conseil en technologie, a engagé M. E... C..., à compter du 11 août 1992, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée, en qualité de cadre consultant. Le 17 juillet 2015, cette société a sollicité l'autorisation de licencier pour faute M. C..., membre titulaire du comité d'établissement, délégué du personnel, délégué syndical, membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et membre suppléant du comité central de l'unité économique et sociale. Par une décision du 16 septembre 2015, l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement de M. C.... Saisi le 2 novembre 2015 d'un recours hiérarchique par la société Altran Technologies Sud-Ouest, le ministre chargé du travail, par une décision explicite en date du 2 mai 2016, a retiré la décision implicite de rejet qui était née de son silence le 3 mars 2016, a annulé la décision de l'inspecteur du travail et a refusé d'autoriser le licenciement de M. C.... Par un jugement du 8 mars 2018, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté les requêtes de la société Altran Technologies Sud-Ouest tendant, pour l'une, à l'annulation de la décision implicite née le 3 mars 2016 et, pour l'autre, à l'annulation de la décision explicite du 2 mai 2016 par lesquelles le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social a refusé l'autorisation de licencier M. C.... La société Altran Technologies Sud-Ouest relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 2 mai 2016.
2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
3. D'une part, aux termes de l'article L. 1232-2 du code du travail : " L'employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable. / (...) Cette lettre indique l'objet de la convocation. / L'entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation ". Aux termes de l'article L. 1232-3 du même code : " Au cours de l'entretien préalable, l'employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié. ". Aux termes de l'article R. 1232-1 de ce code : " La lettre de convocation prévue à l'article 1332-2 indique l'objet de l'entretien entre le salarié et l'employeur. (...) ". L'article L. 2421-3 du code du travail énonce que : " Le licenciement envisagé par l'employeur d'un délégué du personnel ou d'un membre élu du comité d'entreprise titulaire ou suppléant, d'un représentant syndical au comité d'entreprise ou d'un représentant des salariés au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est soumis au comité d'entreprise, qui donne un avis sur le projet de licenciement (...) ".
4. D'autre part, aux termes de l'article R. 2421-10 du code du travail : " La demande d'autorisation de licenciement (...) énonce les motifs du licenciement envisagé. (...)"
5. Lorsque l'employeur sollicite de l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier un salarié protégé, il lui appartient de faire état avec précision, dans sa demande, des raisons justifiant, selon lui, ce licenciement. Si l'autorité administrative ne peut autoriser le licenciement d'un salarié protégé pour un motif distinct de celui invoqué par l'employeur à l'appui de sa demande, elle ne peut davantage, s'agissant d'un licenciement pour motif disciplinaire, retenir que certains des faits qui, selon l'employeur, caractérisent le comportement fautif du salarié.
6. Il ressort des pièces du dossier que la demande d'autorisation de licenciement pour faute de M. C... était motivée par des faits commis par l'intéressé lors des réunions des représentants du personnel des 2 avril, 24 avril, 13 mai, 25 juin et 3 juillet 2015 auxquelles il participait. Alors qu'il n'est pas contesté qu'au cours de l'entretien préalable qui s'est déroulé le 16 juillet 2015 à partir de 9 h, M. C... a été informé de l'ensemble des faits qui lui étaient reprochés, il est constant que la lettre du 8 juillet 2015 le convoquant à une réunion extraordinaire du comité d'entreprise chargé de donner un avis sur son licenciement, qui s'est tenue le 16 juillet 2015 à partir de 15 h 30, comportait en annexe une note d'information portant sur les seuls faits des 25 juin et 3 juillet 2015. Pour refuser, par la décision contestée du 2 mai 2016, d'autoriser le licenciement de M. C..., le ministre chargé du travail a estimé que les faits relatés dans la note d'information jointe à la convocation de l'intéressé au comité d'entreprise, dont il pouvait seulement être tenu compte eu égard au fait que
M. C... n'avait eu connaissance des autres faits qui lui étaient reprochés que lors de l'entretien préalable qui avait eu lieu le matin même de son audition devant le comité d'entreprise, n'étaient pas matériellement établis ou ne revêtaient pas une gravité suffisante pour justifier un licenciement.
7. S'il incombait à l'administration de contrôler la régularité de la consultation du comité d'entreprise, le ministre chargé du travail ne pouvait sans commettre d'erreur de droit retenir que certains des faits mentionnés dans la demande d'autorisation de licenciement et se fonder, comme il l'a fait, uniquement sur ceux d'entre eux figurant dans la note d'information jointe à la convocation au comité d'entreprise au motif de la brièveté du délai entre l'entretien préalable et la réunion du comité d'entreprise sur le projet de licenciement.
8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que la société Altran Technologies Sud-Ouest est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du 2 mai 2016. Il suit de là que le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 8 mars 2018 et la décision du 2 mai 2016 du ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social doivent être annulés.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
9. Eu égard au motif d'annulation retenu par le présent arrêt, il y a lieu d'enjoindre au ministre chargé du travail de procéder au réexamen de la demande d'autorisation de licenciement de M. C..., présentée par la société Altran Technologies Sud-Ouest, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Altran Technologies Sud-Ouest, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. C... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à la société Altran Technologies Sud-Ouest au titre de ces dispositions.
DECIDE :
Article 1er: Le jugement n° 1601726, 1603491 du tribunal administratif de Toulouse du 8 mars 2018 et la décision du 2 mai 2016 du ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre chargé du travail de procéder au réexamen de la demande d'autorisation de licenciement de M. C..., présentée par la société Altran Technologies Sud-Ouest, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à la société Altran Technologies Sud-Ouest une somme de
1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de M. C... présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Altran Technologies Sud-Ouest, à
M. C... et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 19 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Dominique Naves, président,
Mme B... A..., présidente-assesseure,
Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 16 novembre 2020.
Le rapporteur,
Karine A...Le président,
Dominique Naves
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 18BX01897 2