Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 31 mai 2016 et le 10 septembre 2018, M.C..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1301979 du 31 mars 2016 du tribunal administratif de Toulouse ;
2°) de confirmer la décision du ministre du travail du 25 février 2013 en tant qu'elle refuse à la SAS Artal Technologies l'autorisation de le licencier ;
3°) de mettre à la charge de la SAS Artal Technologies la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé en ce que le tribunal ne démontre pas qu'il serait l'auteur des diffusions et des commentaires effectués sur le blog sud-artal ; en outre, le tribunal s'est fondé sur des moyens dont il n'était pas saisi ;
- contrairement à ce qui a été retenu par le tribunal, il n'exerçait pas de fonctions commerciales ou d'encadrement, mais uniquement des fonctions d'ingénieur d'études et n'avait aucun contact avec des entreprises relevant du domaine aéronautique, de la défense ou de l'aviation civile ; c'est donc à tort que les premiers juges ont mentionné qu'il avait " de nombreux contacts extérieurs avec les clients et fournisseurs de la société " ; il ne participait à aucune décision relevant de la stratégie commerciale de l'entreprise ;
- il n'est pas établi que ce soit nécessairement lui qui ait été l'auteur des informations diffusées sur le blog, alors que le rapport d'expertise relève qu'il y avait trois administrateurs du site ; d'ailleurs, les adresses IP qui ont été identifiées sont en grande majorité affectées à des entreprises ; à aucun moment, sa propre adresse IP n'a été citée ; aucun passage du rapport d'expertise ne permet de l'identifier formellement ; l'information concernant l'éventuel rachat de l'entreprise était l'objet de commentaires anonymes, qui ne nécessitent pas de passer par un compte administrateur ; aucune information sur le " fonctionnement propre de l'entreprise " n'a été diffusée ;
- s'agissant des documents internes à l'entreprise auxquels les visiteurs du blog auraient pu accéder, ces documents n'étaient pas considérés comme strictement confidentiels ;
- par application combinée de l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, un employeur ne peut s'opposer à ce qu'un syndicat mette en ligne certaines informations relatives à une société au sein de laquelle il a des délégués, sauf si ces informations ont un caractère confidentiel, ce qui est conforme aux dispositions de l'article L. 2325-5 du code du travail ; tous les textes qui font l'objet d'une publicité auprès du comité d'entreprise peuvent valablement être diffusés ; en l'espèce, le tribunal ne caractérise pas en quoi les documents qu'il cite auraient été strictement confidentiels ;
- les premiers juges ont cité une version erronée de l'article 9 de son contrat de travail ; en tout état de cause, l'obligation de confidentialité à laquelle il était soumis concernait l'organisation de l'entreprise, ses méthodes commerciales, ses tarifs, ses prix de revient et sa clientèle, toutes informations qui n'ont pas fait l'objet de divulgation sur le blog ; il n'a ainsi pas enfreint l'article 9 de son contrat de travail ;
- il n'est donc pas l'auteur des faits reprochés, lesquels, de toutes façons, ne constitueraient pas un manquement à une obligation découlant de son contrat de travail ;
- par ailleurs, aucun fait fautif tenant à l'exécution de son contrat de travail ne lui est reproché ; c'est donc bien son seul engagement syndical qui est visé par la procédure de licenciement ;
- le ministre a bien recherché s'il avait méconnu les obligations découlant de son contrat de travail ; il s'est prononcé eu égard à l'ensemble des règles applicables à son contrat ;
- en outre, en l'espèce, non seulement le caractère fautif des faits reprochés n'est pas établi, mais il n'est pas non plus établi que ces faits entraînaient des répercussions sur le fonctionnement de l'entreprise et contrevenaient aux règles applicables à son contrat de travail ; les griefs énumérés dans la demande de licenciement ne font nullement état de telles répercussions ou violation de ces règles ; l'employeur ne faisait état que de faits commis en dehors de l'exécution du contrat de travail ; il n'appartenait ni à l'inspecteur ni au ministre de se prononcer sur les conséquences des agissements reprochés en dehors de l'exécution de son contrat de travail sur son obligation de confidentialité dès lors que l'employeur n'avait pas invoqué la violation de cette clause ; le tribunal ne pouvait donc pas déduire des faits reprochés qu'ils méconnaissaient la clause de confidentialité alors même qu'il n'était pas saisi d'une telle demande.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 17 août 2016 et 17 juillet 2017, la SAS Artal Technologies, représentée par la SELARL Coteg et Azam, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de M. C... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le jugement est parfaitement motivé ; le moyen tiré de ce que les premiers juges se seraient fondés sur des moyens dont ils n'étaient pas saisis n'est pas étayé ;
- au plan de la légalité interne, les moyens soulevés par M. C...ne sont pas fondés ; en particulier, les griefs faits à M. C...ne tiennent pas tant à l'exécution de son contrat de travail qu'à la divulgation d'informations couvertes par la confidentialité dans le cadre de ses fonctions représentatives ; le comportement de M. C...montre en effet qu'il s'affranchissait de son obligation de confidentialité ; certaines informations divulguées étaient bien confidentielles, comme le montrent les procès-verbaux du comité d'entreprise ; en tout état de cause, M. C...était un des administrateurs du site ; il est amplement démontré qu'il était bien l'auteur des faits reprochés ; ces agissements étaient sans lien avec son mandat et extérieurs à toute fonction représentative ; ils ont ainsi été commis, non seulement en dehors des heures de travail, mais aussi en dehors des heures de délégation ; la demande initiale d'autorisation a été complétée par plusieurs communications invoquant la clause de confidentialité ; le jugement n'a donc effectué aucune dénaturation des faits de l'espèce.
Par un mémoire, enregistré le 8 juin 2017, le ministre du travail présente ses observations sur l'appel formé par M. C...et demande à la cour de bien vouloir faire droit à son appel.
Il fait valoir qu'il s'associe à l'ensemble des moyens soulevés par le requérant ainsi qu'à ses conclusions ; en toute hypothèse, il n'a commis aucune erreur de droit puisque la faute n'est caractérisée que si le salarié diffuse une information de l'entreprise sans lien avec la situation sociale de celle-ci ni avec les activités syndicales de l'intéressé ; le ministre a d'ailleurs suivi les conclusions du rapport de contre-enquête de la DIRECCTE.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac,
- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,
- et les observations de MeB..., représentant M.C....
Considérant ce qui suit :
1. M. A...C..., salarié en qualité d'ingénieur d'études par la société Artal Technologies, laquelle exerce une activité de développement de logiciels informatiques de supervision pour les domaines du spatial, de l'aéronautique, de la défense et de l'aviation civile, a été élu membre titulaire de la délégation unique du personnel le 17 mai 2010, pour une durée de quatre ans. Il a contribué à administrer et à alimenter un blog dénommé " sud artal.blogpost ", diffusé sur internet et ouvert au public sans restriction d'accès, et dont la teneur des commentaires, vis-à-vis des dirigeants et de la société, ainsi que la diffusion de documents internes à la société, ont conduit son employeur à demander, le 15 juin 2012, l'autorisation de procéder à son licenciement pour motif disciplinaire. Par décision du 2 août 2012, l'inspecteur du travail a rejeté cette demande. Saisi d'un recours hiérarchique par la société Artal Technologies, le ministre du travail de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a, par décision du 25 février 2013, d'une part, annulé la décision de l'inspecteur du travail du 2 août 2012, et, d'autre part, refusé d'autoriser le licenciement de M. C.... M.C..., aux moyens et conclusions duquel s'associe le ministre du travail, fait appel du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 31 mars 2016 en ce qu'il a annulé la décision du ministre du travail du 25 février 2013 en tant qu'elle refuse l'autorisation de licencier M. C...et en ce qu'il lui a enjoint de procéder au réexamen de la demande d'autorisation de licenciement présentée par la SAS Artal Technologies.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, M. C...fait valoir que le jugement n'est pas suffisamment motivé en ce qu'il ne démontre pas qu'il serait l'auteur des diffusions et commentaires postés sur le " blog sud-artal ". Cependant, par le point 4 de leur jugement, les premiers juges ont, après avoir cité l'article 9 de son contrat de travail, exposé, notamment en se référant au rapport d'expertise prescrit par les ordonnances des 28 décembre 2011, 18 janvier et 6 février 2012 du tribunal de grande instance de Toulouse, les raisons pour lesquelles ils ont considéré que M. C...devait être considéré comme étant l'auteur des faits qui lui sont reprochés par son employeur et pour lesquelles il avait méconnu son obligation de confidentialité. Par suite, le jugement est suffisamment motivé eu égard à la matérialité, à l'imputabilité et à la qualification des faits en litige.
3. En second lieu, si M. C...fait grief au jugement de s'être fondé sur des moyens dont il n'était pas saisi, il n'étaye pas ce moyen des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.
Sur le bien-fondé du jugement :
.4. Il ressort de son courrier à l'inspecteur du travail en date du 15 juin 2012 que la société Artal Technologies a demandé l'autorisation de procéder au " licenciement disciplinaire " de M.C..., en se fondant notamment sur la faute qu'il aurait commise " en ayant permis et favorisé la diffusion sur un blog public, créé sous le nom de " la section syndicale Sud Artal ", de déclarations et d'informations mensongères et dénigrantes au préjudice de notre société et de ses dirigeants et représentants et, par ailleurs, de documents de nature confidentielle par détermination de la loi ".
5. Il n'est pas contesté que M.C..., en sa qualité d'ingénieur d'études, occupait des fonctions de cadre, qui l'amenaient nécessairement à avoir des contacts avec les clients et fournisseurs de la société et qu'il était également membre titulaire de la délégation unique du personnel. Il n'est également pas contesté que la société oeuvrait dans le domaine du spatial et de l'aéronautique, mais aussi de la défense et était ainsi, de par ses missions, habilitée " confidentiel défense " par la direction générale de l'aviation civile. A cet égard d'ailleurs, l'article 9 du contrat de travail de M. C...lui imposait une obligation de confidentialité. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier du rapport d'expertise de M.D..., prescrit par les ordonnances précitées du tribunal de grande instance de Toulouse, mais également des pièces produites par la société, que M. C...était à la fois administrateur, modérateur et contributeur du blog sud-artal, ouvert sur internet au public sans aucune condition particulière d'accès, qu'il en a été identifié comme contributeur via l'adresse IP de son ordinateur et a d'ailleurs utilisé plusieurs adresses IP pour alimenter ce blog. Ainsi, et alors que sa seule qualité d'administrateur le rendait responsable des informations postées, il apparaît qu'il a diffusé sur ce site des informations sur un éventuel rachat de l'entreprise, mais également sur son fonctionnement propre, qu'il a inséré des liens hypertexte à partir desquels les visiteurs dudit blog ont pu accéder à des documents internes à l'entreprise, tels que les réponses de la direction aux questions posées à la réunion des délégués du personnel, le projet d'accord sur le temps de travail ou sur les frais de déplacement, documents qui, s'ils avaient été communiqués au comité d'entreprise où M. C...occupait les fonctions de secrétaire, étaient encore à l'état de projets et n'étaient donc pas encore destinés à être rendus publics.
6. Lorsque le licenciement d'un salarié légalement investi de fonctions représentatives est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Un agissement du salarié intervenu en-dehors de l'exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de ce contrat. (CE, TSE Express Médical, 27 mars 2015, 371174 et al., B) En outre, le licenciement du salarié peut être justifié par des faits commis en dehors de l'exécution du contrat de travail et dépourvu par conséquent de caractère fautif, lorsque ces faits sont de nature, compte tenu de leur répercussion sur le fonctionnement de l'entreprise, à rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, eu égard à la nature des fonctions de l'intéressé et à l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail. (11BX01224 ; 12MA03909).
7. Comme l'a relevé à bon droit le ministre du travail, l'autorité administrative a l'obligation de se prononcer sur la base de la qualification retenue par l'employeur dans sa demande et n'a pas le pouvoir de procéder à une requalification de celle-ci. En l'espèce, il est constant que l'employeur a sollicité une autorisation de licenciement pour faute. Cependant, le ministre a fondé sa décision de refus sur la circonstance que les agissements de M. C...n'ayant pas été commis dans l'exécution de son contrat de travail, ils ne pouvaient donner lieu à l'engagement d'une procédure de licenciement fondée sur un motif disciplinaire. Ce faisant, il n'a pas recherché effectivement, par la seule mention " de l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail " si les agissements en cause avaient méconnu les dispositions de l'article 9 du contrat de travail de l'intéressé, quand bien même leur violation n'a pas été explicitement invoquée par l'employeur dans sa demande, ou à tout le moins l'obligation de loyauté qu'a tout salarié vis-à-vis de son employeur, obligation qui ne saurait cesser même dans le cadre de ses fonctions représentatives -qu'au demeurant M. C...n'exerçait pas lorsqu'il a alimenté le blog à l'aide des informations en litige. Dans ces conditions, c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, avait entaché sa décision refusant d'autoriser le licenciement de M. C...d'une erreur de droit et que, pour ce seul motif, elle devait être annulée.
8. Il résulte de tout ce qui précède que M. C...n'est pas fondé à se plaindre de ce que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision du ministre du travail de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social du 25 février 2013, en tant qu'elle refuse à la société SAS Artal Technologies l'autorisation de licencier M.C....
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la SAS Artal Technologies, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande M. C...sur ce fondement. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. C...la somme que demande cette société sur ce même fondement.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. C...et les conclusions présentées par la SAS Artal Technologies sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...C..., à la société Artal Technologies et au ministre du travail.
Délibéré après l'audience du 8 octobre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
M. Pierre Bentolila, président-assesseur,
Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 5 novembre 2018.
Le rapporteur,
Florence Rey-GabriacLe président,
Pierre Larroumec
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre du travail, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition certifiée conforme.
Le greffier,
Cindy Virin
7
N° 16BX01769