Par une requête, enregistrée le 25 mars 2020, Mme A..., représentée par Me Dumontet, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 26 février 2020 ;
2°) de condamner la commune de Valeyrac à lui verser la somme de 9 387,02 euros en réparation des préjudices occasionnés par l'arrêté du 12 janvier 2017 par lequel le maire a limité l'horaire d'ouverture du bar qu'elle exploite ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Valeyrac le paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne l'illégalité de l'arrêté du 12 janvier 2017 :
- cet arrêté est insuffisamment motivé, dès lors qu'il n'identifie pas avec précision les faits de tapage ou d'incivilité ; par ailleurs, il n'est fait état d'aucune doléance particulière, si ce n'est un procès-verbal transmis à la sous-préfecture le 3 décembre 2016 n'ayant pas été annexé à l'arrêté et dont le maire n'a jamais disposé et ignorait le contenu réel à la date d'édiction de son arrêté ; de plus, elle n'a pas été entendue à l'occasion de la rédaction du procès-verbal et n'en a jamais eu communication ;
- il n'a pas été précédé d'une procédure contradictoire, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- il est entaché d'une rétroactivité d'un an illégale ;
- il est entaché d'une erreur de fait, dès lors que rien ne justifie les troubles allégués à l'ordre public et que l'exploitation du fonds de commerce s'effectuait dans le plus grand respect du voisinage ;
- il comporte une mesure de restriction horaire disproportionnée qui traduit un détournement de pouvoir.
En ce qui concerne son droit à indemnisation :
- la responsabilité de la commune est engagée du fait de l'illégalité fautive de l'arrêté du 12 janvier 2017 ;
- le préjudice que lui a occasionné l'édiction de cet arrêté illégal s'établit à 9 387,02 euros ; cette somme comprend la perte de bénéfice net subie, à hauteur de 4 387 euros, et à son préjudice moral, à hauteur de 5 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 octobre 2021, la commune de Valeyrac, représentée par Me Trébesses, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de Mme A... le paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté du 12 janvier 2017 n'étant pas illégal, il n'existe aucun fondement permettant d'engager sa responsabilité ;
- en effet, cet arrêté est suffisamment motivé, dès lors qu'il ne revêt pas de caractère général et permettait à Mme A... de comprendre la mesure de restriction d'horaires d'ouverture édictée à son encontre ; les circonstances que le procès-verbal de gendarmerie transmis en sous-préfecture le 3 décembre 2016 ne soit ni détaillé, ni annexé à l'arrêté et n'aurait pas été communiqué à Mme A... est sans incidence sur la motivation de cette mesure dès lors qu'il a été fait état de ce procès-verbal de manière surabondante dans l'arrêt " ;
- la procédure contradictoire préalable a été respectée, dès lors que Mme A... ne pouvait ignorer ce procès-verbal et qu'elle a été convoquée par la gendarmerie afin de s'expliquer sur les nuisances générées par son établissement ; l'enquête de gendarmerie a eu lieu plus d'un mois avant l'édiction de l'arrêté litigieux ; en tout état de cause, s'il s'agissait d'une illégalité, elle n'a pas de lien direct de causalité avec le préjudice allégué, dès lors qu'il s'agit d'une illégalité formelle ou procédurale ;
- l'arrêté litigieux n'est entaché d'aucune rétroactivité illégale, dès lors que le maire a commis une erreur de plume sur la date de prise d'effet de sa décision, ce qui constitue une simple erreur matérielle qui n'a aucune incidence sur la légalité de l'arrêté ;
- la mesure de police est proportionnée, dès lors qu'elle vise uniquement à limiter les horaires d'ouverture d'un débit de boisson au regard de nombreuses plaintes du voisinage ; l'encadrement de l'activité commerciale portant sur une tranche horaire déterminée ne présente pas le caractère d'une interdiction générale et absolue ; elle ne peut ainsi s'analyser comme une interdiction d'exercer ;
- les nuisances répétées ont été constatées par la gendarmerie de Soulac qui évoque plusieurs mises en garde et une récurrence des nuisances ; elle préconise d'ailleurs une fermeture à une heure plus tôt ; elle produit plusieurs attestations rapportant des faits précis et concordants, faisant écho au rapport de la gendarmerie ; l'arrêté est ainsi fondé sur des éléments de fait établis et s'avère nécessaire, adapté et proportionné, dès lors qu'il n'existait pas d'autres moyens moins contraignants permettant de mettre un terme aux atteintes à l'ordre public ;
- il n'existe aucun lien de causalité entre l'édiction de l'arrêté litigieux et la perte de recettes de l'établissement, dès lors qu'il existait déjà une forte diminution du chiffre d'affaires à compter du mois de novembre 2016 et que les pièces comptables produites ne font pas état des horaires durant lesquels le chiffre d'affaires a été réalisé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- l'arrêté du préfet de la Gironde du 24 février 2010 fixant le régime d'ouverture et d'exploitation des débits de boisson dans le département de la Gironde ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac,
- les conclusions de Mme Florence Madelaigue, rapporteure publique,
- et les observations de Me Dumontet, représentant Mme A..., et de Me Trebesses, représentant la commune de Valeyrac.
Considérant ce qui suit :
1. Mme F... A... exploite un bar-épicerie dénommé " Chez Max ", situé 7 place du 11 novembre 1918 en centre-bourg de la commune de Valeyrac (Gironde). Par arrêté du 12 janvier 2017, le maire a fixé, à compter de cette date, l'heure limite de fermeture de cet établissement à 20 heures tous les soirs, octroyant la possibilité de dérogations " à l'occasion de fêtes locales à caractère traditionnel, de manifestations collectives, de réunions fortuites ou privées (repas de noces et banquets) ou de nécessités particulières ". Par arrêté du 24 juillet 2017, le maire a retiré cet arrêté. Mme A... fait appel du jugement du 26 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant la condamnation de la commune de Valeyrac à lui verser la somme de 11 046,61 euros en réparation des préjudices occasionnés par l'arrêté du 12 janvier 2017 et l'a condamnée à verser à la commune la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur la légalité de l'arrêté du 12 janvier 2017 :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales : " Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'État dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l'exécution des actes de l'État qui y sont relatifs ". En vertu de l'article L. 2212-2 du même code : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (...) 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ;(...) ".
3. S'il incombe au maire, en vertu des dispositions susmentionnées, de prendre les mesures qu'exige le maintien de l'ordre public, il doit concilier l'exercice de ses pouvoirs avec le respect de la liberté du commerce et de l'industrie. Le respect de la liberté d'entreprendre implique, notamment, que les personnes publiques n'apportent pas aux activités de production, de distribution ou de services exercées par des tiers, des restrictions qui ne seraient pas justifiées par l'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi. Une mesure de police administrative entravant l'exercice d'une liberté fondamentale ne peut être légalement prise que si elle est strictement nécessaire, adaptée et proportionnée à l'objectif poursuivi.
4. Pour fixer à 20 heures tous les soirs l'heure de fermeture de l'établissement " Chez Max " à compter du 12 janvier 2017, le maire de Valeyrac s'est fondé sur les nuisances répétées dans le bar et aux abords, occasionnées par la musique, les véhicules, les conversations des clients, les attroupements et les tapages injurieux.
5. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'attestation établie le 16 juin 2017 par Mme B..., domiciliée 5 place du 11 novembre 1918, et des lettres adressées à la sous-préfecture puis transmises à la gendarmerie établies les 25 février 2016 et 2 septembre 2016 par M. D..., résidant à la même adresse, que le fonctionnement de l'établissement " Chez Max ", géré par Mme A..., a engendré de nombreux troubles en soirée à l'occasion de concerts dans le cadre desquels le bar ferme entre 2 heures et 3 heures, que les clients sont à plusieurs reprises sortis en état d'ivresse très avancé malgré la perspective de devoir reprendre leurs véhicules, que certains d'entre eux partent en klaxonnant sur plusieurs dizaines de mètres malgré l'heure tardive, que des bagarres générales sont intervenues devant l'établissement entre des clients se frappant à l'aide de bouteilles en verre, de chaises et de barres de fer et se poursuivant à pied ou en voiture. M. C..., atteste pour sa part qu'un client du bar est venu le trouver le 12 novembre 2016 au soir, alors qu'il était en train de ranger la salle des fêtes communale après un loto, pour lui demander d'appeler les pompiers car un homme blessé était étendu à terre devant la porte du bar. Enfin, dans son procès-verbal du 3 décembre 2016, la gendarmerie indique qu'il " paraît indéniable que le couple D.../B... soit victime de troubles de différentes natures du fait de l'activité tardive de ce bar " et qu'il " semblerait opportun que la fermeture de cet établissement soit avancée à une heure plus tôt dans la soirée et non à 2 heures, comme cela est le cas actuellement ". La matérialité de ces faits n'est ni sérieusement contredite par les écritures de l'appelante, ni par les attestations de clients de l'établissement qu'elle produit. Elle ne l'est pas davantage par l'attestation de Mme E..., également domiciliée place du 11 novembre 1918, qui déclare que le bar " n'occasionne aucun bruit la dérangeant ", que " tout est calme " et que ses " voisins ne se plaignent pas ". Par suite, les troubles précités justifiaient que le maire prît une mesure de police sur le fondement des dispositions précitées du code général des collectivités territoriales afin de règlementer l'heure de fermeture du bar " Chez Max " de manière plus restrictive que la règlementation prévue par l'arrêté du préfet de la Gironde du 24 février 2010 fixant le régime d'ouverture et d'exploitation des débits de boisson dans le département de la Gironde dans une plage horaire allant de 6 heures du matin à 2 heures du matin.
6. Toutefois, s'il appartenait bien au maire de Valeyrac en vertu des pouvoirs de police qu'il tient du 2° de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales de fixer, en cas de nécessité dans l'intérêt du bon ordre et de la tranquillité publique, des heures de fermeture du débit de boisson " Chez Max " plus restrictives que celles fixées par le préfet, il résulte de l'instruction qu'en fixant, par l'arrêté litigieux, à 20 heures l'heure limite de fermeture du bar, sans limitation dans le temps, et ce sauf dérogations ponctuelles et exceptionnelles à l'occasion de fêtes locales à caractère traditionnel, de manifestations collectives, de réunions fortuites ou privées (repas de noces et banquets) ou de nécessités particulières, le maire a pris, dans les circonstances de l'espèce, une mesure excédant celle qui était strictement nécessaire pour que soient assurés le bon ordre et la tranquillité publique. Ainsi, il a porté une atteinte excessive à la liberté du commerce et de l'industrie.
Sur les conclusions indemnitaires :
7. L'illégalité de l'arrêté du 12 janvier 2017, alors même qu'il a été retiré le 24 juillet 2017, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Valeyrac.
8. En premier lieu, il résulte de l'instruction, et n'est pas sérieusement contesté par la commune de Valeyrac, que le résultat net de l'activité " bar " de l'établissement de Mme A... a été de 6 321,35 euros au titre de la période allant du 1er janvier 2016 au 31 juillet 2016, alors qu'il s'est établi à 1 940,33 euros au titre de la période allant du 1er janvier 2017 au 31 juillet 2017. L'établissement a donc subi une perte de bénéfice net à hauteur de 4 387,02 euros, correspondant à une baisse d'environ 70 %. Il n'est pas sérieusement contesté que cette baisse conséquente du résultat net, qui ne se retrouve pas dans l'activité " épicerie " de l'établissement, est la conséquence directe de l'application de l'arrêté litigieux. Par suite, la commune de Valeyrac doit être condamnée à verser à Mme A... cette somme de 4 387,02 euros au titre de son préjudice financier.
9. En second lieu, Mme A... demande l'indemnisation de son préjudice moral à hauteur de 5 000 euros. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 1 000 euros.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Valeyrac à lui verser une indemnité en réparation des préjudices résultant de l'illégalité fautive de l'arrêté du 12 janvier 2017 et l'a condamnée à verser à la commune de Valeyrac la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La commune de Valeyrac est condamnée à verser à Mme A... une somme de 5 387,02 euros.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, verse à la commune de Valeyrac la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Valeyrac le versement à Mme A... d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de rejeter les conclusions présentées par la commune sur ce fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1805368 du 26 février 2020 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : La commune de Valeyrac est condamnée à verser à Mme A... une somme de 5 387,02 euros (cinq mille trois cent quatre-vingt-sept euros et deux centimes).
Article 3 : La commune de Valeyrac versera la somme de 1 500 euros à Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... A... et à la commune de Valeyrac.
Délibéré après l'audience du 24 février 2022 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
Mme Frédérique Munoz-Pauziès, présidente-assesseure,
Mme Florence Rey-Gabriac, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 mars 2022.
La rapporteure,
Florence Rey-Gabriac
Le présidente,
Éric Rey-Bèthbéder
La greffière,
Angélique Bonkoungou
La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 20BX01139 2