- les conclusions de M. Gloux-Saliou, rapporteur public,
- et les observations de Me Sandrine Galipon, représentant la société CEPE La Tirroye.
Considérant ce qui suit :
1. La société CEPE La Tirroye a déposé le 5 février 2018 une demande d'autorisation environnementale d'exploiter un parc éolien composé de 8 aérogénérateurs et 3 postes de livraison sur les communes de Bucilly et Eparcy. Par un arrêté en date du 19 mars 2020, le préfet de l'Aisne a rejeté sa demande. La société pétitionnaire demande à la cour l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la motivation :
2. Le refus d'autorisation litigieux, qui énonce les éléments de fait et de droit sur lesquels il se fonde, est suffisamment motivé. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.
En ce qui concerne la saisine de l'autorité environnementale :
3. Aux termes de l'article R. 181-34 du code de l'environnement : " Le préfet est tenu de rejeter la demande d'autorisation environnementale dans les cas suivants : (...) 3° Lorsqu'il s'avère que l'autorisation ne peut être accordée dans le respect des dispositions de l'article L. 181-3 ou sans méconnaître les règles, mentionnées à l'article L. 181-4, qui lui sont applicables. (...) ".
4. Si l'article R. 181-19 du code de l'environnement prévoit la saisine de l'autorité environnementale dans les 45 jours suivant l'accusé de réception de la demande d'autorisation environnementale, aucune disposition ni aucun principe ne prévoit que cette autorité doive rendre un avis avant un rejet de la demande en phase d'examen préalable sur le fondement de l'article R. 181-34 du code de l'environnement. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure doit être écarté.
En ce qui concerne l'atteinte portée à la faune :
5. Aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. (...) ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique (...) ".
En ce qui concerne le risque d'atteinte à l'avifaune :
6. D'une part, il résulte de l'instruction qu'à proximité du site d'implantation, se trouvent des boisements et notamment la zone de protection spéciale " Forêt de Thiérache : Hirson et Saint-Michel ". Il résulte également de l'annexe 5 à l'étude d'impact que la forêt de Thiérache a une population estimée de 5 à 8 couples de cigognes noires, dont 3 à 4 couples dans les forêts de Saint-Michel et d'Hirson à environ 3 kilomètres du projet, 0 à 1 couple dans la forêt de la Haye d'Aubenton située à environ 2,3 kilomètres de la zone d'implantation et 2 à 3 couples en forêt de Nouvion à environ 15 kilomètres du projet. Et l'étude écosphère compte entre 7 à 10 couples plus ou moins réguliers autour d'Hirson.
7. D'autre part, la cigogne noire est considérée comme étant en danger au niveau national et figure sur la liste rouge des oiseaux menacés de France, et comme étant en danger critique d'extension en Picardie. Il résulte de l'étude d'impact qu'elle " présente un enjeu régional de conservation considéré comme très fort ".
8. Enfin, il résulte de l'instruction que la distance maximale connue de déplacement de cette espèce pour la recherche alimentaire est de 20 kilomètres. Si la requérante soutient qu'en période de reproduction la cigogne noire est principalement forestière alors que le projet se situe sur des parcelles agricoles, il résulte de l'étude écosphère qu'il existe une fréquentation au moins occasionnelle des milieux ouverts et que les observations d'adultes hors milieu forestier concernent principalement la période, de mai à début juillet, de nourrissage des jeunes, notamment à partir d'un certain âge qui autorise les adultes à les laisser seuls au nid. L'étude Axeco qualifie quant à elle le risque de collision de " moyen à fort en fin de reproduction avec l'émancipation des jeunes ".
9. Dans les circonstances de l'espèce, le projet litigieux présente le risque d'avoir des répercussions non négligeables sur la population locale de cigognes noires.
En ce qui concerne les mesures d'évitement et de réduction :
10. Au titre des mesures d'évitement, la pétitionnaire a choisi une variante d'implantation permettant un éloignement de la vallée du Ton et consistant notamment à réduire le nombre de machines dans le secteur bocager. Toutefois, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, ce choix ne permet pas de supprimer les risques pour les cigognes noires.
11. Au titre des mesures de réduction, la pétitionnaire a prévu de valoriser les milieux ouverts prairiaux et, s'agissant de la cigogne noire, d'améliorer la qualité des parcelles de zones humides fréquentées par la cigogne en quête de nourriture. Néanmoins, il ne résulte pas de l'instruction que cette valorisation serait de nature à limiter suffisamment les risques de collision.
12. La pétitionnaire envisage également de mettre en place un système de détection automatique des oiseaux de type Dt-Bird, permettant d'émettre un signal sonore d'effarouchement et/ou un signal de demande d'arrêt de l'éolienne qui sera alors stoppée immédiatement.
13. Toutefois, si la société a versé au dossier des études selon lesquelles le système permettra de détecter toutes les cigognes noires à 397 mètres, il résulte de l'étude d'impact que cette technologie, permettant de réduire le risque de collision, évolue encore. En l'absence de données plus précises et objectives, il ne résulte pas de l'instruction que le système ainsi proposé soit susceptible de réduire à un niveau acceptable les risques élevés d'atteinte à cette espèce.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par son arrêté du 19 mars 2020, le préfet de l'Aisne a rejeté sa demande d'autorisation d'exploiter.
15. Par voie de conséquence, les conclusions de la requête à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société CEPE La Tirroye est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société CEPE La Tirroye et à la ministre de la transition écologique.
Copie en sera transmise pour information au préfet de l'Aisne et aux communes de Bucilly et d'Eparcy.
Délibéré après l'audience publique du 1er mars 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Heinis, président de chambre,
- Mme Corinne Baes-Honoré, présidente-assesseure,
- Mme Naïla Boukheloua première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 mars 2022.
La présidente-rapporteure,
Signé : C. Baes-HonoréLe président de la 1ère chambre,
Signé : M. A...
La greffière,
Signé : C. Sire
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
Christine Sire
N° 20DA00847 2