Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 15 février 2019, Mme B..., représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du 9 août 2018 du tribunal administratif de Limoges en tant que celui-ci a limité à 1 000 euros l'indemnité à laquelle elle peut prétendre en réparation de ses préjudices ;
2°) de condamner l'État au paiement de la somme de 6 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence et de la somme de 4 000 euros au titre du préjudice matériel ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- l'illégalité de l'arrêté du préfet de la Haute-Vienne du 18 mai 2015 annulé par un jugement du tribunal administratif de Limoges du 10 décembre 2015 est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'État ;
- la responsabilité de l'État est également engagée en raison du délai anormal d'instruction de sa demande et de la tardiveté de la décision du préfet mais aussi du fait que l'État n'a pas exécuté le jugement du 10 décembre 2015 ;
- elle a été privée d'un titre de séjour qui devait lui être délivré de plein droit dès janvier 2014 et a été maintenue dans la plus grande précarité et incertitude sur son sort sans pouvoir faire le moindre projet personnel, familial et professionnel ;
- elle a ainsi subi un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence dont le montant doit être porté à la somme de 6 000 euros eu égard à la durée du préjudice ;
- son préjudice matériel doit s'établir à la somme de 4 000 euros eu égard à la perte de chance d'obtenir un emploi étant dépourvue de titre autorisant le travail et à la perte de 1 320 euros correspondant à la diminution de l'aide personnalisée au logement durant la période durant laquelle elle a été privée illégalement d'un titre de séjour.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 mai 2019, le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les premiers juges ont fait une évaluation suffisante du préjudice subi par Mme B....
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 décembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme E... F... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante ghanéenne, a fait l'objet d'un arrêté en date du 18 mai 2015 par lequel le préfet de la Haute-Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français et fixé le pays de destination. Par un jugement du 10 décembre 2015, le tribunal administratif de Limoges a annulé cet arrêté et a enjoint au préfet de la Haute-Vienne de délivrer à Mme B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de sa notification.
2. Par une demande en date du 28 janvier 2016, Mme B... a sollicité du préfet de la Haute-Vienne le versement d'une somme de 13 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de l'arrêté du 18 mai 2015 et du retard d'exécution du jugement qui lui avait enjoint de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de sa notification intervenue le même jour. Le préfet de la Haute-Vienne a implicitement rejeté sa demande. Par un jugement du 9 août 2018, le tribunal administratif de Limoges a condamné l'État à verser à Mme B... la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence, sous déduction de toutes sommes versées à titre de provision, avec intérêts au taux légal à compter du 29 janvier 2016 et de leur capitalisation au 29 janvier 2017 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date et a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires. Mme B... relève appel de ce jugement et demande la condamnation de l'État à lui verser la somme totale de 10 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité fautive de cet arrêté, du délai d'instruction et de délivrance d'un titre de séjour et du refus d'exécuter le jugement du tribunal.
Sur le bien-fondé du jugement:
En ce qui concerne la responsabilité de l'État :
3. Par décision du 18 mai 2015, le préfet de la Haute-Vienne a refusé de délivrer un titre de séjour à Mme B.... Cette décision a été annulée par jugement du tribunal administratif de Limoges du 10 décembre 2015, devenu définitif. Dès lors, cette décision est constitutive d'une illégalité fautive, de nature à engager la responsabilité de l'État envers l'intéressée.
4. Il ressort néanmoins des pièces du dossier que ce n'est que par un recours gracieux contre le refus de titre de séjour présenté par lettre du 15 juin 2015, reçue en préfecture le 22 juin 2015, que Mme B... a informé le préfet de ce que depuis son arrivée en France, elle vivait avec un compatriote titulaire d'une carte de résident et père de ses deux enfants nés à Limoges le 21 novembre 2014, sept mois plus tôt. En réponse à ce courrier, le préfet invitait le 30 juin 2015 Mme B... à compléter son dossier en fonction de ces circonstances nouvelles portées à sa connaissance. Au vu des pièces complémentaires fournies le 17 juillet 2015, le préfet réitérait néanmoins un refus de séjour le 23 novembre 2015 en raison notamment du caractère récent du séjour et de la relation maritale de l'intéressée. Il résulte de ce qui précède que, compte tenu du fait que Mme B... a informé tardivement le préfet des circonstances nouvelles de sa vie familiale, le préfet n'aurait pas été en mesure de régulariser sa situation qu'au plus tôt dans les derniers mois de l'année 2015, s'il avait tenu compte de l'intérêt supérieur des enfants dûment pris en considération par le tribunal. Ainsi, si le préfet a commis une faute en refusant de délivrer un titre de séjour à Mme B... ainsi qu'il a été dit au point précédent, en revanche, aucune faute liée au délai anormal d'instruction de sa demande de titre de séjour ne saurait lui être reprochée.
5. D'autre part, en ne déférant pas à l'injonction prononcée par le tribunal dans son jugement du 10 décembre 2015 et en ne remettant à Mme B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " qu'en septembre 2016 alors qu'il lui avait été prescrit de procéder à cette délivrance dans le délai d'un mois suivant la notification du jugement, le préfet a commis une autre faute de nature à engager la responsabilité de l'État. La circonstance invoquée par le préfet que l'intéressée ait été mise en possession d'un récépissé de demande de carte de séjour le 22 janvier 2016 puis d'un second récépissé le 2 juin 2016, l'autorisant seulement à séjourner sur le territoire français jusqu'au 1er septembre 2016, période durant laquelle elle a été convoquée au bureau de l'immigration et de l'intégration le 10 mars 2016 pour l'acquittement de la taxe correspondant au visa de régularisation nécessaire à l'obtention d'un premier titre de séjour, et que la direction territoriale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a été saisie le 11 mars 2016 et 1'a convoquée le 14 juin 2016 pour une visite d'accueil et une visite médicale, ne saurait justifier un tel retard dans l'exécution du jugement. L'appelante est donc fondée à soutenir que l'administration a manqué de diligence dans le traitement de son dossier et que le retard dans l'exécution de la décision juridictionnelle est de nature à engager la responsabilité de l'État.
6. Toutefois, l'illégalité susmentionnée et le retard excessif dans l'exécution de l'injonction précitée ne sont susceptibles d'engager la responsabilité de 1'État qu'à raison des préjudices directs et certains qui en résultent.
En ce qui concerne la réparation :
S'agissant du préjudice matériel :
7. En premier lieu, il ne résulte pas de l'instruction qu'à la date de l'arrêté du 18 mai 2015, Mme B... exerçait une activité professionnelle. Elle n'établit pas non plus avoir bénéficié, avant le refus litigieux, de promesses d'embauche qui n'auraient pas eu de suite faute pour elle d'être autorisée à exercer une activité professionnelle sur le territoire français. Dans ces conditions, l'appelante n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait été privée, du fait du refus de titre annulé ou du retard dans l'exécution de la décision juridictionnelle, d'une chance d'être engagée ni d'ailleurs, à la supposer établie, que la privation de cette chance pour la période considérée serait directement et certainement imputable auxdits refus et retard. Les conclusions de Mme B... présentées sur un tel fondement ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.
8. Mme B... soutient également que, du fait des fautes commises par le préfet, elle n'a pu percevoir la totalité des prestations de la caisse d'allocations familiales relatives à l'aide personnalisée au logement (APL). Il résulte toutefois de l'instruction et notamment de l'historique des prestations de la caisse d'allocations familiales daté du 14 mars 2017 qu'elle produit, que Mme B... et son conjoint ont bénéficié d'un montant d'APL de 328 euros de mars à décembre 2015. Ce montant est de 129 euros en janvier, février, mai et juin 2016 et de 249 euros en mars et avril 2016 puis à compter de juillet 2016. Si Mme B... soutient qu'elle n'a pu bénéficier de la totalité de cette prestation depuis le refus de séjour illégal, à compter de mai 2015 jusqu'à juillet 2016, l'historique des versements ainsi décrits ne justifie pas que la diminution du montant de l'aide trouve sa cause dans le refus qui lui a été opposé le 18 mai 2015. Par suite, les éléments versés au dossier par l'appelante ne permettent pas de tenir pour suffisamment établi que l'arrêté du 18 mai 2015 et le retard d'exécution du jugement du tribunal administratif du 10 décembre 2015 aient été la cause directe de la diminution du montant de l'APL entre mai 2015 et juillet 2016 comme elle le soutient. Les conclusions de Mme B... présentées sur ce fondement ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.
S'agissant du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence :
9. Mme B... sollicite la réparation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence à hauteur de 6 000 euros. Toutefois, en lui accordant la somme de 1 000 euros, les premiers juges ont fait une juste appréciation, compte tenu de ce qui a été dit au point 4, du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence résultant de l'irrégularité de la situation administrative dans laquelle elle a été illégalement maintenue jusqu'à l'annulation définitive de l'arrêté ainsi que, compte tenu de ce qui a été dit au point 7, de l'incertitude dans laquelle elle s'est trouvée entre janvier et septembre 2016 dans l'attente d'un titre de séjour l'autorisant notamment à travailler, résultant du retard d'exécution du jugement du tribunal annulant cet arrêté. Au demeurant le préjudice lié à la crainte d'un éloignement ne pouvait être pris en compte à compter de l'arrêté du 18 mai 2015 que quelques mois dès lors qu'elle s'est vu délivrer des récépissés de demande de titre de séjour à compter du 22 janvier 2016.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a condamné l'État à lui verser la somme de 1 000 euros et a rejeté le surplus de sa demande.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
11. Les dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que Mme B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Vienne.
Délibéré après l'audience du 17 décembre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
Mme G..., présidente-assesseure,
Mme E... F..., premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 janvier 2021.
Le président de chambre,
Éric Rey-Bèthbéder
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX0563