Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 juillet 2017, la société SCE, représentée par la SELARL Cornet-Vincent-Ségurel, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'agence de l'eau Adour-Garonne à lui verser les sommes de 2 390,10 euros au titre du manque à gagner, 10 018,89 euros TTC au titre des prestations réalisées à la date de la résiliation, assortis des intérêts moratoires à compter du 2 décembre 2013, date d'établissement du décompte de résiliation, et de leur capitalisation, et de 27 000 euros au titre du préjudice commercial et d'image.
3°) de mettre à la charge de l'agence de l'eau une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que les conclusions tendant au paiement de sommes en exécution du contrat étaient irrecevables au motif qu'elles n'avaient pas été précédées d'un mémoire de réclamation, en méconnaissance de l'article 37-2 du CCAG FCS, dès lors qu'il est de jurisprudence constante qu'une demande indemnitaire présentée à la suite d'une résiliation n'est pas subordonnée au respect des stipulations du CCAG relatives à la procédure de règlement des différends ;
- en tout état de cause, la saisine du CCIRA le 16 décembre 2013 a eu pour effet de suspendre le délai de deux mois de l'article 34 du CCAG à la suite de la notification du décompte, en application de l'article 127 du code des marchés publics, et la réclamation indemnitaire du 27 mai 2014 doit être regardée comme un mémoire de réclamation ;
- de plus, par courrier du 18 octobre 2013, elle a saisi l'agence d'un mémoire détaillé ;
- la décision de résiliation est irrégulière dès lors qu'elle a été prononcée par une autorité incompétente ;
- elle est également irrégulière pour n'avoir pas été précédée d'une mise en demeure comportant les faits reprochés et la sanction encourue, en méconnaissance de l'article 32 du CCAG ; en admettant qu'il y ait mise en demeure, le délai imparti de six jours ouvrés ne permettait pas à la société d'y satisfaire et l'agence de l'eau ne l'a pas mise en mesure de satisfaire à la mise en demeure ;
- de plus, de nombreux échanges sont intervenus postérieurement à la mise en demeure, qui affectent cette dernière de caducité ;
- la résiliation est infondée, dès lors qu'à aucun moment, contrairement à ce qu'affirme la décision de résiliation, elle n'a déclaré ne pas pouvoir exécuter ses engagements au sens de l'article 32-1 g du CCAG ; les prétendus manquements contractuels qui lui sont reprochés reposent sur des divergences d'analyse entre hydrobiologistes qui ne traduisent pas une erreur de sa part ;
- le niveau de gravité de la faute justifiant une résiliation s'apprécie au regard des seules prestations prévues au marché ; or, la décision de résiliation ne repose que sur les déterminations de dix stations ; d'ailleurs, l'agence a demandé la désignation d'un expert, sur le fondement de l'article R. 521-3 du code de justice administrative, ce qui révèle qu'aucune faute d'une gravité suffisante ne peut lui être reprochée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 octobre 2017, l'agence de l'eau Adour- Garonne, représentée par Me F..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société appelante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par ordonnance du 6 septembre 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 24 septembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- les conclusions de M. Normand, rapporteur public,
- et les observations de Me A..., représentant la société SCE, et de Me C..., représentant l'agence de l'eau Adour-Garonne.
Considérant ce qui suit :
1. Par acte d'engagement du 18 décembre 2012, l'agence de l'eau Adour-Garonne a confié à la société Stratégies, conseils, études (SCE) le lot n° 1 du marché à bons de commande relatif à la réalisation de prélèvements et analyses sur les milieux aquatiques du bassin Adour-Garonne - Rivières canaux eaux souterraines. Par décision du 4 octobre 2013, l'agence de l'eau a prononcé la résiliation pour faute de ce marché et a notifié à la société SCE le décompte de résiliation, réceptionné par cette dernière le 9 décembre 2013, mettant à la charge de la société le surcoût du marché de substitution à hauteur de 2 734,47 euros HT. La société SCE relève appel du jugement du 16 mai 2017 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ses demandes tendant à ce que l'agence de l'eau soit condamnée à lui verser les sommes de 2 390,10 euros au titre de son manque à gagner du fait de la méconnaissance des engagements minimums de commande prévus au contrats, de 11 863,12 euros au titre des prestations réalisées à la date de la résiliation et de 27 000 euros au titre du préjudice commercial et d'image.
Sur les conclusions tendant au versement de sommes en exécution du marché :
2. Aux termes des stipulations de l'article 34 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services : " 34. 1. La résiliation fait l'objet d'un décompte de résiliation, qui est arrêté par le pouvoir adjudicateur et notifié au titulaire. ". Et aux termes de l'article 37 du même cahier : " 2. Tout différend entre le titulaire et le pouvoir adjudicateur doit faire l'objet, de la part du titulaire, d'un mémoire de réclamation exposant les motifs et indiquant, le cas échéant, le montant des sommes réclamées. Ce mémoire doit être communiqué au pouvoir adjudicateur dans le délai de deux mois, courant à compter du jour où le différend est apparu, sous peine de forclusion. 3. Le pouvoir adjudicateur dispose d'un délai de deux mois, courant à compter de la réception du mémoire de réclamation, pour notifier sa décision. L'absence de décision dans ce délai vaut rejet de la réclamation. ".
3. En premier lieu, il résulte de ces stipulations qu'en cas de différend entre le pouvoir adjudicateur et le titulaire du marché, celui-ci doit adresser un mémoire de réclamation au pouvoir adjudicateur avant de saisir le tribunal administratif compétent. Cette règle s'applique à toutes les difficultés relatives aux droits et obligations des parties qui résultent de l'application du contrat, y compris, contrairement à ce que soutient la société requérante, à celles qui peuvent naître de la résiliation de celui-ci.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 127 du code des marchés publics, dans sa rédaction applicable au marché en cause : " Les pouvoirs adjudicateurs et les titulaires de marchés publics peuvent recourir aux comités consultatifs de règlement amiable des différends ou litiges relatifs aux marchés publics dans des conditions fixées par décret. (...) La saisine d'un comité consultatif de règlement amiable interrompt le cours des différentes prescriptions. / La saisine du comité suspend les délais de recours contentieux jusqu'à la décision prise par le pouvoir adjudicateur après avis du comité. (...) ". De plus, l'article 21 du cahier des clauses administratives particulières stipule : " Les dispositions de l'article 37 du CCAG FCS sont applicables. / En l'absence d'accord entre les parties, conformément aux dispositions de l'article 127 du Code des marchés publics et du décret 2010-1525 du 8 décembre 2010 relatif aux comités consultatifs de règlement amiable des différends ou litiges relatifs aux marchés, elles pourront recourir dans un 1er temps au Comité consultatif interrégional de règlement amiable des litiges (CCIRAL) situé Esplanade Charles de Gaulle à Bordeaux. / En cas de désaccord persistant, le Tribunal administratif de Toulouse situé 68 rue Raymond IV est seul compétent ".
5. Il résulte de ces dispositions et stipulations que la saisine du comité consultatif de règlement amiable n'est ouverte, comme celle du tribunal administratif, qu'après que le titulaire du marché a saisi le pouvoir adjudicateur d'un mémoire de réclamation, et que ce dernier a pris une décision de rejet de cette réclamation. Par suite, et contrairement à ce que soutient l'appelante, la saisine du comité consultatif de règlement amiable ne saurait avoir pour effet de suspendre le délai de deux mois prévu à l'article 37 du cahier des clauses administratives générales pour présenter un mémoire de réclamation.
6. En troisième lieu, la seule résiliation du marché ne peut être regardée comme ayant fait naître le différend relatif au solde du marché dont se trouve saisi la cour. C'est dès lors à compter de la notification du décompte de résiliation que le délai prévu par l'article 37 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services pour déposer une réclamation a commencé à courir. Il est constant que la société SCE a reçu le décompte de résiliation le 9 décembre 2013. Si elle soutient que, par courrier du 18 octobre 2013, elle a saisi l'agence d'un mémoire de réclamation détaillé, ce courrier est toutefois antérieur à la notification du décompte de résiliation et ne peut dès lors être regardé comme un mémoire de réclamation.
7. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit et sans entacher son jugement d'irrégularité que le tribunal administratif a rejeté les conclusions aux fins de remboursement du manque à gagner de la société SCE et de paiement des prestations réalisées à la date de la résiliation comme irrecevables, faute d'avoir été précédées d'un mémoire de réclamation présenté dans le délai de l'article 37 du cahier des clauses administratives générales.
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne le bien-fondé de la résiliation :
8. Aux termes de l'article 32.1 du cahier des clauses administratives générales : " Le pouvoir adjudicateur peut résilier le marché pour faute du titulaire dans les cas suivants : (...) g) Le titulaire déclare, indépendamment des cas prévus à l'article 30.1, ne pas pouvoir exécuter ses engagements (...) ".
9. Il résulte de l'instruction que, par bon de commande n° 000623, en exécution du marché en cause, l'agence de l'eau Adour-Garonne a confié à la société SCE la réalisation de prélèvements et d'indices biologiques reposant sur l'examen des peuplements d'invertébrés dans dix stations. Le 8 août 2013, l'agence a adressé à la société titulaire du marché un courrier dans lequel elle exposait que les échantillons lui étaient parvenus dans un état dégradé, qu'ils avaient été réexpédiés à la DREAL qui avait confirmé que le conservateur s'était échappé au fond des glacières, ce qui avait mis en évidence l'utilisation de formol, alors que, lors de la consultation, la société s'était engagée à utiliser de l'éthanol, moins toxique dans sa manipulation et moins nocif pour les hydrobiologistes chargés du contrôle. L'agence relevait également que le niveau de qualité des récipients utilisés n'était pas suffisant, avant de mettre en demeure la société de prendre les mesures nécessaires pour le 23 août au plus tard, en précisant qu'en l'absence de ces mesures, elle prononcerait la résiliation pour faute du marché. Par un nouveau courrier du 9 septembre 2013, l'agence a informé la société qu'elle avait reçu les contre-déterminations effectuées par les DREAL d'Aquitaine, du Limousin et de Midi-Pyrénées, confirmant le niveau insatisfaisant des prestations " notamment par rapport aux individus relevés dans les refus de tris qui influencent la note obtenue et donc la qualité de la station ", et l'a mise en demeure sous dix jours calendaires, de présenter des résultats de qualité, en précisant qu'à défaut d'exécution, elle prononcerait la résiliation pour faute du marché. Par courrier du 19 septembre 2013, la société a répondu qu'elle consentait " à mettre à expertise auprès de l'Université de Lorraine les taxons sur lesquels il est noté un désaccord d'identification entre les DREAL et la SCE. Pour ce faire, nous vous demandons de nous expédier les piluliers et refus de tri ". Par une décision du 4 octobre 2013, le directeur général de l'agence de l'eau Adour-Garonne a prononcé la résiliation du marché en cause, au visa du g. de l'article 32.1 du cahier des clauses administratives générales, au motif que la société SCE " n'a pas accepté de reprendre ses prestations objets du bon de commande n° 00623 notifié par courriel le 3 juin 2013 et confirmé par courrier du 21 juin 2013, dans les conditions et délais demandés ".
10. En premier lieu, comme il est rappelé au point 10 du présent arrêt, préalablement à la décision de résiliation, la société SCE s'est vu adresser deux mises en demeure de respecter ses engagements contractuels, l'une le 8 août 2013, et l'autre le 9 septembre 2013, qui comportaient l'énoncé des griefs et la sanction envisagée. La société appelante soutient que l'agence de l'eau Adour-Garonne ne l'a pas mise en mesure de satisfaire à la mise en demeure du 9 septembre 2013, dès lors, d'une part, que, malgré sa demande, elle a refusé de lui communiquer les piluliers et refus de tri, et, d'autre part, que le délai de dix jours calendaires qui lui a été laissé pour s'exécuter était très insuffisant. Il résulte toutefois de l'instruction que, dans son courrier du 19 septembre 2013, adressé à l'agence à la toute fin du délai dont elle disposait, elle n'a pas demandé les piluliers et refus de tri dans le but de satisfaire à la mise en demeure mais afin de " mettre à expertise auprès de l'Université de Lorraine les taxons sur lesquels il est noté un désaccord d'identification entre les DREAL et la SCE ". La société SCE n'a pas davantage demandé un délai supplémentaire pour satisfaire à la mise en demeure, mais a ainsi clairement manifesté son intention de ne pas y déférer.
11. En deuxième lieu, la circonstance que, postérieurement à la mise en demeure du 9 septembre 2013, par courrier du 20 septembre 2013, l'agence de l'eau Adour Garonne a tenté de parvenir à un arrangement amiable avec la société n'est pas de nature à frapper la mise en demeure de caducité.
12. En troisième lieu, si la société appelante soutient que les prétendus manquements contractuels qui lui sont reprochés reposent sur des divergences d'analyse entre hydrobiologistes qui ne traduisent pas une erreur de sa part, il résulte toutefois de l'instruction que le travail de vérification des DREAL a révélé l'existence de nombreuses erreurs de tri, aboutissant à une forte sous-estimation du nombre d'espèces et d'individus, et de détermination, et ce sur 80 % des échantillons contrôlés. Si la société soutient également que la décision de résiliation ne repose que sur les déterminations de dix stations, il résulte de l'instruction que le bon de commande n° 000623 portait sur la réalisation de prélèvements et d'indices biologiques reposant sur l'examen des peuplement d'invertébrés dans ces dix stations. Ainsi, quand bien même le cahier des clauses administratives particulières prévoyait des pénalités " pour manquements des prestations " ou " absence de résultats ", les fautes commises par la société attributaire justifiaient la résiliation du contrat. La circonstance que l'agence de l'eau aurait sollicité devant le tribunal administratif de Toulouse la désignation d'un expert, sur le fondement de l'article R. 521-3 du code de justice administrative, n'est pas de nature à établir que les fautes reprochées à l'appelante ne seraient pas établies, dès lors que cette demande d'expertise est intervenue dans un autre litige opposant les parties.
En ce qui concerne la compétence du directeur de l'agence de l'eau :
13. Lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'une décision administrative entachée d'incompétence, il appartient au juge administratif de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, si la même décision aurait pu légalement intervenir et aurait été prise, dans les circonstances de l'espèce, par l'autorité compétente. Dans le cas où il juge qu'une même décision aurait été prise par l'autorité compétente, le préjudice allégué ne peut alors être regardé comme la conséquence directe du vice d'incompétence qui entachait la décision administrative illégale.
14. Si la société SCE soutient que le directeur de l'agence de l'eau Adour-Garonne ne pouvait prononcer la résiliation du contrat sans y avoir été préalablement autorisé par le conseil d'administration de l'agence, une telle circonstance, en tout état de cause, n'est pas de nature à lui ouvrir droit à indemnité, dès lors qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la décision de résiliation était justifiée par les fautes de la société SCE.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la société SCE n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, sur ce même fondement, de mettre à sa charge, au profit de l'agence de l'eau Adour-Garonne, la somme de 1 500 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société SCE est rejetée.
Article 2 : La société SCE versera à l'agence de l'eau Adour Garonne la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée SCE et à l'agence de l'eau Adour Garonne.
Délibéré après l'audience du 17 octobre 2019 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
Mme G..., présidente-assesseure,
Mme B... D..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 14 novembre 2019.
La rapporteure,
G...Le président
Éric Rey-Bèthbéder
La greffière,
Camille Péan
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 17BX02480 2