Procédures devant la cour :
I) Par un recours, enregistré le 13 janvier 2015 sous le n° 15BX00150, la garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 30 octobre 2014 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A...B...devant le tribunal administratif.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que le geste suicidaire de M. A...B...était imputable au service, dès lors qu'il ne saurait être regardé comme étant survenu sur le lieu et dans le temps du service, compte tenu du fait qu'il a été découvert dans les toilettes des vestiaires, lieu distinct du lieu de travail, qu'il est survenu vers 6 heures 45 alors que son service ne commençait qu'à 7 heures 45 ; il n'était pas en tenue réglementaire ; il était en situation d'abandon de poste depuis le 14 août 2012, date à laquelle l'intéressé a fait l'objet d'une contre-visite au terme de laquelle le médecin de prévention a conclu au caractère non justifié de la prolongation du congé de maladie du 1er au 31 août 2012 ;
- les premiers juges se sont livrés à une appréciation erronée des circonstances de l'espèce, dès lors qu'elle établit l'existence de circonstances particulières de nature à détacher le geste suicidaire de l'agent du service ; le médecin psychiatre agréé, dans son rapport d'expertise du 6 juillet 2012, décrit une personnalité de type obsessionnelle sensitif ; selon la jurisprudence du Conseil d'Etat, l'existence d'un état dépressif préexistant fait obstacle à la qualification d'accident de service du suicide trouvant son origine dans la personnalité pathologique de l'agent ;
- M. A...B...n'apporte pas la preuve de l'existence de circonstances présentant un lien direct et certain avec le service qui seraient à l'origine de sa tentative de suicide ;
- M. A...B...souffre d'un état dépressif antérieur et n'a pas été victime de harcèlement de la part de sa hiérarchie ; les plaintes déposées par des collègues de travail en 2011 pour diffamation sont dépourvues de lien avec le service, mais en lien avec l'exercice de son mandat syndical ; il a contribué à la diminution de son traitement en se plaçant en situation d'abandon de poste, après deux mises en demeure de reprendre son service restées sans effet.
II) Par un recours, enregistré le 15 janvier 2015 sous le n°15BX00151, la garde des sceaux, ministre de la justice, demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement du 30 octobre 2014 du tribunal administratif de Poitiers.
Elle soutient qu'elle justifie de moyens sérieux de nature à justifier l'annulation de ce jugement et le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 février 2015, M. E...A...B..., représenté par MeD..., conclut au rejet du recours de la garde des sceaux, ministre de la justice, et à ce qu'il soit mise à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la garde des sceaux, ministre de la justice ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 modifié ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pierre Larroumec ;
- et les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. E...A...B..., surveillant principal au centre pénitentiaire de Metz (Bas-Rhin), et affecté depuis le 5 juillet 2013 au centre de Bedenac (Charente-Maritime), a tenté de mettre fin à ses jours, le 10 décembre 2012, alors qu'il venait d'être affecté au service des parloirs du centre pénitentiaire de Metz, après une période de congés maladie. Par une décision du 10 janvier 2014, la directrice interrégionale de l'administration pénitentiaire Est-Strasbourg a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la tentative de suicide de M. A...B.... Par un recours, enregistré sous le n° 15BX00150, la garde des sceaux, ministre de la justice, relève appel du jugement du 30 octobre 2014 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision du 10 janvier 2014 et, par un recours enregistré sous le n° 15BX00151, conclut au sursis à exécution de ce jugement. Les instances n° 15BX00150 et n° 15BX00151 sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu, par suite, de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident ; (...) ".
3. Un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet évènement du service, le caractère d'un accident de service. Il en va ainsi lorsqu'un suicide ou une tentative de suicide intervient sur le lieu et dans le temps du service, en l'absence de circonstances particulières le détachant du service. Il en va également ainsi, en dehors de ces hypothèses, si le suicide ou la tentative de suicide présente un lien direct avec le service. Il appartient dans tous les cas au juge administratif, saisi d'une décision de l'autorité administrative compétente refusant de reconnaître l'imputabilité au service d'un tel événement, de se prononcer au vu des circonstances de l'espèce.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. A...B...a tenté de mettre fin à ses jours, le 10 décembre 2012, en se pendant dans les toilettes des vestiaires du personnel du centre pénitentiaire de Metz, où il a été découvert inconscient vers 6 heures 45, alors qu'il devait prendre son service aux parloirs à 7 heures 45, après une période d'arrêt pour maladie depuis le 17 avril 2012, et après avoir déposé une affiche sur le panneau syndical dénonçant le harcèlement dont il s'estimait victime de la part de l'administration. Les seules circonstances que M. A...B...ait été découvert dans les toilettes des vestiaires de l'établissement et non pas sur les lieux mêmes où il devait prendre son service, et à 6 heures 45, alors qu'il devait s'y présenter à 7 heures 45, ne sont pas de nature, par elles-mêmes, à faire regarder le geste suicidaire de M. A... B...comme étant survenu en dehors du lieu et du temps du service.
5. La garde des sceaux, ministre de la justice soutient que l'intéressé souffrait de troubles dépressifs antérieurs dépourvus de lien avec le service et que sa tentative de suicide s'inscrit dans le cadre de relations professionnelles difficiles, alimentées par la personnalité et l'agressivité pathologique de M. A...B...et produit, à ce titre, un certificat d'expertise rédigé le 6 juillet 2013 par le DrC..., médecin psychiatre agréé par l'administration pénitentiaire dans le cadre de la procédure préalable à l'avis du comité médical. Aux termes de ce rapport, M. A... B...présente " un état dépressif majeur avec tentative de suicide sur son lieu de travail à la suite de ce qu'il considère comme un harcèlement de la part de sa hiérarchie " et que " la personnalité est type obsessionnel sensitif ". Selon cet expert, " cette personnalité a rapidement entraîné un conflit avec sa hiérarchie ", en notant que le discours de l'agent était empreint " d'une revendication vis-à-vis du comportement de son administration ". Toutefois, ce même médecin avait conclu, dans son rapport d'expertise du 25 mars 2013, que " la tentative de suicide du 10 décembre 2012 survenue sur le lieu du travail est imputable au service ". Au demeurant, comme le relève à bon droit le tribunal, à compter du 10 décembre 2012, M. A...B...a été affecté contre son gré au service des parloirs, après un arrêt pour maladie de plusieurs mois, cette affectation étant de nature à entraîner une perte de près du tiers de ses revenus annuels, et il avait fait l'objet de poursuites pénales engagées par des collègues de travail pour des faits de diffamation pour lesquels l'intéressé a été relaxé, et de poursuites disciplinaires ayant conduit à des sanctions disproportionnées par rapport aux faits reprochés. Dans ces conditions, il ne ressort nullement des circonstances ainsi décrites ni de l'ensemble des pièces du dossier que la tentative de suicide, survenue sur le lieu et dans le temps du travail, trouverait son origine exclusive dans la personnalité de l'intéressé ou résulterait d'une pathologie antérieure dépourvue de tout lien avec le service. Par suite, la tentative de suicide de M. A...B...doit être regardée comme imputable au service.
6. Il résulte de ce qui précède que la garde de sceaux, ministre de la justice n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision du 10 janvier 2014 par laquelle la directrice interrégionale de l'administration pénitentiaire a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la tentative d'autolyse de M. A...B....
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement :
7. Le présent arrêt, qui statue sur le recours de la garde des sceaux, ministre de la justice à fin d'annulation du jugement du 30 octobre 2014 du tribunal administratif de Poitiers, rend sans objet ses conclusions à fin de sursis à exécution de ce jugement.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A...B...de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution contenues dans le recours n° 15BX00151.
Article 2 : Le recours n° 15BX00150 de la garde des sceaux, ministre de la justice est rejeté.
Article 3 : L'Etat versera à M. A...B...la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. E...A...B...et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 12 novembre 2016 à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
M. Antoine Bec, président assesseur,
M. Pierre Bentolila, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 3 janvier 2017.
Le président assesseur,
Antoine BecLe président,
Pierre Larroumec
Le greffier,
Cindy VirinLa République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition certifiée conforme.
Le greffier,
Cindy Virin
2
Nos 15BX00150, 15BX00151