Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 31 mai 2019, M. A..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 21 décembre 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler l'arrêté du 27 novembre 2018 du préfet de la Gironde ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde, à titre principal, de lui délivrer une attestation de demande d'asile " procédure normale ", et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement au profit de son conseil de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision de transfert aux autorités espagnoles est insuffisamment motivée au sens des dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision de transfert méconnaît les dispositions combinées de l'article 53-1 de la Constitution et de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors qu'il entretient des relations de couple avec un français, qu'il est très investi dans la cause homosexuelle et qu'il a perfectionné sa pratique de la langue française ;
- elle méconnaît les articles 14 et 15 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 dès lors que ses empreintes relevées en Espagne le 19 juin 2018 ont été transmises à l'autorité centrale le 3 juillet 2018 plus de 72 heures après leur relevé ; de plus, dès lors que les empreintes relevées en Espagne ont été transmises au système central le 3 juillet 2018 à 10h25 et 33 secondes, soit postérieurement aux empreintes relevées en France transmises au système central le 3 juillet 2018 à 10h25 et 28 secondes, les empreintes relevées ne pouvaient être comparées avec celles relevées en Espagne ;
- elle méconnaît les articles 23 et 27.4 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 août 2019, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 mars 2019 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux.
Par ordonnance du 5 juillet 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 16 septembre 2019 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n° 604/2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride et relatif aux demandes de comparaison avec les données d'Eurodac présentées par les autorités répressives des États membres et Europol à des fins répressives, et modifiant le règlement (UE) n° 1077/2011 portant création d'une agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte) ;
- le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la commission du 30 janvier 2014 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... A..., ressortissant guinéen né le 1er janvier 1990, a déclaré être entré irrégulièrement en France le 22 juin 2018 en provenance d'Espagne. Il s'est présenté le 3 juillet 2018 à la préfecture de la Gironde pour y déposer une demande d'asile. Il a résulté de la consultation de la base de données Eurodac qu'il est entré sur le territoire des États membres par l'Espagne, le 20 juin 2018, et qu'à la date de la demande d'asile en France les empreintes décadactylaires relevées par l'Espagne dataient de moins de douze mois. Les autorités espagnoles, saisies le 19 juillet 2018, d'une demande de prise en charge en application de l'article 13-1 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ont fait connaître leur accord, le 27 août 2018. Par un arrêté du 27 novembre 2018, le préfet de la Gironde a ordonné la remise de M. A... aux autorités espagnoles pour l'examen de sa demande d'asile. M. A... relève appel du jugement du 21 décembre 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. En premier lieu et aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'État responsable de cet examen. Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. (...) ".
3. M. A... soutient que le préfet se fonde exclusivement sur le relevé des empreintes décadactylaires en Espagne et leur comparaison avec les empreintes relevées en France alors que l'enregistrement des empreintes dans le système Eurodac et leur comparaison est irrégulière. Cependant, contrairement à ce que soutient l'appelant, cette critique du bien-fondé de la motivation ne peut révéler un défaut de motivation. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision de transfert pour ce motif ne peut qu'être écarté.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 14 du règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013: " 1. Chaque État membre relève sans tarder l'empreinte digitale de tous les doigts de chaque ressortissant de pays tiers ou apatride, âgé de 14 ans au moins, qui, à l'occasion du franchissement irrégulier de sa frontière terrestre, maritime ou aérienne en provenance d'un pays tiers, a été interpellé par les autorités de contrôle compétentes et qui n'a pas été refoulé ou qui demeure physiquement sur le territoire des États membres et ne fait pas l'objet d'une mesure de confinement, de rétention ou de détention durant toute la période comprise entre son interpellation et son éloignement sur le fondement de la décision de refoulement. / 2. L'État membre concerné transmet, dès que possible et au plus tard 72 heures après son interpellation, au système central les données suivantes relatives à tout ressortissant de pays tiers ou apatride se trouvant dans la situation décrite au paragraphe 1 et qui n'a pas été refoulé : / a) données dactyloscopiques (...) ". Ces dispositions ont pour seul objet de favoriser le renseignement de la base de données centrale de collecte et d'enregistrement des empreintes dactyloscopiques et son actualisation dans les meilleurs délais. En toute hypothèse, l'obligation, qui pèse sur l'État membre qui procède à l'interpellation d'un ressortissant de pays tiers ou apatride qui franchit irrégulièrement sa frontière en provenance d'un pays tiers, de saisir les données dactyloscopiques dans le fichier central dans un délai maximum de 72 heures après cette interpellation, est sans incidence sur la légalité de l'arrêté pris sur le fondement de ce relevé dactyloscopique par un autre État membre et qui ordonne le transfert de ce ressortissant vers l'État responsable de l'instruction de sa demande d'asile qui n'intervient pas automatiquement sur le fondement de ce relevé mais résulte uniquement de l'acceptation de ce transfert par l'État compétent. Par suite, la circonstance que le relevé des données dactyloscopiques de M. A..., réalisé le 20 juin 2018 par les autorités espagnoles, a été transmis au fichier central le 3 juillet 2018, soit au-delà du délai de 72 heures prévu par les dispositions précitées, est sans influence sur la légalité de l'arrêté de transfert pris par le préfet de la Gironde.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 15 de ce même règlement (UE) n° 603/2013: " 1. Les données visées à l'article 14, paragraphe 2, sont enregistrées dans le système central. / Sans préjudice de l'article 8, les données transmises au système central en vertu de l'article 14, paragraphe 2, sont enregistrées uniquement aux fins de leur comparaison avec les données relatives à des demandeurs d'une protection internationale transmises ultérieurement au système central et aux fins prévues à l'article 1er, paragraphe 2 (...) ". Ces dispositions ont pour seul objet de définir la finalité et la destination des données enregistrées dans le fichier central en application du 2 de l'article 14 du règlement (UE) n° 603/2013. Par suite, et dès lors qu'ainsi qu'il a été dit, la décision de transfert ne résulte pas de l'antériorité de la transmission des données mais de la date à laquelle elles ont été relevées et de l'acceptation du transfert par les autorités espagnoles, l'appelant ne saurait utilement s'en prévaloir au motif que ses données dactyloscopiques saisies par les autorités espagnoles ont été transmises au fichier central, le 3 juillet 2018, quelques secondes après la transmission des mêmes données saisies par les autorités françaises. Au demeurant, il résulte des dispositions de ce règlement qu'un résultat positif ne peut intervenir que par comparaison avec des données déjà présentes dans le système, un État membre n'ayant pas accès aux données des autres États.
6. En quatrième lieu, pour les motifs exposés aux points 4 et 5, l'appelant ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des articles 23 et 27.4 de ce même règlement.
7. En cinquième lieu, au soutien du moyen tiré de ce que l'arrêté de transfert aurait été pris en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, M. A... ne se prévaut devant la cour d'aucun élément de fait ou de droit nouveau par rapport à l'argumentation développée en première instance et ne critique pas la réponse apportée par le tribunal administratif. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge.
8. En sixième et dernier lieu, en vertu de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (...) ". Si la mise en oeuvre, par les autorités françaises, des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 doit être assurée à la lumière des exigences définies par les dispositions du second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, en vertu desquelles les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif, la faculté laissée à chaque État membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
9. L'appelant se prévaut de sa relation de concubinage avec un ressortissant français, de son adhésion à l'association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et transsexuelles à l'immigration et au séjour, et de ses efforts pour maîtriser la langue française dès son arrivée en France. Toutefois, ces circonstances ne suffisent pas à faire regarder la décision du préfet comme entachée d'une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire de compétence prévue à l'article 17 du règlement précité.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Gironde en date du 27 novembre 2018. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 6 novembre 2019 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président-rapporteur,
Mme F..., présidente-assesseure,
Mme C... D..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 28 novembre 2019.
Le rapporteur,
Florence D...Le président,
Éric Rey-Bèthbéder
La greffière
Caroline Brunier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX02146