Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 14 février 2020, Mme D... E..., représentée par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse du 10 septembre 2019 ;
2°) d'annuler les arrêtés du préfet de la Haute-Garonne du 5 septembre 2019 portant respectivement transfert aux autorités italiennes et assignation à résidence ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer l'attestation prévue à l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, et de dire qu'elle a en conséquence droit au bénéfice des conditions matérielles d'accueil ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat les entiers dépens ainsi qu'une somme de 1 500 euros, à verser à elle-même ou son conseil, sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
- il est entaché d'omission à statuer dès lors que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse n'a pas répondu au moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 5§5 du règlement n°604/2013 s'agissant des conditions de son entretien individuel.
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
S'agissant de l'arrêté de transfert :
- il est entaché d'un défaut de motivation au regard des dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;
- il méconnaît les dispositions de l'article 5§5 du règlement 604/2013 du 26 juin 2013 en ce qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'entretien individuel a été mené par un agent qualifié dont l'identité a été fournie ;
- le préfet de la Haute-Garonne a commis une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation, notamment dans la mise en oeuvre des articles 3-2 et 17 de ce règlement, compte tenu des défaillances systémiques de l'Italie dans la procédure d'asile et dans les conditions d'accueil des demandeurs d'asile ; en outre, un renvoi en Italie l'exposerait à être retrouvée par ses anciens proxénètes et après un inévitable renvoi au Nigéria à des représailles du réseau de prostitution.
S'agissant de l'arrêté d'assignation à résidence :
- il est entaché d'un défaut de motivation notamment caractérisé par l'absence de précisions quant à la nécessité et à la proportionnalité de la mesure ;
- il est dépourvu de base légale ;
- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation dès lors notamment qu'elle a respecté l'ensemble de ses obligations et convocations.
Par un courrier en date du 1er juillet 2020, le préfet de la Haute-Garonne a informé la Cour de ce que le délai de transfert était prolongé jusqu'au 10 mars 2021.
Mme D... E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 16 janvier 2020.
Par une ordonnance du 27 juillet 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 24 août 2020 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... A... a été entendu au cours de l'audience publique :
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., ressortissante nigériane née le 16 septembre 1995, est entrée irrégulièrement en France, le 9 juin 2019 selon ses déclarations, pour solliciter l'asile. Lors de l'enregistrement de sa demande, le 10 juillet 2019, le relevé de ses empreintes décadactylaires a révélé qu'elle avait précédemment déposé une demande d'asile en Italie, le 20 novembre 2017. Les autorités italiennes ont été saisies le 7 août 2019 d'une demande de reprise en charge, sur le fondement de l'article 18.1-b du règlement n° 604/2013, et ont fait connaître leur accord le 9 août 2019. Par un arrêté du 5 septembre 2019, le préfet de la Haute-Garonne a décidé le transfert de Mme E... aux autorités italiennes et l'a, par un arrêté du même jour, assignée à résidence dans le département de la Haute-Garonne pour une durée maximale de quarante-cinq jours et astreinte à se présenter trois fois par semaine au commissariat central de police de Toulouse. Par un jugement du 10 septembre 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté la demande de Mme E... tendant à l'annulation de ces arrêtés du 5 septembre 2019. Mme E... relève appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse n'a pas répondu au moyen, qui n'était pas inopérant, tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 5§5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 qui était soulevé dans la requête introductive d'instance à l'encontre de la décision de transfert aux autorités italiennes. Par suite, Mme E... est fondée à soutenir que le jugement attaqué est entaché d'omission à statuer et, partant, entaché d'irrégularité dans cette mesure.
3. Par conséquent, d'une part, il y a lieu de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur la demande présentée par Mme E... devant le tribunal administratif de Toulouse en tant qu'elle tend à l'annulation de la décision de transfert aux autorités italiennes. D'autre part, il y a lieu de statuer, par la voie de l'appel dévolutif, sur le surplus de sa requête devant la cour tendant à l'annulation de la décision d'assignation à résidence.
En ce qui concerne la décision de transfert aux autorités italiennes :
4. En premier lieu, la décision en litige vise les textes dont il est fait application, en particulier le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle mentionne le fait que Mme E... est entrée irrégulièrement sur le territoire français le 9 juin 2019 et qu'elle a présenté une demande d'asile enregistrée le 10 juillet 2019. Cette décision indique également que la consultation du fichier Eurodac ayant fait apparaître que l'intéressée avait présenté une demande similaire en Italie, les autorités de ce pays ont été saisies le 7 août 2019 d'une demande de reprise en charge qu'elles ont acceptée le 9 août suivant, en application de l'article 18.1b du règlement (UE) n° 604/2013. Par ailleurs, elle précise que la volonté de Mme E... de rester en France est motivée principalement par le fait qu'elle craint de ne pas être en sécurité en Italie. Enfin, la décision contestée relève que Mme E... ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale en France et qu'elle n'établit pas être dans l'impossibilité de retourner en Italie, ni que cet État serait dans l'incapacité d'assurer sa protection. Dans ces conditions, la décision en litige qui comporte l'ensemble des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement est suffisamment motivée. En outre, il ressort de cette motivation que le préfet s'est livré à un examen particulier de la situation de Mme E... dont il a pris en compte, contrairement à ce qu'elle soutient, les observations écrites qu'elle a produites le 18 juillet 2019. Il s'ensuit que les moyens tirés de l'insuffisance de motivation et du défaut d'examen particulier doivent être écartés.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : / a) des objectifs du présent règlement (...) / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et en tout état de cause en temps utile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus au paragraphe 1 de l'article 4 du règlement. Eu égard à la nature desdites informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
6. Il ressort des pièces versées au dossier que Mme E... s'est vu délivrer, le 10 juillet 2019, en présence d'un interprète, les deux brochures d'information dites " A " (J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - Quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande d'asile ') et " B " (Je suis sous procédure Dublin - Qu'est-ce que cela signifie '). Ces documents constituent la brochure commune visée au paragraphe 3 de l'article 4 du règlement précité et contiennent l'intégralité des informations prévues au paragraphe 1 de cet article. Les deux brochures ont été remises à l'intéressée en langue anglaise, langue qu'elle a déclaré lire et comprendre ainsi qu'il ressort des mentions portées sur le résumé de l'entretien individuel, qu'elle a signé. En outre, Mme E... a déclaré avoir compris la procédure engagée à son encontre et, sur le résumé de l'entretien mené en préfecture, a coché la case indiquant que l'information sur les règlements communautaires lui avait été remise. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement n° 604-2013 du 26 juin 2013 citées au point précédent doit être écarté.
7. En troisième lieu, d'une part, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. 2. L'entretien individuel peut ne pas avoir lieu lorsque: a) le demandeur a pris la fuite; ou b) après avoir reçu les informations visées à l'article 4, le demandeur a déjà fourni par d'autres moyens les informations pertinentes pour déterminer l'État membre responsable. L'État membre qui se dispense de mener cet entretien donne au demandeur la possibilité de fournir toutes les autres informations pertinentes pour déterminer correctement l'État membre responsable avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. 3. L'entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu'une décision de transfert du demandeur vers l'État membre responsable soit prise conformément à l'article 26, paragraphe 1. 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. 6. L'État membre qui mène l'entretien individuel rédige un résumé qui contient au moins les principales informations fournies par le demandeur lors de l'entretien. Ce résumé peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type. (...) ".
8. D'autre part, aux termes de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration, " Toute personne a le droit de connaître le prénom, le nom, la qualité et l'adresse administratives de l'agent chargé d'instruire sa demande ou de traiter l'affaire qui la concerne ; ces éléments figurent sur les correspondances qui lui sont adressées. (...) ".
9. Il ressort des pièces du dossier que Mme E... a bénéficié le 10 juillet 2019, dans les locaux de la préfecture de la Haute-Garonne, de l'entretien individuel requis par les dispositions citées au point 7 de l'article 5 du règlement n° 604/2013, en présence d'un interprète en langue anglaise qu'elle a déclaré comprendre. Cet entretien a été assuré par un agent de la préfecture de la Haute-Garonne, ce qui est suffisant, en l'absence de preuve contraire, pour établir que l'entretien a été mené par une personne qualifiée au sens du droit national. L'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 n'exige pas que le résumé de l'entretien individuel mentionne l'identité et la qualité de l'agent chargé de conduire cet entretien et précise, dans son point 6, que le résumé de l'entretien individuel mené avec le demandeur d'asile peut prendre la forme d'un rapport ou d'un formulaire type, qui ne sauraient être regardés comme une correspondance au sens de l'article L. 111-2 du code des relations entre le public et l'administration. Dès lors, l'agent qui établit ce résumé n'est pas tenu d'y faire figurer son prénom, son nom et sa qualité. Par suite, si ces mentions ne figurent pas sur le résumé de l'entretien individuel mené avec Mme E..., cette circonstance est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie.
10. En quatrième lieu, selon l'article 9 du règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013: " 1. Chaque État membre relève sans tarder l'empreinte digitale de tous les doigts de chaque demandeur d'une protection internationale âgé de 14 ans au moins et la transmet au système central dès que possible et au plus tard 72 heures suivant l'introduction de la demande de protection internationale (...) / Le non-respect du délai de 72 heures n'exonère pas les États membres de l'obligation de relever et de transmettre les empreintes digitales au système central. (...) / 3. Les données dactyloscopiques au sens de l'article 11, point a), qui sont transmises par un État membre (...) sont comparées automatiquement avec les données dactyloscopiques transmises par d'autres États membres qui sont déjà conservées dans le système central. (...) ". Le point l) du 1 de l'article 2 de ce même règlement définit les données dactyloscopiques comme " les données relatives aux empreintes digitales de tous les doigts ou au moins des index et si ces derniers sont manquants, aux empreintes de tous les autres doigts d'une personne, ou à une empreinte digitale latente ".
11. Le dépassement du délai de transmission des empreintes digitales d'un demandeur d'asile au système central de l'application Eurodac ne fait pas obstacle, par lui-même, à l'intervention d'une décision de transfert de ce demandeur, lorsque cette demande relève de la responsabilité d'un autre Etat membre. Dès lors, la circonstance que les empreintes digitales de Mme E... n'auraient été transmises au système central par les autorités italiennes qu'après l'expiration du délai prévu par les dispositions citées au point 9 est sans influence sur la légalité de la décision de transfert en litige.
12. En cinquième lieu, la circonstance que les empreintes relevées par les autorités italiennes le 20 septembre 2017 et transmises par le système central de l'application Eurodac ne présenteraient pas la même forme que celles relevées par les autorités françaises à l'occasion de l'enregistrement de la demande d'asile de Mme E... n'est, par elle-même, pas de nature à remettre en cause la fiabilité du résultat positif obtenu qui, au surplus, conformément aux dispositions de l'article 25 du règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, doit être vérifié par un expert en empreintes digitales spécialement formé.
13. En sixième lieu, aux termes de l'article 3.2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. ". Selon l'article 17 de ce règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (...) ". Si la mise en oeuvre, par les autorités françaises, des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 doit être assurée à la lumière des exigences définies par les dispositions du second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, en vertu desquelles les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif, la faculté laissée à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Enfin, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".
14. Il résulte de ces dispositions et stipulations que la présomption selon laquelle un État " Dublin " respecte ses obligations découlant de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est renversée en cas de défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'État membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant subi par ces derniers. Les dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013 prévoient ainsi que chaque État membre peut examiner une demande d'asile qui lui est présentée par un ressortissant d'un pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés par ce règlement. Cette possibilité, également prévue par l'article 17 du même règlement et reprise par l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doit en particulier être mise en oeuvre lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé courra, dans le pays de destination, un risque réel d'être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans ce cas, les autorités d'un pays membre peuvent, en vertu du règlement communautaire précité, s'abstenir de transférer le ressortissant étranger vers le pays pourtant responsable de sa demande d'asile si elles considèrent que ce pays ne remplit pas ses obligations au regard de la Convention, notamment compte tenu de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge, de l'état de santé du demandeur.
15. En application du principe qui vient d'être énoncé, il appartient au juge administratif de rechercher si, à la date de la décision contestée, au vu de la situation générale du dispositif d'accueil des demandeurs d'asile en Italie et de la situation particulière de Mme E..., il existait des motifs sérieux et avérés de croire qu'en cas de remise aux autorités italiennes, elle ne bénéficierait pas d'un examen effectif de sa demande d'asile et risquerait de subir des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales justifiant la mise en oeuvre de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013.
16. L'Italie étant membre de l'Union Européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à celles de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette présomption est toutefois réfragable lorsque qu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités italiennes répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
17. Mme E... se prévaut, d'une part, de ce que les autorités italiennes sont confrontées à un afflux massif de migrants qui allongerait considérablement les délais de traitement des demandes d'asile, précariserait les conditions d'accueil des demandeurs et mettrait les autorités italiennes dans l'impossibilité de prendre en charge de façon satisfaisante les personnes vulnérables. Toutefois, si les pièces produites, notamment les conclusions d'un rapport de mission d'observation de l'association luxembourgeoise " Passerell " du mois de janvier 2019, révèlent des défaillances sans pour autant que celles-ci puissent être qualifiées de systémiques, il n'est pas établi que les autorités italiennes seraient dans l'incapacité structurelle d'examiner sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
18. D'autre part, si Mme E... soutient qu'elle s'est livrée contre son gré à la prostitution à Rome, dans le cadre d'un réseau auquel elle a tenté d'échapper en se rendant à Naples puis en France, elle ne produit aucun élément de nature à corroborer les allégations selon lesquelles elle pourrait en conséquence être exposée à un risque de traitement inhumain ou dégradant si elle était transférée en Italie.
19. Il suit de là que les moyens tirés de ce que le préfet de la Haute-Garonne aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne mettant pas en oeuvre la clause discrétionnaire prévue par les dispositions de l'article 17 du règlement n°604/2013 et aurait méconnu les stipulations énoncées à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.
En ce qui concerne la décision d'assignation à résidence :
20. En premier lieu, le moyen tiré de ce que la mesure d'assignation à résidence serait dépourvue de base légale du fait de l'illégalité de la décision portant transfert aux autorités italiennes ne peut qu'être écarté, cette décision, compte tenu de ce qui précède, n'étant pas exposée à la censure.
21. En deuxième lieu, la décision d'assignation à résidence vise notamment les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et mentionne que Mme E... a fait l'objet d'une décision de transfert vers l'Italie, que l'exécution de cette mesure demeure une perspective raisonnable et que l'intéressée justifie d'une domiciliation postale à Toulouse. Cette décision comporte ainsi les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Il s'ensuit que le moyen tiré d'une insuffisance de motivation doit être écarté.
22. En troisième lieu, il ressort des mentions de la décision en litige que Mme E..., qui justifie d'une adresse à Toulouse, est assignée à résidence dans le département de la Haute-Garonne et astreinte à une obligation de présentation trois fois par semaine au commissariat central de police de Toulouse. Si Mme E... soutient que cette obligation est excessive dans la mesure où elle ne présente pas de risque de fuite, il ne ressort pas des pièces du dossier que les modalités de l'obligation de pointage seraient disproportionnées ou entachées d'une erreur manifeste d'appréciation.
23. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de Mme E..., présentées devant le tribunal administratif de Toulouse, tendant à l'annulation de la décision de transfert aux autorités italiennes doivent être rejetées. Par ailleurs, l'intéressée n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision d'assignation à résidence. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction, d'astreinte ainsi que celles tendant, d'une part, au paiement des entiers dépens du procès, lequel au demeurant n'en comporte aucun, et, d'autre part, à l'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1905089 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse du 10 septembre 2019 est annulé en tant qu'il statue sur la décision de transfert aux autorités italiennes.
Article 2 : Les conclusions tendant à l'annulation de la décision mentionnée à l'article 1er ci-dessus présentées par Mme E... devant le tribunal administratif de Toulouse sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera transmise au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 21 septembre 2020 à laquelle siégeaient :
- M. Dominique Naves, président,
- Mme B... A..., présidente-assesseure,
- Mme Déborah De Paz, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 octobre 2020.
Le rapporteur,
Karine A...Le président,
Dominique Naves
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 20BX00515 2