Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 6 juin 2017 et 22 novembre 2017, M. et Mme B..., représentés par Me Briard, avocat, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'Etat à leur verser les sommes de 1 200 118,87 euros en réparation des préjudices subis du fait de la faute commise par l'administration fiscale ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement est irrégulier, dès lors d'une part qu'il ne vise ni n'analyse avec une précision suffisante les conclusions et moyens des parties, et d'autre part que tous les mémoires échangés n'ont pas été communiqués ;
- depuis les décisions Krupa et Favreau, le principe selon lequel toute illégalité est une faute conduit à regarder toute imposition, primitive ou supplémentaire, abandonnée à la suite d'une réclamation contentieuse ou à la suite d'un dégrèvement d'office, comme fautive ; dès lors, en retenant " les circonstances particulières de l'espèce et notamment à l'état de la jurisprudence ", le tribunal a commis une erreur de droit ;
- l'administration fiscale disposait dès l'examen de la situation fiscale personnelle des requérants de tous les éléments nécessaires pour porter une appréciation correcte sur les différentes opérations litigieuses effectuées et notamment sur la circonstance que la condition de dépouillement immédiat et irrévocable des époux B... en faveur de leurs enfants était remplie dès la signature des actes ;
- la faute est renforcée par la circonstance que l'administration fiscale n'a pas prononcé de dégrèvement postérieurement à l'arrêt du Conseil d'Etat Motte-Sauvaige, en date du 30 décembre 2011, qui a rappelé que l'abus de droit ne peut être mis en oeuvre qu'à la condition que l'acte de donation présente un caractère fictif, lequel se manifeste par l'absence de dépouillement immédiat et irrévocable des donateurs dès la signature de l'acte ;
- s'agissant des préjudices, la somme de 6 000 euros à laquelle l'Etat a déjà été condamné le 9 avril 2014 par le Conseil d'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peut s'analyser comme indemnisant totalement les requérants des dépenses exposées pour leur défense, et ce préjudice s'élève à 443.721,95 euros déduction faite des 6 000 euros ; il convient également de retenir la somme de 61 338,56 euros correspondant au montant de l'expertise produite dans le cadre de la présente instance, ainsi que les frais bancaires, qui s'élèvent à 82 904,62 euros, les charges fiscales et sociales subies à la suite des rachats partiels des contrats d'assurance-vie, le manque à gagner lors de la cession de la résidence principale, les frais divers et les troubles dans les conditions d'existence.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 19 septembre 2017 et 11 janvier 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête et fait valoir que les moyens ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 23 novembre 2017, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 2 février 2018.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme G...,
- les conclusions de M. Normand, rapporteur public,
- et les observations de Me E..., représentant M. et Mme B....
M. et Mme B... ont produit une note en délibéré enregistrée le 7 octobre 2019.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B... ont fait l'objet d'un examen de leur situation fiscale personnelle au titre de l'année 2003, au terme duquel l'administration a mis en oeuvre la procédure de l'abus de droit de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales pour écarter comme fictives les donations des actions et parts de sociétés consenties par les intéressés à leurs enfants le 4 octobre 2003, et leur a notifié des rectifications en matière d'impôt sur le revenu et de contributions sociales. Par un arrêt du 1er septembre 2011 n°10BX0205l, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel de M. et Mme B... contre le jugement du tribunal administratif de Poitiers rejetant leur demande de décharge de ces impositions. Les requérants se sont alors acquittés, selon un calendrier négocié avec l'administration fiscale, du paiement de la somme totale de 6 556 241 euros. Toutefois, par une décision n° 353822 du 9 avril 2014, le Conseil d'Etat a prononcé la décharge de ces impositions. Les appelants ont alors saisi le tribunal administratif de Pau d'une demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à leur verser les sommes de 1 200 118,87 euros en réparation des préjudices subis du fait de la faute commise par l'administration fiscale dans le cadre de la procédure d'imposition et de 25 000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait de la méconnaissance de leur droit à un délai raisonnable de jugement. Ils relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Pau du 6 avril 2017 en tant que le tribunal a rejeté leur demande tendant à la réparation du préjudice subi du fait de la faute commise par l'administration fiscale.
Sur la régularité du jugement :
2. Dans leur requête introductive d'instance, les appelants soutiennent que " le jugement attaqué ne vise ni n'analyse avec une précision suffisante les conclusions et moyens des parties et spécialement ceux invoqués par les requérants " et qu'" Il sera également établi dans un mémoire complémentaire ultérieur que la décision attaquée a été rendue à la suite d'une procédure irrégulière, tous les mémoires échangés entre les parties n'ayant pas été régulièrement notifiés ". Le mémoire complémentaire enregistré le 22 novembre 2017 n'apportant aucun développement supplémentaire s'agissant de ces moyens, ils doivent être écartés comme non assortis des précisions suffisantes pour permettre à la cour d'en apprécier le bien-fondé.
Sur la responsabilité de l'Etat :
3. Une faute commise par l'administration lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt est de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard du contribuable ou de toute autre personne si elle leur a directement causé un préjudice. Un tel préjudice, qui ne saurait résulter du seul paiement de l'impôt, peut être constitué des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des troubles dans ses conditions d'existence dont le contribuable justifie. Le préjudice invoqué ne trouve pas sa cause directe et certaine dans la faute de l'administration si celle-ci établit soit qu'elle aurait pris la même décision d'imposition si elle avait respecté les formalités prescrites ou fait reposer son appréciation sur des éléments qu'elle avait omis de prendre en compte, soit qu'une autre base légale que celle initialement retenue justifie l'imposition. Enfin l'administration peut invoquer le fait du contribuable ou, s'il n'est pas le contribuable, du demandeur d'indemnité comme cause d'atténuation ou d'exonération de sa responsabilité.
En ce qui concerne la faute de l'administration fiscale :
4. La décision n° 353822 du 9 avril 2014 par laquelle le Conseil d'Etat a prononcé la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu mis à la charge de M. et Mme B... au titre de l'année 2003, du fait du défaut de bien-fondé de ces impositions, révèle l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité des services fiscaux.
En ce qui concerne les préjudices :
5. En premier lieu, les frais de justice, s'ils ont été exposés en conséquence directe d'une faute de l'administration, sont susceptibles d'être pris en compte dans le préjudice résultant de l'illégalité fautive imputable à l'administration. Toutefois, lorsque l'intéressé a fait valoir devant le juge une demande fondée sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le préjudice est intégralement réparé par la décision que prend le juge sur ce fondement ; il n'en va autrement que dans le cas où le demandeur ne pouvait légalement bénéficier de ces dispositions. En l'espèce, il résulte de l'instruction que, M. et Mme B... ayant pu bénéficier de ces dispositions, les frais exposés pour leur défense ont fait l'objet d'une appréciation d'ensemble dans ce cadre qui exclut toute demande indemnitaire de ce chef sur un autre fondement juridique.
6. En deuxième lieu, M. et Mme B... demandent que leur soit versée la somme de 61 338,56 euros, qu'ils affirment avoir eux-mêmes versée en rémunération d'un " rapport d'expertise " de M. A... du 24 février 2015, qui selon eux a permis d'identifier les préjudices et de rédiger un rapport d'expertise financière susceptible de leur permettre d'obtenir une indemnisation. Toutefois, ce rapport se borne à donner une liste de préjudices et de pièces justificatives et ne présente pas d'utilité pour la résolution du présent litige.
7. En troisième lieu, les requérants soutiennent que pour procéder au paiement des impositions en cause, ils se sont trouvés dans l'obligation de procéder à des rachats partiels sur les contrats de capitalisation ASTER et SERENIS des sociétés civiles MAE, MBE1 et MPE1, sociétés transparentes dont ils détiennent la quasi-totalité des parts, lesquels rachats ont été soumis à fiscalité pour un montant total de 238 153 euros. Toutefois, d'une part, ils n'établissent pas avoir été contraints de procéder à ces rachats pour régler les impositions en cause, et d'autre part, ils n'établissent ni même n'allèguent que la fiscalité à laquelle ils ont ainsi été soumis aurait été moins lourde s'ils avaient procédé à ces rachats dans d'autres circonstances.
8. En quatrième lieu, les requérants soutiennent qu'ils ont été contraints de céder leur résidence principale située à Saint-Yrieix-sur-Charente le 20 novembre 2013, pour un prix de 400 000 euros, alors que sa valeur a été estimée par leur notaire à 500 000 euros. Toutefois, d'une part, ils n'établissent pas avoir été contraints de procéder à la vente de ce qui n'était plus leur résidence principale depuis 2009, leur déclaration de revenus au titre de cette année faisant apparaitre une résidence principale à Biarritz, d'autre part, l'estimation du notaire dont ils se prévalent date du 8 mars 2011, soit plus de deux ans et demi avant la vente. S'ils soutiennent également que " les frais, impôts et taxes ont été payés sur cet immeuble durant le laps de temps au cours de l'hypothèque ", et évaluent ce préjudice à la somme de 15 000 euros, ils n'apportent pas d'éléments de nature à justifier l'existence et le montant de ce préjudice.
9. En cinquième lieu, si les requérants soutiennent avoir exposé des frais de déplacements lié à la gestion du contentieux qui les opposait à l'administration fiscale, pour un montant total de 25 000 euros, ils n'en justifient pas.
10. En sixième lieu, il résulte de l'instruction que, pour régler, selon le calendrier négocié avec l'administration fiscale, les impositions dont le Conseil d'Etat a prononcé la décharge dans sa décision n° 353822 du 9 avril 2014, M. et Mme B... ont contracté un prêt auprès de la banque Indosuez, lequel a entrainé le paiement d'intérêts à concurrence de 70 379,52 euros et des frais de dossier pour un montant de 150 euros, soit une charge totale de 70 530 euros. Contrairement à ce que soutient le ministre, ni les intérêts moratoires versés lors du remboursement des impositions en cause, en exécution de la décision du Conseil d'Etat, à concurrence de la somme de 475 703,26 euros, qui ont pour seul objet de tenir compte de la durée pendant laquelle les contribuables ont été privés des sommes correspondantes, ni la circonstance que les bénéficiaires des donations consenties par les intéressés ont bénéficié d'un dégrèvement des droits de mutation à titre gratuit sur lequel l'administration n'a pu revenir du fait de la prescription ne sont de nature à réparer ce préjudice. Les requérants ont ainsi droit à l'indemnisation de ce chef préjudice, qui trouve sa cause directe et certaine dans la faute de l'administration.
11. Enfin, il sera fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence dont se prévalent les requérants en leur allouant à ce titre une somme de 5 000 euros.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B... ont droit à être indemnisés de leur préjudice à concurrence de la somme totale de 75 530 euros, et sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser cette somme. Il y a lieu également de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Pau est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. et Mme B... la somme de 75 530 euros.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme B... la somme de 2000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme B... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme C... B... et au ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2019 à laquelle siégeaient :
Mme H..., présidente-rapporteure,
Mme D... F..., première-conseillère,
M. Manuel Bourgeois premier-conseiller.
Lu en audience publique, le 6 novembre 2019.
La présidente-rapporteure,
H...L'assesseur le plus ancien,
Florence F...
Le greffier,
Caroline Brunier
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 17BX01765 2