Par une requête et un mémoire récapitulatif, enregistrés le 16 mars 2017 et le 16 mai 2019, le centre hospitalier de Péronne, représenté par Me J... C..., demande à la cour :
1°) à titre principal, de surseoir à statuer dans l'attente des conclusions de la nouvelle expertise diligentée par une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif d'Amiens le 28 novembre 2016 ;
2°) d'annuler le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 2 février 2017 et de renvoyer l'affaire à ce tribunal pour qu'il soit statué sur les conclusions indemnitaires des consorts E... ;
3°) à titre subsidiaire, de réduire à de plus justes proportions la somme de 117 160,78 euros que le centre hospitalier a été condamné à verser à la succession de Mme K... E... ;
4°) de limiter à 1 500 euros la somme demandée par les ayants droit de Mme E... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Muriel Milard, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Anne-Marie Leguin, rapporteur public,
- et les observations de Me B... H..., représentant les consorts E....
Considérant ce qui suit :
1. Mme K... E..., alors âgée de quarante et un ans, a subi, lors de l'anesthésie générale pratiquée le 17 mars 1987 durant son accouchement à la maternité du centre hospitalier de Péronne, un choc allergique ayant entraîné des conséquences viscérales majeures alors qu'elle présentait des antécédents de choc allergique lors d'une précédente anesthésie pratiquée dans le même établissement le 12 avril 1985. Par un jugement du 4 novembre 1996, devenu définitif, le tribunal administratif d'Amiens, après avoir estimé que le centre hospitalier de Péronne avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité, a notamment condamné cet établissement à verser à Mme E... la somme de 1 130 000 francs soit 172 267,38 euros en indemnisation des préjudices subis ainsi qu'une somme de 5 000 francs, soit 762,2451 euros à chacun des enfants de Mme E.... A la suite de l'aggravation de son état de santé, Mme E... a sollicité la réalisation d'une nouvelle expertise dont le rapport a été déposé le 30 mars 2015. Mme E... est décédée le 4 décembre 2015. Le centre hospitalier de Péronne, qui ne conteste pas l'engagement de sa responsabilité au titre de l'aggravation des préjudices résultant de la faute commise, non encore indemnisés, ni le lien de causalité entre ceux-ci et cette faute, relève appel du jugement du 2 février 2017 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a partiellement fait droit aux demandes des ayants droit de Mme E... et l'a condamné à verser à la succession de Mme E... la somme de 117 160,78 euros au titre de l'aggravation des préjudices subis et à ses filles, Mme D... E..., Mme I... E... épouse A..., Mme G... E... et Mme F... E..., chacune, la somme de 2 000 euros au titre du préjudice moral subi. Les consorts E... demandent, à titre subsidiaire, par la voie de l'appel incident, de condamner le centre hospitalier de Péronne à leur verser une somme globale de 153 766,27 euros au titre du préjudice subi par leur mère jusqu'à son décès ainsi qu'une somme de 10 000 euros à chacune au titre du préjudice moral.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, le juge, auquel il incombe de veiller à la bonne administration de la justice, n'a aucune obligation, hormis le cas où des motifs exceptionnels tirés des exigences du débat contradictoire l'imposeraient, de faire droit à une demande de sursis à statuer formulée par une partie. Il n'a pas davantage à motiver le refus qu'il oppose à une telle demande. En l'espèce, si le centre hospitalier de Péronne avait demandé au tribunal administratif d'Amiens de surseoir à statuer dans l'attente des résultats de la nouvelle expertise diligentée le 28 novembre 2016 et quand bien même les consorts E... n'étaient pas opposés à cette demande, le tribunal administratif n'était nullement tenu de faire droit à celle-ci. En statuant sur la requête au fond présentée par les consorts E..., le tribunal administratif d'Amiens a nécessairement entendu rejeter la demande de sursis à statuer formulée par le centre hospitalier de Péronne. Dès lors, les moyens tirés de ce que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé en ce qu'il ne précise pas les motifs du rejet de la demande des parties tendant à ce qu'il soit sursis à statuer et de ce que les premiers juges auraient statué " ultra-petita " en ne faisant pas droit à cette demande de sursis à statuer doivent être écartés.
3. En second lieu, si le préjudice résultant du besoin de l'assistance par une tierce personne antérieurement à la date de consolidation et celui résultant du déficit fonctionnel permanent ont été évalués par les premiers juges à une somme supérieure à celles demandées à ce titre par les ayants droit de Mme E..., le centre hospitalier de Péronne n'est pour autant pas fondé à soutenir que le tribunal administratif d'Amiens aurait statué au-delà des conclusions dont il était saisi dès lors que le montant total des indemnités allouées à la succession de Mme K... E... par le jugement attaqué n'a pas excédé celui de la totalité des demandes présentées en première instance.
4. Il résulte de ce qui précède, et sans que la circonstance qu'un nouveau rapport d'expertise ait été déposé devant le tribunal administratif d'Amiens le 10 mars 2017 ne fasse obstacle à ce que la cour statue au vu des conclusions de la précédente expertise déposée le 30 mars 2015, que le jugement attaqué n'est entaché d'aucune irrégularité.
Sur l'évaluation des préjudices de Mme K... E... :
En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :
Quant aux dépenses de santé :
5. Les consorts E... demandent le remboursement des dépenses de santé laissées à la charge de Mme E... correspondant aux achats de médicaments intervenus les 25 novembre 2011 et 7 juin 2012 et justifient de ces dépenses qui s'élèvent respectivement aux sommes de 23,75 euros et de 45,88 euros. Ces dépenses relatives à des anti-diarrhéiques, du potassium, de la vitamine E, de l'hydrocortisone, de calcium, de levothyroxine et de phosphore sont en lien direct et certain avec l'aggravation de l'état de santé de Mme E.... Par suite, il y a lieu d'allouer aux consorts E... une somme globale de 69,63 euros à ce titre.
Quant aux frais divers :
6. Les consorts E... justifient par les factures produites avoir supporté les dépenses afférentes à l'achat d'un rehausseur WC pour un montant de 15,12 euros, d'un bassin de lit et d'un care-bag de protection pour un montant de 26,46 euros, d'un tapis de douche adapté d'un montant de 14,90 euros et d'un sac pour chaise percée pour un montant de 18,90 euros. Ces équipements étant nécessaires à Mme E..., selon le rapport d'expertise, en raison de l'aggravation de son état de santé, il y a ainsi lieu de porter la somme de 60,52 euros allouée à ce titre à 75,38 euros.
S'agissant des dépenses d'assistance par une tierce personne :
Quant à la période avant consolidation :
7. Il ressort du rapport d'expertise que Mme E... a eu besoin de l'assistance temporaire d'une tierce personne à raison d'une heure quinze minutes par jour sept jours sur sept, pour les besoins de la vie courante et de deux heures par semaine pour les travaux ménagers, périodes d'hospitalisation exclues, à compter du 1er janvier 2012 jusqu'à la consolidation de son état de santé fixée au 19 janvier 2015. Cette aide lui a été apportée selon les dires de l'expert par une femme de ménage financée par une association et par une aide de vie venant 30 minutes le matin et 45 minutes le soir, financée par Mme E... à hauteur d'un tiers. Il résulte tout d'abord de l'instruction, notamment du rapport d'expertise que les quatre filles de Mme E... effectuaient, soit des passages quotidiens pour certaines, des permanences le week-end, les vacances pour les autres et que cet entourage familial était mis à contribution pour de nombreuses tâches domestiques. Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de retenir une assistance non spécialisée apportée pour les deux-tiers par ses filles et pour le tiers restant par une auxiliaire de vie rémunérée par Mme E.... En se fondant sur un taux horaire de 13 euros correspondant au coût de l'aide non spécialisée que nécessitait l'état de santé de Mme E..., périodes d'hospitalisation de 16 jours exclues, du 1er janvier 2012 au 26 août 2014, date à laquelle le département de la Somme a versé à Mme E... une somme mensuelle de 347,02 euros au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie calculée à partir d'un forfait de 29 heures, le coût de l'assistance par une tierce personne de Mme E... pour la période concernée assurée pour les deux-tiers, par ses filles, sur une période de 949 jours, soit 136 semaines à raison de 10 heures par semaine sur une base annuelle de 412 jours peut être évalué à la somme de 19 960,72 euros. En ce qui concerne la période du 26 août 2014 au 19 janvier 2015, date de consolidation de l'état de santé de Mme E..., en application des mêmes règles que celles retenues précédemment, le coût de l'assistance par une tierce personne peut être évalué sur une période de 21 semaines à la somme de 881,78 euros à laquelle il convient de rajouter la somme de 711,40 euros au titre des frais de l'aide-ménagère apportée par la société A2micile de septembre à décembre 2014. La somme qu'il convient d'allouer aux requérantes s'élève ainsi à la somme de 1 593,18 euros. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu, par suite, de porter la somme de 20 275,96 euros allouée par les premiers juges à la succession de Mme E... à la somme de 21 553,90 euros au titre du préjudice lié aux besoins temporaire d'assistance par une tierce personne.
Quant à la période après consolidation :
8. Il ressort du même rapport d'expertise que l'intéressée a eu besoin de l'assistance d'une tierce personne à raison de 3 heures par jour, sept jours sur sept, pour les besoins de la vie courante et à raison d'une heure par jour pour les travaux ménagers à compter du 19 janvier 2015. En se fondant sur un taux horaire moyen de rémunération, tenant compte des charges patronales, fixé à 13 euros, incluant les congés payés, le montant au titre des frais d'aide par tierce personne assurée pour les deux-tiers, par ses filles à compter du 19 janvier 2015, date de consolidation de son état de santé jusqu'au 4 décembre 2015, date du décès de Mme E..., à raison de 28 heures par semaine sur une période de 42 semaines sur une base annuelle de 412 jours s'élève à la somme totale de 17 260,15 euros. A cette somme, il convient d'enlever le montant de l'allocation personnalisée d'autonomie versée à Mme E... pendant la période considérée soit 3 625,76 euros. La somme allouée aux consorts E... s'élève ainsi à 13 634,39 euros pour la période concernée à laquelle il convient de rajouter la somme de 1 088,08 euros au titre des frais de l'aide-ménagère apportée par la société A2micile pour les mois de janvier à octobre 2015. La somme qu'il convient d'allouer à la succession de Mme E... s'élève ainsi à la somme de 14 722,47 euros. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu, par suite, de porter la somme de 14 266,24 euros allouée par les premiers juges à la succession de Mme E... à la somme de 14 722,47 euros au titre du préjudice lié aux besoins temporaire d'assistance par une tierce personne après consolidation jusqu'au décès de Mme E... le 4 décembre 2015.
9. Il résulte de l'instruction que Mme E... n'exerçait pas d'activité professionnelle ni au moment de son accouchement en 1987, ni lors de l'aggravation de son état de santé en 2002. Les consorts E... qui se bornent à soutenir que leur mère était titulaire d'une licence en droit et qu'après avoir élevé ses enfants, elle aurait pu avoir une activité professionnelle, ne justifient pas que celle-ci s'était engagée dans une démarche de recherche d'emploi. Par suite, l'existence d'une incidence professionnelle en lien direct avec l'aggravation de son état de santé ne peut être tenue pour établie.
En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :
S'agissant des préjudices temporaires :
Quant au déficit fonctionnel temporaire :
10. D'une part, Mme E... a subi une période de déficit fonctionnel temporaire total lors de ses hospitalisations des 7 novembre 2002, 2 avril 2004, 15 décembre 2004, du 24 au 27 avril 2006, du 8 au 9 juin 2006, du 13 septembre 2006, du 27 juillet 2007, du 31 octobre 2008, du 10 août 2011, du 12 au 16 septembre 2011, du 27 mars 2012, du 31 mai 2012, du 25 juillet 2012, du 23 avril 2013 et du 3 au 15 avril 2014 ainsi que trois demi-journées par semaine pour la période du 1er janvier 2012 au 19 janvier 2015 correspondant aux séances de dialyses. Il sera fait une juste appréciation de ce poste de préjudice en l'évaluant à la somme de 3 792 euros sur une période de 269 jours hors périodes d'hospitalisation de 32 jours mais en ajoutant 3 demi-journées par semaine de dialyse à compter du 1er janvier 2012, soit 237 jours, sur la base de 16 euros par jour.
11. D'autre part, elle a subi une période de déficit fonctionnel temporaire partiel évalué à 60 % du 1er janvier 2002 au 1er janvier 2012 dont 10 % sont liés à l'aggravation du préjudice, une période de déficit fonctionnel temporaire partiel évalué à 70 % du 1er janvier 2012 au 1er mars 2014 dont 20 % sont liés à l'aggravation du préjudice et une période de déficit fonctionnel temporaire partiel évalué à 80 % du 1er mars 2014 au 19 janvier 2015, date de consolidation de son état de santé dont 30 % sont liés à l'aggravation du préjudice de Mme E..., hors périodes d'hospitalisation et séances de dialyses. Il sera fait une juste appréciation de ce poste de préjudice en l'évaluant à la somme de 5 840 euros sur une période de 3 650 jours pour la période du 1er janvier 2002 au 1er janvier 2012, sur la base de 16 euros par jour. Il peut être évalué à 1 353,60 euros sur la même base horaire à raison de 423 jours pour la période du 1er janvier 2012 au 1er mars 2014 et à 148,80 euros pour la période du 2 mars 2014 au 19 janvier 2015. Au total, il y a ainsi lieu de porter la somme de 10 773 euros allouée au titre de ce chef de préjudice à la succession de Mme E... par les premiers juges à la somme totale de 11 134,40 euros.
Quant aux souffrances endurées :
12. Les douleurs éprouvées par Mme E... ont été estimées par le rapport d'expertise à 4,5 sur une échelle de 7 eu égard aux multiples pathologies douloureuses, aux fractures de côtes, aux poses de cathéters pour la dialyse et à une greffe cutanée. Il a été fait une juste appréciation de ce poste de préjudice par les premiers juges en l'évaluant à la somme de 10 000 euros.
S'agissant des préjudices permanents :
Quant au déficit fonctionnel permanent :
13. Il ressort du rapport d'expertise, que l'incapacité permanente partielle de 50 % dont était atteinte Mme E..., depuis la consolidation de son état de santé intervenue le 19 janvier 2015, doit être réévaluée au taux de 70 % en raison de l'aggravation de son état de santé. Le préjudice en résultant peut être évalué pour une femme âgée de 69 ans à la date de consolidation à 50 000 euros. Cependant, compte tenu de l'espérance de vie moyenne de 18 ans à cet âge donné et de son décès intervenu onze mois après la date de consolidation, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en ramenant la somme de 50 000 euros allouée par les premiers juges à 3 000 euros.
Quant au préjudice esthétique permanent :
14. Le préjudice esthétique supplémentaire de Mme E... a été estimé par le rapport d'expertise à 4,5 sur une échelle de 7 compte tenu des déplacements presque permanents en fauteuil roulant, des anomalies cutanées constamment visibles au niveau des deux mains et du visage et également de l'aspect des membres et du tronc prématurément vieilli avec de multiples zones cicatricielles et atrophiques. Compte tenu de ces séquelles, il a été fait une juste évaluation de ce chef de préjudice par les premiers juges en le fixant à la somme de 10 000 euros.
Quant au préjudice d'agrément :
15. S'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que Mme E... a subi une altération de sa vie sociale et familiale, les consorts E... ne justifient pas d'un préjudice d'agrément spécifique susceptible d'être indemnisé, distinct du déficit fonctionnel permanent. Dès lors, c'est à bon droit, que les premiers juges ont rejeté la demande présentée à ce titre.
16. Il résulte des points 6 à 15, que l'indemnité due par le centre hospitalier de Péronne à la succession de Mme E... fixée à la somme de 117 160,78 euros par le tribunal doit être ramenée à la somme de 70 555,782 euros à laquelle il convient d'ajouter l'indemnisation des frais de crème hydratante évaluée par les premiers juges pour un montant non contesté par les parties de 1 785,06 euros soit la somme de 72 340,84 euros.
Sur l'évaluation des préjudices de Mme D... E..., Mme I... E..., Mme G... E... et Mme F... E... :
17. Il sera fait une juste appréciation du préjudice moral que les filles de Mme E... ont subi du fait de la dégradation de l'état de santé de leur mère en portant la somme de 2 000 euros chacune allouée par les premiers juges à la somme de 4 000 euros chacune.
Sur les frais liés à l'instance :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge du centre hospitalier de Péronne, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement aux consorts E... d'une somme au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 117 160,78 euros que le centre hospitalier de Péronne a été condamné à verser à la succession de Mme E... est ramenée à 72 340,84 euros.
Article 2 : La somme que le centre hospitalier de Péronne a été condamné à verser à Mme D... E..., à Mme I... E... épouse A..., à Mme G... E... et à Mme F... E..., est portée de 2 000 euros chacune à 4 000 euros chacune.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête du centre hospitalier de Péronne et les conclusions d'appel des consorts E... sont rejetés.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 2 février 2017 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Péronne, à Mme D... E..., à Mme I... E... épouse A..., à Mme G... E..., à Mme F... E... et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Somme.
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N°17DA00498