Par une requête, enregistrée le 10 avril 2020, et un mémoire enregistré le 22 février 2021, la fédération départementale des chasseurs de la Seine-Maritime, représentée par Me Laurent Beuvin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de mettre à la charge de l'Office national des forêts la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'environnement ;
- le code forestier ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Baes-Honoré présidente-assesseure,
- les conclusions de Gloux-Saliou, rapporteur public,
- et les observations de Me Philippe Duboc, représentant la fédération départementale des chasseurs de la Seine-Maritime.
Considérant ce qui suit :
1. La fédération départementale des chasseurs de Seine-Maritime relève appel du jugement du 14 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Rouen a annulé la délibération n° 6 du 21 avril 2018 par laquelle son assemblée générale a adopté le budget prévisionnel et le montant des cotisations exigibles des adhérents de l'association pour la saison de chasse 2018-2019.
Sur la recevabilité de la requête d'appel :
2. D'une part, aux termes de l'article 6 des statuts de la fédération adoptés le 21 avril 2018, en vigueur à la date de l'introduction de la requête d'appel : " (...) Le président est habilité, sur mandat du conseil d'administration, à agir en justice tant en demande qu'en défense (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 5 de ces statuts : " (...) Ne peut être candidate au conseil d'administration : (...) 3° Toute personne étant ou ayant été depuis moins de trois ans soit rémunérée ou appointée par la fédération (...) Tout administrateur qui ne répond plus à l'une des conditions du présent article est réputé démissionnaire. "
4. Il ressort des pièces du dossier que, par délibération du 31 mars 2020, le président de la fédération des chasseurs de Seine-Maritime a été mandaté par le conseil d'administration de la fédération pour introduire une requête d'appel, conformément aux stipulations de l'article 6 des statuts. Pour contester la qualité pour agir du président de la fédération, l'Office national des forêts ne peut utilement soutenir que ce dernier devait être réputé démissionnaire en application des stipulations de l'article 5 des statuts, dès lors qu'il n'appartient pas au juge administratif de vérifier la régularité du mandat qui lui est présenté.
5. Il résulte de ce qui précède la fin de non-recevoir opposée par l'Office national des forêts doit être écartée.
Sur la recevabilité de la requête de première instance :
6. Aux termes de l'article D. 222-7 du code forestier : " Le conseil d'administration délibère sur les matières suivantes : (...) 17° Les actions en justice (...) ". L'article D. 222-8 du même code dispose : " Le conseil d'administration peut déléguer au directeur général de l'office dans les conditions et sous les réserves qu'il juge utiles certaines de ses attributions, à l'exception de celles mentionnées aux 1° à 6°, 8°, 9°, 15° et 16° de l'article D. 222-7. / La délégation est renouvelée après renouvellement du conseil d'administration. ". Selon l'article D. 222-12 de ce code : " Le directeur général dirige l'Office national des forêts et assure le fonctionnement de l'ensemble des services. (...) Il représente l'office en justice et dans tous les actes de la vie civile. (...) ".
7. D'une part, par une résolution n° 2013-02 du 27 mars 2013, prorogée pour une durée de cinq ans par une résolution n° 2016-08 du 12 octobre 2016, le conseil d'administration de l'Office national des forêts a donné délégation à son directeur général, pour la durée de son mandat, en ce qui concerne les actions en justice.
8. D'autre part, les dispositions précitées n'accordent pas une délégation en fonction de la personne du délégataire mais prévoient la possibilité que puissent être conférés au directeur général, en sa qualité propre, les pouvoirs normalement dévolus au conseil d'administration pour agir au nom de l'office en justice. Cette délégation a vocation à s'appliquer pendant la durée indiquée et ne se trouve pas affectée par les changements intervenus dans la personne du directeur général.
9. Enfin, il se déduit des dispositions précitées de l'article D. 222-12 du code forestier, selon lesquelles le directeur général de l'Office national des forêts le représente en justice, que nonobstant la démission du directeur général de l'office de ses fonctions, son directeur général par intérim, qui a bénéficié d'une délégation par une résolution n° 2018-05 du 28 juin 2018, avait qualité pour représenter régulièrement l'Office dans le cadre de la première instance.
10. Il en résulte de ce qui précède que la fin de non-recevoir opposée par la fédération départementale des chasseurs de Seine-Maritime doit être écartée.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif :
11. Aux termes de l'article L. 421-5 du code de l'environnement : " Les associations dénommées fédérations départementales des chasseurs (...) conduisent des actions de prévention des dégâts de gibier et assurent l'indemnisation des dégâts de grand gibier dans les conditions prévues par les articles L. 426-1 et L. 426-5. (...) ". L'article L. 421-8 du même code dispose dans sa version applicable au litige : " (...) IV. - L'adhésion est constatée par le paiement à la fédération d'une cotisation annuelle dont les montants, qui peuvent être distincts selon qu'il s'agit de l'adhésion d'un chasseur ou du titulaire de droits de chasse, sont fixés par l'assemblée générale, sur proposition du conseil d'administration. / Les adhérents sont également redevables des participations éventuelles décidées par la fédération pour assurer l'indemnisation des dégâts de grand gibier, en application de l'article L. 426-5. " Selon l'article L. 426-5 de ce code : " (...) / Dans le cadre du plan de chasse mentionné à l'article L. 425-6, il est institué, à la charge des chasseurs de cerfs, daims, mouflons, chevreuils et sangliers, mâles et femelles, jeunes et adultes, une contribution par animal à tirer destinée à financer l'indemnisation et la prévention des dégâts de grand gibier. Le montant de ces contributions est fixé par l'assemblée générale de la fédération départementale ou interdépartementale des chasseurs sur proposition du conseil d'administration. / La fédération départementale ou interdépartementale des chasseurs prend à sa charge les dépenses liées à l'indemnisation et à la prévention des dégâts de grand gibier. Elle en répartit le montant entre ses adhérents ou certaines catégories d'adhérents. Elle peut notamment exiger une participation personnelle des chasseurs de grand gibier et de sanglier, une participation pour chaque dispositif de marquage, une participation des territoires de chasse ou une combinaison de ces différents types de participation. Ces participations peuvent être modulées en fonction des espèces de gibier, du sexe, des catégories d'âge, des territoires de chasse ou unités de gestion (...) ".
12. Aux termes de l'article R. 426-1 du code de l'environnement : " Les opérations relatives à la prévention et à l'indemnisation des dégâts causés aux cultures et aux récoltes agricoles par le grand gibier, menées par les fédérations départementales ou interdépartementales des chasseurs, font l'objet d'une comptabilité distincte qui retrace notamment : (...) 2° En charges : (...) e) Le financement des charges de personnels affectés à la prévention et à l'indemnisation des dégâts de grand gibier (...) ".
13. Aux termes de l'article 10 des statuts de la fédération départementale des chasseurs de Seine-Maritime : " (...) Les comptes de la fédération sont établis suivant le plan comptable applicable aux associations. / En outre, ce plan comptable fait notamment apparaître : 2) Une comptabilité autonome est affectée à la prévention et à l'indemnisation des dégâts de grand gibier faisant figurer : (...) b) le charges comprenant : (...) - le financement des charges de personnels affectés à la prévention et à l'indemnisation des dégâts de grand gibier ; (...) ".
14. Les dispositions précitées de l'article R. 426-1 du code de l'environnement prévoient ainsi que les frais des personnels affectés à la prévention et à l'indemnisation des dégâts de grand gibier doivent être retracés au sein d'un compte distinct.
15. Il ressort des pièces du dossier, et notamment de l'attestation du 7 avril 2020 de l'expert-comptable de la fédération départementale des chasseurs de Seine-Maritime, que cette dernière dispose d'une comptabilité analytique permettant de retracer les charges et les produits. Les charges sont ainsi réparties entre la rubrique " dégâts " et la rubrique " fonctionnement général ", et le document de réalisation du budget 2018/2019 produit en appel détaille, dans sa rubrique " dégâts ", le montant des rémunérations versées, des charges sociales et des taxes sur le salaire.
16. Dans ces conditions, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, les frais de personnel n'apparaissent pas dans leur intégralité sur le compte de fonctionnement, mais sont bien distingués selon l'affectation de ce personnel.
17. Par suite, la fédération départementale des chasseurs de la Seine-Maritime est fondée à soutenir que sa comptabilité est conforme aux dispositions de l'article R. 426-1 du code de l'environnement et que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a prononcé l'annulation de la délibération contestée pour violation des articles L. 421-8, L. 426-5 et R. 426-1 du code de l'environnement et de l'article 10 des statuts de la fédération.
18. Il y a lieu pour la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'ensemble des autres moyens présentés par l'Office national des forêts à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de cette délibération.
Sur les autres moyens invoqués par l'Office national des forêts :
19. Aux termes de l'article R. 426-1 du code de l'environnement : " Les opérations relatives à la prévention et à l'indemnisation des dégâts causés aux cultures et aux récoltes agricoles par le grand gibier, menées par les fédérations départementales ou interdépartementales des chasseurs, font l'objet d'une comptabilité distincte qui retrace notamment : 1° En produits : a) Le produit des contributions mentionnées à l'article L. 426-5 ; / b) Le produit des participations mentionnées à l'article L. 426-5 ; / c) Le montant des aides accordées par la Fédération nationale des chasseurs pour la prévention et l'indemnisation des dégâts de grand gibier ; / d) Le montant des sommes que la fédération a obtenues en application des articles L. 426-3, L. 426-4, L. 425-5-1 et L. 425-11 ; / e) Les produits des placements financiers des ressources mentionnées aux a, b, c et d. (...) "
20. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 421-8 et L. 426-5 du code de l'environnement citées au point 11 et de celles de cet article R. 426-1 que la prévention et l'indemnisation des dégâts de grand gibier doivent être financées à titre principal par la contribution ou les participations spéciales que prévoient les dispositions de l'article L. 426-5 du code de l'environnement et que la cotisation due par les bénéficiaires d'un plan de chasse au titre du grand gibier, qui ne constitue ni une contribution ni une participation au sens de ces dispositions, ne peut pas servir à financer l'indemnisation des dégâts de grand gibier.
21. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier, et notamment du compte rendu de l'assemblée générale du 21 avril 2018, que l'augmentation de la cotisation en litige a été décidée pour faire face à l'augmentation des indemnisations versées en raison des dégâts provoqués par les sangliers, ce qui n'est au demeurant pas contesté en défense. Or il résulte de ce qui a été dit au point précédent que cette affectation de recettes est illégale.
22. Ainsi, l'Office national des forêts est fondé à soutenir que la fixation du montant de la cotisation procède d'une erreur de droit et à demander, pour ce motif, l'annulation de la délibération du 21 avril 2018.
23. Il résulte de tout ce qui précède que la fédération départementale des chasseurs de la Seine-Maritime n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement du 14 février 2020, le tribunal administratif de Rouen a annulé la délibération du 21 avril 2018.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
24. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Office national des forêts, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la fédération départementale des chasseurs de la Seine-Maritime demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
25. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la fédération départementale des chasseurs de la Seine-Maritime une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par l'Office national des forêts et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la fédération départementale des chasseurs de la Seine-Maritime est rejetée.
Article 2 : La fédération départementale des chasseurs de la Seine-Maritime versera à l'Office national des forêts une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la fédération départementale des chasseurs de la Seine-Maritime et à l'Office national des forêts.
N° 20DA00628 5