Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 2 mai 2020, M. A..., représenté par Me G..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 6 décembre 2019 du tribunal administratif de Toulouse ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Tarn du 20 mars 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Tarn de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation dans le délai de deux mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- les différentes décisions attaquées sont insuffisamment motivées ; le préfet n'a pas procédé à un examen réel et sérieux de sa situation ;
- la décision de refus de titre de séjour a été prise au terme d'une procédure irrégulière à défaut de saisine de la commission de titre de séjour ; elle méconnait les dispositions de l'article L. 313-11 (4°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 10 de l'accord franco-tunisien ; elle méconnaît également les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- l'obligation de quitter le territoire français est privée de base légale compte tenu de l'illégalité de la décision de refus de séjour ; elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de renvoi est privée de base légale compte tenu de l'illégalité de la décision de refus de séjour ; elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'interdiction de retour est privée de base légale compte tenu de l'illégalité de la décision de refus de séjour ; elle méconnait l'article L. 511-1-III du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet, qui s'est cru à tort en situation de compétence liée, n'ayant pas apprécié le bien-fondé et la durée de cette mesure au regard des quatre critères énumérés au 8ème alinéa de cet article ; elle méconnaît également les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 septembre 2020, le préfet du Tarn conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par le requérant n'est fondé.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 mars 20209 du bureau d'aide juridictionnelle.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord du 17 mars 1988 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail ;
- le protocole relatif à la gestion concertée des migrations entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République tunisienne signé à Tunis le 28 avril 2008 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme F... H... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. I... A..., ressortissant tunisien né le 16 janvier 1989 à El Ghradeg Sbeitla (Tunisie) est entré en France de manière irrégulière en 2011. Il s'est vu notifier une première décision portant obligation de quitter le territoire français en date du 24 juin 2015, qu'il n'a pas mise à exécution, puis, une deuxième décision de même nature, le 3 octobre 2016, qui a été mise à exécution le 19 avril 2017. Dans l'intervalle, M. A... a épousé une ressortissante française, Mme B..., le 4 novembre 2016. Il est par la suite entré de nouveau en France, muni d'un visa de long séjour " conjoint de français ", valant titre de séjour d'un an, le 18 septembre 2017. Le 25 septembre 2018, M. A... a sollicité auprès du préfet du Tarn un titre de séjour mention " vie privée et familiale ". Par un arrêté en date du 20 mars 2019, le préfet du Tarn lui a refusé le titre de séjour sollicité, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et l'a interdit de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. M. A... relève appel du jugement du 6 décembre 2019 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté du 6 décembre 2019 :
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, la décision en litige comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent les fondements. Elle est, par suite, suffisamment motivée. Il ressort par ailleurs de ses termes mêmes que le préfet a procédé à l'examen de la situation particulière de M. A....
3. En deuxième lieu, aux termes des dispositions du 4° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...)4° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français ; ". Aux termes des dispositions de l'article 10 de l'accord du 17 mars 1988 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la république de Tunisie en matière de séjour et de travail : " Un titre de séjour d'une durée de dix ans, ouvrant droit à l'exercice d'une activité professionnelle, est délivré de plein droit, sous réserve de la régularité du séjour sur le territoire français: (...) a) Au conjoint tunisien d'un ressortissant français, marié depuis au moins un an, à condition que la communauté de vie entre époux n'ait pas cessé, que le conjoint ait conservé sa nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état-civil français; ".
4. Il ressort des pièces du dossier, et notamment d'une déclaration de main-courante déposée le 20 décembre 2018 au commissariat de police de Carmaux, corroborée par d'autres éléments du dossier, que Mme B... a indiqué aux services de police que son mari avait quitté le domicile conjugal depuis environ trois mois, qu'il venait seulement les week-ends et que depuis peu elle n'avait plus de nouvelles de lui, en précisant qu'elle avait pris rendez-vous avec son avocate pour engager une procédure de divorce, compte tenu des violences exercées à son encontre par M. A.... Mme B... est certes revenue sur l'ensemble de ces déclarations dans une attestation établie le 16 avril 2019, dans laquelle elle indique que la vie commune a repris après Noël de l'année 2018, que son mari n'est pas présent la semaine en raison de la formation qu'il suit à Rodez, qu'il ne l'a jamais frappée, qu'elle n'a pas entamé de procédure de divorce et qu'ils envisagent d'avoir un enfant en ayant recours à la procréation médicalement assistée. Néanmoins, et outre que cette attestation est postérieure à la date de la décision en litige, il ressort des pièces du dossier que Mme B... a effectivement chargé une avocate, Me C..., d'engager une procédure de divorce devant le juge aux affaires familiales d'Albi. Il ressort par ailleurs d'un rapport d'enquête produit par le préfet du Tarn que Mme B... a également déclaré, au cours d'un entretien en date du 31 janvier 2019, que M. A... ne vivait plus au domicile conjugal sauf en fin de semaine, qu'il est le plus souvent en état d'alcoolémie avancé, qu'il est violent à son encontre, que sa situation de couple est devenue invivable et qu'elle a sollicité le concours d'un avocat dans le cadre d'une procédure de divorce. Au regard de ces différents éléments, la communauté de vie entre les époux ne peut être regardée comme établie à la date de la décision en litige. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour méconnaîtrait les dispositions de l'article L. 313-11 (4°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 10 de l'accord franco-tunisien, doit être écarté.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. I1 ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
6. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que M. A... ne justifie pas d'une vie privée et familiale ancienne et stable avec son épouse. Par ailleurs, le bilan de fertilité le concernant, en date du 4 avril 2019, ne permet pas d'établir, en l'absence de tout autre élément, qu'il serait engagé, avec son épouse, dans un projet de conception d'un enfant par procréation médicalement assistée. Enfin, s'il fait état de son investissement au plan professionnel, les seules circonstances qu'il serait inscrit dans une agence d'intérim depuis le 29 novembre 2018 et qu'il aurait poursuivi une formation de plaquiste du 4 mars au 27 septembre 2019 ne permettent pas d'établir qu'il exerçait, à la date de la décision en litige, une activité professionnelle en France. Dans ces conditions, les moyens tirés de ce que la décision contestée méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et serait entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ne peuvent être accueillis.
7. Aux termes de l'article L. 312-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans chaque département est instituée une commission du titre de séjour (...) ". Aux termes de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La commission est saisie par l'autorité administrative lorsque celle-ci envisage de refuser de délivrer ou de renouveler une carte de séjour temporaire à un étranger mentionné à l'article L. 313-11 ou de délivrer une carte de résident à un étranger mentionné aux articles L. 314-11 et L. 314-12, ainsi que dans le cas prévu à l'article L. 431-3. / (...) ".
8. Il résulte de ces dispositions que le préfet est tenu de saisir la commission du titre de séjour du cas, notamment, des étrangers qui remplissent effectivement les conditions prévues à l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, auxquels il envisage de refuser le titre de séjour sollicité, et non de celui de tous les étrangers qui se prévalent des dispositions de cet article. Il ressort de ce qui a été dit au point 4 que M. A... n'était pas au nombre des étrangers pouvant obtenir de plein droit un titre de séjour en application des dispositions précitées de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, l'absence de consultation de la commission du titre de séjour n'entache pas d'irrégularité la décision de refus de titre de séjour en litige.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de renvoi :
9. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour à l'encontre de la décision l'obligeant à quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de renvoi.
10. En deuxième lieu, les moyens tirés de ce que ces décisions seraient insuffisamment motivées et que le préfet n'aurait pas procédé à un examen approfondi de sa situation particulière, qui ne sont assortis d'aucune précision, ne peuvent être accueillis.
11. En troisième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté pour les motifs exposés au point 4 ci-dessus.
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire :
12. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que les décisions portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination ne sont pas entachées d'illégalité. Par suite, le moyen tiré de l'exception d'illégalité de ces décisions invoquées à l'encontre de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée d'un an, doit être écarté.
13. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " III. - L'autorité administrative, par une décision motivée, assortit l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. / Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative ne prononce pas d'interdiction de retour. / (...) Lorsqu'elle ne se trouve pas en présence du cas prévu au premier alinéa du présent III, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale de deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. / (...) La durée de l'interdiction de retour mentionnée aux premier, sixième et septième alinéas du présent III ainsi que le prononcé et la durée de l'interdiction de retour mentionnée au quatrième alinéa sont décidés par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".
14. Il ressort des termes de la décision contestée que, pour prononcer l'interdiction de retour en litige, le préfet s'est notamment fondé sur le motif tiré de ce qu'il n'existait pas de circonstances humanitaires justifiant qu'il ne prononce pas une telle interdiction. Néanmoins, et comme l'a relevé le tribunal administratif, le préfet s'est également fondé sur les critères mentionnés au 8ème alinéa du même article. A cet égard, l'arrêté indique que M. A... est entré sur le territoire français il y a moins de deux ans, qu'il a déjà fait l'objet de deux mesures d'éloignement le 24 juin 2015 puis le 3 octobre 2016 et que la durée d'interdiction de retour d'un an ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale compte tenu de la procédure de divorce engagée à son encontre par son épouse française, pour violences conjugales. Ainsi, alors que ces éléments sont corroborés par les pièces du dossier, et nonobstant la circonstance que M. A... ne constituerait pas une menace à l'ordre public, la mesure d'interdiction de retour prononcée à son égard pour une durée d'un an est suffisamment motivée et ne présente pas un caractère disproportionné. Par suite, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation, de ce que le préfet se serait cru à tort en situation de compétence liée et de ce qu'il n'aurait pas apprécié le bien-fondé et la durée de la mesure d'interdiction au regard des quatre critères énumérés au 8ème alinéa du III de l'article L. 511-1 du code précité doivent être écartés.
15. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que le moyen tiré de ce que la décision contestée méconnaitrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du préfet du Tarn du 20 mars 2019. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. I... A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. I... A... et au ministre de l'Intérieur. Copie en sera adressée au préfet du Tarn.
Délibéré après l'audience du 2 novembre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Dominique Naves, président,
Mme E... D..., présidente-assesseure,
Mme F... H..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 novembre 2020.
Le rapporteur,
Sylvie H...
Le président,
Dominique Naves
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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No 20BX1499