Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 juillet 2019, un mémoire en réplique et un mémoire en production de pièces, enregistrés les 12 et 16 novembre 2020, la société DDIAS GmbH, représentée par Me Simoens, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 14 mars 2019;
2°) d'annuler la décision du 6 septembre 2017 par laquelle la directrice de la direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la Martinique (DIECCTE) a prononcé une amende administrative de 1 000 euros pour les treize salariés détachés soit une amende administrative d'un montant total de 13 000 euros à l'encontre de la société Diez Daniel Automatisierungs Service GmbH conformément aux dispositions de l'article L. 1264-1 du code du travail ;
3°) à titre subsidiaire, de réduire le montant de ladite amende administrative ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la compétence de la signataire de la décision attaquée n'est pas établie ; en tout état de cause, la délégation de signature qui aurait été publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture n'a pas été soumise au contradictoire ;
- une amende administrative ayant été également prononcée à l'encontre de la société Krones, donneur d'ordre du chantier, l'amende totale prononcée pour chaque salarié est en réalité de 3 000 euros, ce qui viole l'article L. 1264-2 du code du travail dès lors qu'il prévoit qu'aucune amende supérieure à 2 000 euros ne peut être prononcée pour chaque salarié détaché ;
- à titre subsidiaire, la société DDIAS GmbH étant une société de droit allemand, elle ne pouvait connaître toutes les spécificités du droit français en Martinique ; c'était au donneur d'ordre, la société Krones, ou au maître d'ouvrage, la société Martiniquaise des Eaux de Source, de mettre en garde le sous-traitant et de faire preuve de vigilance dans l'application du code du travail, ce qui doit l'exonérer de toute responsabilité ; pour cette raison et du fait de sa bonne foi, d'autant plus que pour ne pas perdre son client français, elle s'est acquittée de l'amende mise à la charge de la société Krones, elle sollicite une réduction substantielle de l'amende qui lui a été infligée ;
- du fait de son absence de proportionnalité, la sanction est contraire au droit de l'Union européenne, et en particulier à l'article 20 de la directive 2014/67/UE, et aux articles 5 et 21 de la directive 2018/957/UE.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 juin 2020, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par la société DDIAS GmbH ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 ;
- la directive 2014/67/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 ;
- la directive 2018/957/UE du Parlement européen et du Conseil du 28 juin 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac,
- les conclusions de Mme Florence Madelaigue, rapporteure publique,
- et les observations de Mmes B... et C..., pour le ministère du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Considérant ce qui suit :
1. La société Diez Daniel Automatisierungs Service GmbH (DDIAS GmbH) est une société de droit allemand qui a pour activité des prestations de services techniques industriels. À la suite d'un contrôle effectué le 11 avril 2017, les services de la direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la Martinique (DIECCTE) ont constaté un manquement de cette société à son obligation de déclaration d'un détachement de treize salariés dans le cadre d'une prestation de service qu'elle assurait en Martinique pour la Société martiniquaise des eaux de source (SOMES), ainsi d'ailleurs qu'à son obligation de désignation du représentant de l'entreprise sur le territoire national. Par une décision du 6 septembre 2017, la directrice de la DIECCTE a infligé à la société DDIAS GbmH une amende administrative de 1 000 euros par salarié, soit un montant total de 13 000 euros, pour défaut de déclaration de détachement de treize salariés, en application des dispositions des articles L. 1264-1 et L. 1264-3 du code du travail. La société DDIAS GbmH fait appel du jugement du tribunal administratif de la Martinique, qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Il résulte de ces dispositions, destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer un mémoire ou une pièce contenant des éléments nouveaux est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité. Il n'en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pu préjudicier aux droits des parties.
3. Pour répondre au moyen tiré de l'incompétence de la signataire de la décision attaquée, le tribunal administratif s'est fondé sur une décision en date du 22 avril 2017 prise au nom du préfet de la Martinique par la directrice de la DIECCTE de la Martinique, portant subdélégation de signature à Mme D... A..., directrice adjointe de la DIECCTE et régulièrement publiée le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Martinique n° R02-2017-057. La société DDIAS GmbH fait reproche au tribunal de ne pas lui avoir communiqué cette délégation de signature et d'avoir ainsi méconnu le principe du contradictoire.
4. Cependant, ce texte ayant fait l'objet d'une publication officielle accessible à tout un chacun, notamment par internet, et eu égard au caractère réglementaire de cet acte, le tribunal administratif n'a pas méconnu le caractère contradictoire de la procédure en se fondant sur l'existence de cet arrêté du 22 avril 2017 sans en ordonner préalablement la production au dossier.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
5. L'article L. 1262-1 du code du travail permet dans certaines conditions à un employeur établi hors de France de détacher temporairement des salariés sur le territoire national, notamment dans le cas, prévu à son 1°, où le détachement est réalisé pour le compte de l'employeur et sous sa direction, dans le cadre d'un contrat conclu entre celui-ci et le destinataire de la prestation établi ou exerçant en France.
6. Aux termes de l'article L. 1262-2-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, issue de la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels : " I.- L'employeur qui détache un ou plusieurs salariés, dans les conditions prévues aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2, adresse une déclaration, préalablement au détachement, à l'inspection du travail du lieu où débute la prestation (...) ". Aux termes de l'article L. 1264-1 du code du travail dans sa version applicable, issue de la loi du 8 août 2016 : " La méconnaissance par l'employeur qui détache un ou plusieurs salariés d'une des obligations mentionnées à l'article L. 1262-2-1, à l'article L. 1262-4-4 ou à l'article L. 1263-7 est passible d'une amende administrative, dans les conditions prévues à l'article L. 1264-3 ". Aux termes de l'article L. 1264-3, dans sa version applicable : " L'amende administrative mentionnée aux articles L. 1264-1 et L. 1264-2 est prononcée par l'autorité administrative compétente, après constatation par un des agents de contrôle de l'inspection du travail mentionnés aux articles L. 8112-1 et L. 8112-5. / Le montant de l'amende est d'au plus 2 000 euros par salarié détaché et d'au plus 4 000 € en cas de réitération dans un délai d'un an à compter du jour de la notification de la première amende. Le montant total de l'amende ne peut être supérieur à 500 000 euros / Pour fixer le montant de l'amende, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur ainsi que ses ressources et ses charges. (...) ". Egalement, aux termes de l'article L. 8115-3 dudit code, dans sa version applicable : " Le montant maximal de l'amende est de 2 000 euros et peut être appliqué autant de fois qu'il y a de travailleurs concernés par le manquement. Le plafond de l'amende est porté au double en cas de nouveau manquement constaté dans un délai d'un an à compter du jour de la notification de l'amende concernant un précédent manquement ".
7. Il résulte de l'instruction que, lors d'un contrôle en date du 11 avril 2017 effectué au seine de l'usine de la SOMES, les agents de l'unité de contrôle de la DIECCTE ont constaté que treize salariés de l'entreprise prestataire allemande DDIAS GmbH effectuaient des travaux d'installation d'une nouvelle ligne de conditionnement pour l'embouteillage des boissons commercialisées par cette société martiniquaise. Les investigations menées relativement à la société DDIAS GmbH ont permis d'établir qu'aucune déclaration préalable de détachement n'avait été transmise à l'inspection du travail, cette société n'ayant par ailleurs désigné aucun représentant en France comme elle le devait. La société requérante ne conteste pas la matérialité des faits, qui doit ainsi être regardée comme établie, non plus d'ailleurs que leur qualification.
8. En premier lieu, comme il a été dit au point 3, Mme A... a reçu subdélégation de signature en cas d'empêchement de la directrice de la DIECCTE, à l'effet de signer tous actes, décisions et correspondances entrant dans le champ de compétence de la DIECCTE de la Martinique, au nombre desquels figurent les amendes administratives prises en application des dispositions des articles L. 1264-1 et L. 1264-3 du code du travail. Par suite, et alors que la société requérante ne démontre ni même n'allègue que la directrice de la DIECCTE n'aurait pas été empêchée, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée doit être écarté comme manquant en fait.
9. En deuxième lieu, l'obligation de vigilance du donneur d'ordre d'une entreprise qui détache des travailleurs résulte des dispositions des articles L. 1262-4-1 et R. 1263-12 du code du travail, la méconnaissance de cette obligation étant sanctionnée par les dispositions de l'article L. 1264-2 de ce code. Ce dispositif ne crée d'obligation de vigilance qu'à l'égard du donneur d'ordre ou du maître d'ouvrage, à la différence de l'obligation de déclaration de la liste des travailleurs détachés qui incombe au seul employeur en application des dispositions de l'article L. 1262-4-1 du code du travail, obligation qui est sanctionnée par les dispositions de l'article L. 1264-1 du même code. Il en résulte que deux obligations distinctes ont été créées par le législateur à la charge de deux personnes différentes, et que l'inexécution de l'une ou l'autre de ces obligations est sanctionnée par application de dispositions distinctes. Dans ces conditions, la DIECCTE de la Martinique pouvait légalement prononcer une amende administrative à l'égard du donneur d'ordre sur le fondement des dispositions de l'article L. 1264-2 du code du travail, ainsi qu'une amende à l'égard de la société DDIAS GmbH, qui a employé treize salariés sans déclaration préalable au détachement, sur le fondement des dispositions de l'article L. 1264-1 du code du travail. En l'espèce, il est constant que la société requérante s'est vu infliger une amende de 1 000 euros par salarié, en conformité des dispositions de cet article. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que la circonstance que le montant total des deux amendes prononcées excédait la somme de 2 000 euros par salarié était sans incidence sur leur légalité, dès lors que chacune des deux amendes respectait le montant maximum résultant des dispositions de l'article L. 1264-3 du code du travail.
10. En troisième lieu, en vertu du dernier alinéa de l'article L. 1264-3 du code du travail précité, l'autorité administrative prend en compte, pour fixer le montant de l'amende, les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur ainsi que ses ressources et ses charges. La société DDIAS Gmbh demande, à titre subsidiaire, la réduction du montant de la sanction administrative mise à sa charge, en faisant valoir sa bonne foi en raison de sa méconnaissance du droit applicable en France et du fait qu'elle se serait elle-même acquittée de l'amende mise à la charge de la société Krones pour les mêmes travailleurs détachés, société elle-même donneur d'ordre sur le chantier de la SOMES. Cependant, la somme de 13 000 euros mise à la charge de la société DDIAS GmbH, soit 1 000 euros par salarié, est d'un montant inférieur de moitié au montant maximum prévu par l'article L. 1264-3 du code du travail dans sa version applicable, alors en outre que la société s'est également rendue coupable de l'infraction d'absence de déclaration d'un représentant de l'entreprise sur le territoire français, en violation du II de l'article L. 1262-2-1 du même code, infraction qui est également susceptible, en vertu de l'article L. 1264-1 de ce code, d'être sanctionnée par une amende pouvant se cumuler avec celle qui sanctionne le défaut de déclaration préalable de détachement. En outre, il appartenait à la société requérante, de droit allemand, de se renseigner sur les règles applicables aux prestataires étrangers intervenant en France dans le cadre d'une prestation de services internationale. Enfin, l'appelante, qui ne justifie pas de ses ressources et de ses charges, n'établit pas connaître des difficultés financières, non plus
d'ailleurs qu'elle n'établit, comme elle le prétend, avoir réglé l'amende de la société Krones, circonstance qui serait au demeurant sans incidence sur le quantum de la sanction. Dans ces conditions, en mettant à la charge de la société DDIAS GmbH une amende d'un montant de 13 000 euros, la DIECCTE de la Martinique n'a pas entaché la sanction en litige de disproportion en fixant à 1 000 euros par salarié le tarif de l'amende.
11. En dernier lieu, il résulte de ce qui vient d'être dit que l'amende infligée à la société DDIAS GmbH n'étant pas disproportionnée, elle ne saurait par voie de conséquence, être contraire, pour ce motif, aux dispositions de l'article 20 de la directive 2014/67/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à l'exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services, ni à celles des articles 5 et 21 de la directive 2018/957/UE du Parlement européen et du Conseil du 28 juin 2018 modifiant la directive 96/71/CE.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la société DDIAS GmBH n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.
Sur les frais de l'instance :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société DDIAS GmbH sur ce fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Daniel Diez Automatiserungs GmbH est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Daniel Diez Automatiserungs GmbH et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 23 septembre 2021 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente-assesseure,
Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 octobre 2021.
La rapporteure,
Florence Rey-Gabriac
Le président,
Éric Rey-Bèthbéder
La greffière,
Angélique Boukoungou
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX02810