Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 28 mars et 23 octobre 2019, ainsi que le 8 janvier 2021, ce dernier mémoire arrivé après clôture n'ayant pas été communiqué, la SARL Larbre Compétition, représentée par Me C... et Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 29 janvier 2019 ;
2°) de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2011, ainsi que du complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2011 ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SARL Larbre Compétition soutient que :
- les impositions litigieuses sont prescrites, dès lors que la proposition de rectification du 18 décembre 2014 interruptive de prescription ne lui a jamais été signifiée ;
- la décision de rejet de la réclamation préalable est insuffisamment motivée, en méconnaissance de l'article R. 198-10 du livre des procédures fiscales ;
- les droits de la défense ont été méconnus et il n'y a pas eu de débat oral et contradictoire, du fait du silence de l'administration face aux réclamations du contribuable et à ses demandes répétées d'explication sur la nature et l'origine des redressements ;
- le jugement du tribunal de commerce de Poitiers aboutit à une fiction juridique qui l'a conduit à considérer que la SARL Larbre Compétition était propriétaire d'un véhicule qu'elle n'a jamais acheté ;
- l'opération était soumise à la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge ;
- le transfert de propriété ayant eu lieu en 2010, le vérificateur ne pouvait réclamer la taxe sur la valeur ajoutée afférente au titre de la période postérieure.
- les pénalités ne sont que les conséquences du jugement du tribunal de commerce de Poitiers.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 23 septembre 2019 et 12 mars 2020, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête et fait valoir que les moyens ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 2 mars 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 14 avril 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme K...,
- les conclusions de Mme E... F...,
- et les observations de Me H..., représentant la société Larbre Compétition.
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Larbre Compétition, qui a pour activité l'exploitation de véhicules automobiles de compétition, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2012, à l'issue de laquelle le service a réintégré à ses recettes le produit de la vente d'un véhicule Saleen S7R à la société Team 4H et a notifié à la SARL Larbre Compétition le rehaussement de ses résultats soumis à l'impôt sur les sociétés et les rappels de taxe sur la valeur ajoutée y afférents. La SARL Larbre Compétition relève appel du jugement du 29 janvier 2019 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté ses demandes tendant à la décharge du supplément d'impôt sur les sociétés et du complément de taxe sur la valeur ajoutée qui trouvent leur origine dans le contrôle précité.
Sur la régularité de la procédure :
2. En premier lieu, les vices qui peuvent entacher la décision par laquelle l'administrateur général des finances publiques rejette la réclamation dont il est saisi par un contribuable sont sans influence sur la régularité ou le bien fondé des impositions contestées. Dès lors, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision du 11 février 2016 rejetant la réclamation de la SARL Larbre Compétition est inopérant et doit être écarté.
3. En second lieu, la société appelante soutient que les droits de la défense auraient été méconnus et qu'elle aurait été privée d'un débat oral et contradictoire du fait du silence de l'administration face aux réclamations du contribuable et à ses demandes répétées d'explication sur la nature et l'origine des redressements. Toutefois, la garantie du débat oral et contradictoire avec le vérificateur, prévue par les dispositions de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales et la charte du contribuable vérifié, ne trouve à s'appliquer que lors du contrôle sur place du contribuable. En l'espèce, l'appelante n'allègue pas que le vérificateur se serait refusé à un tel débat lors de la vérification de comptabilité dont elle fait l'objet. En tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction que l'administration se serait abstenue de répondre aux réclamations du contribuable. Par suite, ce moyen doit être écarté.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne la prescription :
4. D'une part, aux termes de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales : " Pour l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due (...) ". Aux termes de l'article L. 176 du même livre : " Pour les taxes sur le chiffre d'affaires, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année suivant celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible conformément aux dispositions du 2 de l'article 269 du code général des impôts (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 189 du même livre : " La prescription est interrompue par la notification d'une proposition de rectification (...) ".
5. D'autre part, aux termes de l'article 651 du code de procédure civile : " Les actes sont portés à la connaissance des intéressés par la notification qui leur en est faite. La notification faite par acte d'huissier de justice est une signification. (...) ". Aux termes de l'article 654 du même code : " La signification doit être faite à personne. / La signification à une personne morale est faite à personne lorsque l'acte est délivré à son représentant légal, à un fondé de pouvoir de ce dernier ou à toute autre personne habilitée à cet effet ". L'article 655 de ce code dispose : " Si la signification à personne s'avère impossible, l'acte peut être délivré soit à domicile, soit, à défaut de domicile connu, à résidence. / L'huissier de justice doit relater dans l'acte les diligences qu'il a accomplies pour effectuer la signification à la personne de son destinataire et les circonstances caractérisant l'impossibilité d'une telle signification. (...) L'huissier de justice doit laisser, dans tous ces cas, au domicile ou à la résidence du destinataire, un avis de passage daté l'avertissant de la remise de la copie et mentionnant la nature de l'acte, le nom du requérant ainsi que les indications relatives à la personne à laquelle la copie a été remise ". Aux termes de l'article 656 du même code : " Si personne ne peut ou ne veut recevoir la copie de l'acte et s'il résulte des vérifications faites par l'huissier de justice, dont il sera fait mention dans l'acte de signification, que le destinataire demeure bien à l'adresse indiquée, la signification est faite à domicile. Dans ce cas, l'huissier de justice laisse au domicile ou à la résidence de celui-ci un avis de passage conforme aux prescriptions du dernier alinéa de l'article 655. Cet avis mentionne, en outre, que la copie de l'acte doit être retirée dans le plus bref délai à l'étude de l'huissier de justice, contre récépissé ou émargement, par l'intéressé ou par toute personne spécialement mandatée (...) ". Enfin, aux termes de l'article 658 : " Dans tous les cas prévus aux articles 655 et 656, l'huissier de justice doit aviser l'intéressé de la signification, le jour même ou au plus tard le premier jour ouvrable, par lettre simple comportant les mêmes mentions que l'avis de passage et rappelant, si la copie de l'acte a été déposée en son étude, les dispositions du dernier alinéa de l'article 656. La lettre contient en outre une copie de l'acte ".
6. Il résulte de l'instruction que la proposition de rectification du 18 décembre 2014 a été signifiée par huissier de justice à la SARL Larbre Compétition le 26 décembre 2014, au siège de la société, dont l'adresse est mentionnée sur le procès-verbal et le courrier l'accompagnant. Contrairement à ce que soutient la société, le procès-verbal de signification mentionne qu'un avis de passage a été laissé à l'adresse du destinataire, comme l'exigent les dispositions du code de procédure civile. La circonstance que le courrier adressé par l'huissier en application de l'article 658 de ce code ne serait pas signé est sans influence sur la régularité de la signification. Si la SARL Larbre Compétition fait en outre valoir que la signification par huissier serait inutile et que l'administration aurait pu se contenter d'un simple courrier en recommandé, une telle circonstance est également sans influence sur la régularité de la notification de la proposition de rectification du 18 décembre 2014. Cette proposition de rectification a interrompu la prescription, en application de l'article L. 189 du livre des procédures fiscales. Par suite, le moyen tiré de la prescription des impositions litigieuses doit être écarté.
En ce qui concerne la vente du véhicule modèle Saleen S7R :
7. Il résulte de l'instruction que le tribunal de commerce de Poitiers, saisi par la SARL Team 4H, a relevé dans un jugement du 13 mai 2013, modifié par jugement rectificatif du 4 juillet 2013, que, par contrat signé le 3 décembre 2010, la SARL Labre Compétition a vendu à la SARL Team 4H un véhicule de marque Saleen S7R pour un prix de 177 000 euros. Le jugement relève que le certificat de conformité du véhicule et la fiche d'homologation sont établis au nom de la SARL Larbre Compétition, propriétaire du véhicule, qu'un chèque de 20 000 euros a été signé par la SARL Team 4H à titre d'acompte, mais que, toutefois, M. A... G..., gérant de la SARL Larbre Compétition, y a inscrit son nom afin de pouvoir encaisser ce chèque en son nom propre. Le 22 février 2011, le solde du prix a été réglé par virement bancaire de la SARL Team 4H sur le compte de la SARL Larbre Compétition et, le 27 février 2011, une facture a été adressée à la SARL Team 4H, non pas à l'en-tête de la SARL Larbre Compétition, mais au nom de M. G..., sans mention de la taxe sur la valeur ajoutée. En outre, dans le jugement du 13 mai 2013, le tribunal de commerce a constaté la validité du contrat de vente intervenu entre les deux sociétés et a ordonné à la SARL Larbre Compétition d'adresser à la SARL Team 4H une facture mentionnant la taxe sur la valeur ajoutée. La SARL Larbre Compétition, qui n'a pas fait appel de ce jugement, a ensuite communiqué une facture à la société acheteuse, mentionnant une taxe sur la valeur ajoutée au taux de 19,6 % et d'un montant de 29 006,69 euros.
8. En premier lieu, la SARL Larbre Compétition soutient qu'elle n'a jamais été propriétaire du véhicule en cause, dès lors que c'est son gérant, M. A... G..., qui l'a acquis le 21 janvier 2011 auprès d'un particulier, M. D... I.... Toutefois, en se bornant à produire un courrier du 21 janvier 2011, qui mentionne la vente du véhicule pour un montant " toutes taxes incluses " de 141 600 euros, rédigé sur papier libre et qui n'a pas date certaine, la SARL Larbre Compétition n'apporte pas d'élément suffisant pour contredire les mentions du jugement du tribunal de commerce de Poitiers et la facture qu'elle a elle-même établie et mentionnant la taxe sur la valeur ajoutée.
9. En deuxième lieu, aux termes de l'article 38 du code général des impôts, rendu applicable en matière d'impôt sur les sociétés par l'article 209 du même code : " 1. (...) le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notamment les cessions d'éléments quelconques de l'actif, soit en cours, soit en fin d'exploitation. / 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. (...) 2 bis. Pour l'application des 1 et 2, les produits correspondant à des créances sur la clientèle ou à des versements reçus à l'avance en paiement du prix sont rattachés à l'exercice au cours duquel intervient la livraison des biens pour les ventes ou opérations assimilées et l'achèvement des prestations pour les fournitures de services (...) ".
10. Il résulte de ces dispositions que les produits correspondant à des créances sur la clientèle sont en principe rattachés à l'exercice au cours duquel intervient la livraison matérielle du bien, c'est-à-dire sa délivrance au sens du code civil. Par suite, la livraison du véhicule ayant eu lieu en février 2011, date du paiement du solde du prix, c'est à bon droit que l'administration a rattaché la vente litigieuse à l'exercice clos le 31 décembre 2011.
11. En troisième lieu, aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. / II. 1° Est considéré comme livraison d'un bien, le transfert du pouvoir de disposer d'un bien corporel comme un propriétaire (...) ". Aux termes de l'article 269 du même code : " 1. Le fait générateur de la taxe se produit : / a) Au moment où la livraison, l'acquisition intracommunautaire du bien ou la prestation de services est effectuée (...) 2. La taxe est exigible : / a) Pour les livraisons et les achats visés au a du 1 (...) lors de la réalisation du fait générateur (...) ".
12. En l'espèce, la cession en cause, réalisée par contrat signé le 3 décembre 2010 entre la SARL Labre Compétition et la SARL Team 4H, portait sur le véhicule d'occasion, de marque Saleen S7R, détenu en un exemplaire unique par la société, et donc sur un corps certain et non une chose de genre au sens du droit civil. Pour cette catégorie de biens, le transfert du pouvoir de disposer d'un bien corporel comme un propriétaire, au sens du II de l'article 256 du code général des impôts, s'opère dès que les parties ont convenu de la chose et du prix, en application de l'article 1583 du code civil. Par suite, la taxe sur la valeur ajoutée afférente à cette vente était exigible le 3 décembre 2010 et c'est à bon droit que la SARL Larbre Compétition soutient, pour la première fois en appel, que le vérificateur ne pouvait lui réclamer les droits de taxe sur la valeur ajoutée litigieux au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2011.
Sur les pénalités :
13. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40% en cas de manquement délibéré (...) ".
14. Pour justifier l'application de la majoration de 40 % pour manquement délibéré, l'administration relève que la société TEAM 4H a versé, en décembre 2010 et février 2011, à la société Larbre Compétition une somme de 177 000 euros en règlement d'un véhicule Saleen S7R, et que, à la suite du jugement du tribunal de commerce de Poitiers, la SARL Larbre Compétition a été contrainte d'établir une facture mentionnant la taxe sur la valeur ajoutée mais n'a pas retranscrit ces opérations en comptabilité ni versé la taxe correspondante. Ce faisant, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve, qui lui incombe, du caractère délibéré du manquement en cause.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Larbre Compétition est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à la décharge du complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2011. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La SARL Larbre Compétition est déchargée, en droits et pénalités, du complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre du la période du 1er janvier au 31 décembre 2011.
Article 2 : L'État versera à la SARL Larbre Compétition la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la SARL Larbre Compétition est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Larbre Compétition et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 14 janvier 2021 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
Mme J..., présidente-assesseure,
Mme Florence Madelaigue, premier conseiller.
Rendu public par dépôt au greffe le 11 février 2021.
Le président de chambre
Éric Rey-Bèthbéder
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX01350