Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 1er juillet, 25 novembre et 31 décembre 2021, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter les conclusions de première instance de Mme B....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Aurélie Chauvin, présidente-assesseure, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., ressortissante géorgienne née le 10 juin 2000, est entrée en France le 7 janvier 2016, munie d'un visa de court séjour valable du 4 janvier 2016 au 28 janvier 2016. Elle a bénéficié d'une carte de séjour temporaire en qualité d'étranger malade valable du 7 mai 2019 au 16 février 2020. Le 5 février 2020, Mme B... a sollicité le renouvellement de son titre de séjour sur le fondement du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 4 décembre 2020, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer le titre sollicité, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel du jugement du 28 mai 2021 par lequel le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté, lui a enjoint de délivrer à Mme B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois et a mis à sa charge la somme de 1 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : / (...) / 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé (...) ".
3. Il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de ces dispositions, de vérifier, au vu de l'avis émis par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, que cette décision ne peut avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans le pays dont l'étranger est originaire. Lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause dans son pays d'origine. Si de telles possibilités existent mais que l'intéressé fait valoir qu'il ne peut en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment aux coûts du traitement ou en l'absence de modes de prises en charge adaptés, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.
4. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... souffre d'une pathologie rare, diagnostiquée en France, qui nécessite un traitement médical, un régime alimentaire strict et la coordination de plusieurs spécialistes (gastro-entérologues, pneumologues, nutritionnistes, chirurgiens). Elle bénéficie à ce titre d'une injection par voie intramusculaire toutes les quatre semaines de Sandostatine LP, médicament sous sa forme dite " retard " d'analogue de la somatostatine, au sein du service d'hépato-gastroentérologie du centre hospitalier universitaire de Rouen qui coordonne sa prise en charge. Il ressort des pièces du dossier et, notamment, des certificats médicaux en date des 3 septembre 2020, 4, 8 janvier et 15 décembre 2021 du praticien hospitalier qui la suit que cette forme " retard " de la somatostatine n'est pas disponible en Géorgie et que le traitement et son administration par voie intramusculaire dont la nécessité n'est pas contestée dans sa situation, ne doit pas être substitué. Si le préfet de la Seine-Maritime fait valoir comme en première instance que le médicament SANDOSTATINE LP 30mg est également commercialisé sous le nom de C..., lequel figure sur une liste qu'il indique émaner de l'agence de régulation des activités médicales et pharmaceutiques de Géorgie placée sous le contrôle du ministère du travail, de la santé et des affaires sociales de ce pays, il se borne à produire des copies d'écran et à renvoyer sur des sites internet géorgiens qui ne permettent pas de justifier qu'à la date de l'arrêté contesté, le médicament sous sa forme " retard " injectable par voie intramusculaire était bien disponible en Géorgie, alors que l'intéressée a fourni une attestation d'un laboratoire attestant qu'il ne l'était pas en 2020 et une réponse de la même agence de régulation qui indique que le produit " sous la dénomination LP " n'est pas enregistré sur le marché. Ainsi, Mme B... justifie suffisamment qu'elle ne pourrait bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine, dont le défaut pourrait avoir pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Il suit de là que le préfet de la Seine-Maritime n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 4 décembre 2020 pour méconnaissance des dispositions citées au point 2.
6. Mme B... a obtenu le maintien du bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Cécile Madeline renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Cecile Madeline d'une somme de 1 000 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Seine-Maritime est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Cécile Madeline une somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Cécile Madeline renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, au préfet de la Seine-Maritime, à Mme A... B... et à Me Cécile Madeleine.
N°21DA01545 2