Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 mars et 26 août 2019, le syndicat intercommunal des eaux Dordogne Eyraud Lidoire, représenté par Me Frölich, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 28 janvier 2019 ;
2°) avant-dire droit, de désigner un expert ;
3°) de condamner la société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux à lui verser la somme de 135 911,16 euros augmentée des intérêts au taux légal ;
4°) de mettre à la charge de la société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Le syndicat intercommunal des eaux Dordogne Eyraud Lidoire soutient que :
S'agissant de la régularité du jugement,
- le tribunal administratif n'a pas répondu à son moyen relatif à la faute commise par Veolia ;
- le tribunal administratif a commis une erreur de droit en jugeant que la garantie décennale n'était pas applicable ;
- le tribunal administratif a dénaturé ses conclusions, dès lors qu'elle demandait une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et que les visas du jugement mentionnent la somme de 3 000 euros ;
S'agissant du bien-fondé du jugement,
- il y a lieu de prescrire une expertise afin de déterminer le caractère décennal des désordres ;
- la société Veolia a manqué à son devoir d'information, alors qu'en vertu des articles 1.5 et 11.6, était à sa charge une obligation d'information renforcée et que l'article R. 1411-7 du code général des collectivités territoriales oblige le délégataire à rédiger un rapport annuel ; or, l'entreprise Sem a informé la société Veolia de l'existence des cloques et cette dernière s'est contentée d'indiquer en une phrase lapidaire, dans son rapport annuel 2010 l'existence de cloques, alors qu'elle aurait à tout le moins dû émettre dès 2010 une alerte " remarquable et individualisée " conformément à l'article 6.11 du contrat d'affermage ; les informations contenues dans les rapports annuels 2010 et 2011 sont contradictoires et aucun problème d'étanchéité du réservoir n'est mentionné dans les rapports 2012 et 2013, alors que la garantie décennale de la société Sotraib expirait le 23 juillet 2014 ; selon les informations délivrées par le cabinet IXI et Saretec, les rapports contenaient des informations erronées ;
- la société a également commis un manquement à l'obligation d'entretien et de réparation résultant des articles 7.1 et 7.7 du contrat d'affermage, le dommage résultant d'un défaut d'entretien de l'ouvrage, dès lors que l'enduit de la cuve a connu une dégradation progressive ;
- les travaux de reprise ont été chiffrés par l'expert à la somme de 123 555,60 euros TTC, à laquelle il faut ajouter 10 % pour le coût de la maîtrise d'œuvre.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 21 juin et 25 octobre 2019, la société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux, représentée par Me Lampe, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge du syndicat intercommunal des eaux Dordogne Eyraud Lidoire le paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le moyen tiré du manquement à l'obligation d'entretien et de réparation relève d'une cause juridique distincte et est dès lors nouveau en appel ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 25 octobre 2019, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 25 novembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Frédérique Munoz-Pauziès,
- les conclusions de Mme Florence Madelaigue,
- les observations de Me Sellier, pour le syndicat intercommunal des eaux Dordogne Eyraud Lidoire.
Considérant ce qui suit :
1. En 1999, le syndicat intercommunal des eaux Dordogne Eyraud Lidoire (ci-après SIEDEL) a délégué à la société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux (ci-après Veolia Eau) la production et la distribution d'eau potable sur le territoire des communes adhérentes. En 2004, le réservoir d'eau de Cantemerle, sur le territoire de la commune de Prigonrieux, a fait l'objet de travaux de réfection des enduits intérieurs et extérieurs, dont la maîtrise d'œuvre a été confiée à la société Ceso et les travaux à la société Sotraib. En 2015, le SIEDEL a décidé de procéder à la vidange et au lavage de la cuve Est du réservoir de Cantemerle, et, constatant la présence de cloques tant sur les parois que sur le radier de la cuve, a déclaré le 9 février 2015 le sinistre à la société Allianz, assureur responsabilité décennale de la société Sotraib. Toutefois, la société Allianz lui a opposé la forclusion. Estimant que la société Veolia Eaux, en ne l'informant pas des désordres affectant la cuve, avait commis une faute la privant de l'indemnisation desdits désordres par l'assureur de la société Sotraib, le SIEDEL a saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande tendant à ce qu'elle soit condamnée à lui verser la somme de 135 911, 16 euros. Elle relève appel du jugement du 28 janvier 2019 rejetant sa demande.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, les premiers juges ont rejeté la demande du SIEDEL tendant à la condamnation de la société Veolia Eau sur le terrain de la responsabilité contractuelle, au motif que le préjudice dont il se prévalait, consistant en la perte de chance d'obtenir réparation sur le fondement de la garantie décennale, n'était pas établi dès lors que les désordres en cause n'avaient pas de caractère décennal. Par suite, ils n'étaient pas tenus, à peine d'irrégularité de leur jugement, d'examiner le moyen tiré de la faute commise par la société Veolia-Eau.
3. En deuxième lieu, la circonstance que le tribunal administratif se serait mépris en considérant que les désordres n'avaient pas de caractère décennal est sans influence sur la régularité de leur jugement.
4. En troisième lieu, la circonstance que le jugement mentionne un montant erroné s'agissant de la somme demandée par le SIEDEL au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est une simple erreur de plume insusceptible d'entacher sa régularité.
Sur le manquement au devoir d'information incombant au délégataire :
5. D'une part, aux termes de l'article L. 1411-3 du code général des collectivités territoriales, dans sa version applicable à l'espèce, relatif aux délégations de service public : " Le délégataire produit chaque année avant le 1er juin à l'autorité délégante un rapport comportant notamment les comptes retraçant la totalité des opérations afférentes à l'exécution de la délégation de service public et une analyse de la qualité de service. Ce rapport est assorti d'une annexe permettant à l'autorité délégante d'apprécier les conditions d'exécution du service public (...) ". Aux termes de l'article R. 1411-7 du même code : " Le rapport mentionné à l'article 1411-3 (...) comprend : / I. Les données comptables suivantes : d) Un compte rendu de la situation des biens et immobilisations nécessaires à l'exploitation du service public délégué, comportant notamment une description des biens et le cas échéant le programme d'investissement, y compris au regard des normes environnementales et de sécurité (...) ".
6. D'autre part, l'article 1.5 prévoit du contrat d'affermage stipule que la responsabilité du délégataire se trouve engagée pour les " dommages corporels, matériels et immatériels qu'il est susceptible de causer ...y compris par défaut d'information de la collectivité et des tiers ". Aux termes de l'article 11.6 de ce même contrat : " Le délégataire tient la collectivité régulièrement informée de son activité. / Il lui signale, par tout moyen et dans les meilleurs délais possibles, les incidents nécessitant ou ayant nécessité une intervention urgente de la part du délégataire. Ces informations sont confirmées par écrit ". Aux termes de l'article 6.11, intitulé insuffisance des installations : " Lorsque le délégataire constate : / soit une insuffisance des installation du service, du fait d'un accroissement de la consommation imprévisible au moment de la signature du contrat, / soit un franchissement prévisible des limites ou références de qualité de l'eau distribuée (...), soit une insuffisance des ressources et biens de production en raison d'une évolution effective de la législation ou de la réglementation applicable, / il doit en informer la collectivité par lettre recommandée avec accusé de réception (...) ".
7. Il résulte de l'instruction qu'en septembre 2010, la société Veolia-Eau a confié à la société SME une opération de nettoyage du réservoir d'eau de Cantemerle, au cours de laquelle il a été constaté que le revêtement intérieur présentait des cloques, comme le relève le compte-rendu de nettoyage dressé à l'issue des opérations. Le rapport annuel dressé par le délégataire pour l'année 2010 comprend un point IV.2.4 " État général des installations ", qui précise que " Les réservoirs de Cantemerle sont l'objet d'apparitions de cloques dans l'étanchéité intérieure et laissent apparaître des traces de calcification extérieures signe de fuites. Une inspection par un expert est à envisager ", ainsi qu'un point VI.2.9, dans lequel il est préconisé de " Vérifier la tenue des enduits extérieurs réalisés sur les deux cuves du château d'eau de Cantemerle par la société Sotraib (apparition de cloques et de traces de cristallisation) ". Le rapport établi pour l'année 2011 comprend exactement les mêmes informations dans son point 3.2. Quant au rapport annuel pour l'année 2012, il relate dans un paragraphe intitulé " faits marquants " que " La reprise de l'étanchéité des enduits extérieurs du réservoir de Cantemerle a été effectuée par l'entreprise Sotraib dans le cadre de la garantie décennale ". Il en résulte que le SIEDEL a été informé dans les rapports annuels, lesquels ne comportent à ce sujet aucune contradiction, des désordres affectant les revêtements intérieur et extérieur de la cuve dès que le délégataire en a eu connaissance, mais que seuls les enduits extérieurs ont été repris en 2012. Les désordres ne pouvant être regardés comme des " incidents nécessitant ou ayant nécessité une intervention urgente de la part du délégataire ", le SIEDEL n'est pas fondé à soutenir qu'ils auraient dû faire l'objet d'une information spéciale, en application des stipulations de l'article 11.6 du contrat d'affermage, citées au point 3. De même, les désordres n'entrant pas dans le cadre de l'article 6.11 du contrat d'affermage, le SIEDEL ne peut utilement se prévaloir de ces stipulations.
8. Il résulte de ce qui précède qu'aucun manquement à son obligation d'information n'est imputable à la société Veolia-Eau. Par suite, sans qu'il soit besoin de désigner un expert pour se prononcer sur le caractère décennal des désordres en cause, le SIEDEL n'est pas fondé à soutenir que, par la faute de son délégataire, il aurait été privé d'une chance d'obtenir réparation de ces désordres auprès de l'assureur de la société Sotraib, sur le fondement de la garantie décennale.
Sur le manquement à l'obligation d'entretien :
9. Aux termes de l'article 7.1 du contrat d'affermage : " Tous les biens du service mis à disposition du délégataire sont entretenus en bon état de fonctionnement, de conservation et d'aspect et réparés par les soins du délégataire. / L'entretien à la charge du délégataire est tant préventif que curatif. Tous les travaux et prestations occasionnés directement ou indirectement par un manque d'entretien sont à la charge du délégataire (...) ". Et l'article 7.7 précise que les " réparations localisées de fissures, d'étanchéité, d'enduit, de peinture... " sont à la charge du délégataire.
10. Si le SIEDEL invoque pour la première fois en appel le défaut d'entretien de l'ouvrage qui serait imputable à la société Veolia-Eau, ce moyen, qui se rattache à la même cause juridique que celui présenté devant les premiers juges, la responsabilité contractuelle, ne constitue pas une demande nouvelle irrecevable en appel.
11. Il résulte de l'instruction, et notamment du compte-rendu de M. A... après la visite du 3 février 2015, et du rapport du cabinet Clo du 31 mai 2016, que les désordres en cause sont dus à un défaut de conception des travaux confiés en 2004 à la société Sotraib, chargée de la réalisation d'un micro-mortier, et non à un défaut d'entretien des installations confiées au délégataire. Dès lors, aucun manquement à ses obligations contractuelles ne lui est imputable.
12. Il résulte de tout de ce qui précède que le SIEDEL n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter ses conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à sa charge, sur le fondement de ces dispositions, la somme de 1 500 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du SIEDEL est rejetée.
Article 2 : Le SIEDEL versera à la société Veolia-Eau la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au syndicat intercommunal des eaux Dordogne Eyraud Lidoire et à la société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux.
Délibéré après l'audience du 23 septembre 2021 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente-assesseure,
Mme Nathalie Gay, première conseillère.
Rendu public par dépôt au greffe le 21 octobre 2021.
La rapporteure,
Frédérique Munoz-Pauziès Le président
Éric Rey-Bèthbéder
La greffière,
Angélique Bonkoungou
La République mande et ordonne au préfet de la Dordogne en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX01189