Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 23 novembre 2017, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour d'annuler le jugement n° 1708893 du 18 octobre 2017.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Rodolphe Féral, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant qu'à la suite de son interpellation le 12 octobre 2017 à Calais par les services de police, M. C..., se déclarant de nationalité afghane et démuni de toute pièce ou document d'identité, a fait l'objet le même jour d'un arrêté du préfet du Pas-de-Calais l'obligeant à quitter le territoire français, refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui interdisant le retour sur le territoire français avant l'expiration du délai d'un an ; que le préfet du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 18 octobre 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté en tant qu'il fixe la République islamique d'Afghanistan comme pays de renvoi ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ; que la Cour européenne des droits de l'Homme a rappelé qu'il appartenait en principe au ressortissant étranger de produire les éléments susceptibles de démontrer qu'il serait exposé à un risque de traitement contraire aux stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à charge ensuite pour les autorités administratives " de dissiper les doutes éventuels " au sujet de ces éléments (28 février 2008, Saadi c. Italie, n° 37201/06, paragraphes 129-131 et 15 janvier 2015, AA. c. France, n° 18039/11) ; que selon la jurisprudence de la Cour, il incombe notamment aux personnes qui allèguent que leur éloignement emporterait violation de l'article 3 de produire dans toute la mesure du possible des pièces et informations permettant aux autorités de l'État contractant concerné d'apprécier le risque allégué (5 juillet 2005, Said c. Pays-Bas, n° 2345/02, paragraphe 49) ;
3. Considérant, d'une part, que lors de son audition par les services de police à la suite de son interpellation, M.C..., interrogé sur ce point, a indiqué, d'une part, avoir fui son pays à cause des talibans qui lui demandaient de faire l'espion et avoir des craintes en cas de retour dans son pays où il indique être menacé, mais ne pas avoir de preuve en ce sens en sa possession et, d'autre part, ne pas avoir d'autres éléments à faire valoir sur sa situation personnelle ; que, dès lors qu'il appartient au ressortissant étranger de produire les pièces et informations permettant au préfet d'apprécier le risque allégué, le préfet du Pas-de-Calais n'était pas tenu à la suite des éléments fournis par M. C...de rechercher la nature des craintes alléguées, mais devait seulement apprécier l'existence d'un risque réel de mauvais traitements au regard de la situation propre de l'intéressé compte tenu des éléments fournis par ce dernier et de la situation générale dans le pays de renvoi ;
4. Considérant, d'autre part, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en dépit de la gravité de la situation en Afghanistan, rendue publique par des rapports émanant d'organisations non gouvernementales et d'instances officielles, il règnerait dans cet Etat une situation de violence généralisée telle qu'un civil de nationalité afghane devrait de ce seul fait être regardé comme personnellement soumis à des risques de traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, si M. C... fait valoir qu'il est originaire de la province de Baghlan, il n'apporte à l'appui de ses allégations, aucun élément probant et vérifiable et, notamment, aucune précision d'ordre personnel quant à ses conditions de vie dans cette région, ni aucun élément relatif à ce qu'il y a lui-même vu ou subi et ne peut dès lors, eu égard au caractère succinct et peu précis de ses déclarations, être regardé comme établissant qu'il serait effectivement originaire de cette province ; que, par suite, le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a estimé que la décision désignant l'Afghanistan comme pays de destination en cas d'exécution de l'obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de M. C... avait méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
5. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... contre la décision fixant le pays de renvoi devant le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille ;
6. Considérant, qu'eu égard au caractère réglementaire des arrêtés de délégation de signature, soumis à la formalité de publication, le juge peut, sans méconnaître le principe du caractère contradictoire de la procédure, se fonder sur l'existence de ces arrêtés alors même que ceux-ci ne sont pas versés au dossier ; que par un arrêté n° 2017-10-104 du 3 avril 2017, publié le même jour au recueil spécial n° 31 des actes administratifs de la préfecture du Pas-de-Calais, le préfet du Pas-de-Calais a donné délégation à M. D...A..., chef de la section éloignement, à l'effet de signer, notamment, la décision contestée ; que, dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision fixant le pays de destination doit être écarté comme manquant en fait ;
7. Considérant, en deuxième lieu, que la décision du 12 octobre 2017 du préfet du Pas-de-Calais énonce l'ensemble des considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde ; qu'elle vise notamment les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'elle indique que l'intéressé n'établit pas être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine ; que ces considérations sont suffisamment développées pour mettre utilement en mesure M. C...de discuter les motifs de la décision attaquée et permettre au juge de vérifier que le préfet du Pas-de-Calais a procédé à un examen de la situation particulière de l'intéressé au regard des stipulations et des dispositions législatives et réglementaires applicables ; que la circonstance que le préfet du Pas-de-Calais n'ait pas mentionné tous les éléments factuels de la situation de l'intéressé n'est pas de nature à faire regarder cette motivation comme insuffisante ; qu'ainsi qu'il a été dit au point 3, il appartient à l'étranger d'apporter les informations sur les risques qu'il allègue ; que, par suite, le moyen tiré du défaut de motivation et du défaut d'examen particulier de la situation du requérant manque en fait et doit être également rejeté ;
8. Considérant, en troisième lieu, que M. C...excipe de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire ;
9. Considérant que pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 6, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté ;
10. Considérant que la décision portant obligation de quitter le territoire français comporte l'énoncé des circonstances de fait et des motifs de droit qui justifient son édiction ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Pas-de-Calais aurait insuffisamment examiné la situation particulière de M. C... avant de l'obliger à quitter le territoire français ; qu'en particulier, une telle mesure n'avait pas à être précédée de l'examen des risques auxquels l'intéressé serait exposé dans son pays, dès lors que, comme il a été dit au point 2, elle n'a ni pour objet, ni pour effet de le contraindre à se rendre sur le territoire d'un Etat déterminé ; qu'en outre, il ne résulte d'aucun principe, ni d'aucune disposition que l'autorité compétente devait spécifiquement interroger M. C... sur son éventuelle intention de demander l'asile en France préalablement à l'édiction de cette obligation ; que, par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté comme manquant en fait ;
11. Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment de la motivation de l'obligation de quitter le territoire français, que le préfet du Pas-de-Calais n'aurait pas pris en considération les éléments fournis par l'intéressé sur sa situation personnelle ; que, par suite, le moyen tiré du défaut d'examen particulier de la situation de l'intéressé doit être écarté ;
12. Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que M. C...aurait demandé l'asile en France ou aurait manifesté sa volonté de demander l'asile, l'intéressé précisant lors de son audition qu'il souhaitait se rendre en Grande-Bretagne, ni qu'il aurait été empêché de le faire ; que, par suite, M. C...n'est pas fondé à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français aurait méconnu les dispositions constitutionnelles de l'asile ou violerait les stipulations de la convention de Genève relative au statut des réfugiés ; qu'il n'est pas plus fondé à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle ; qu'il en résulte que le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté ;
13. Considérant enfin, que pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 3 et 4, la décision fixant le pays de destination n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, par suite, le moyen doit être écarté ;
14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné a, par l'article 1er du jugement attaqué, annulé la décision du 12 octobre 2017 désignant le pays de renvoi en cas d'exécution d'office de l'obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de M. C...;
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement n° 1708893 du 18 octobre 2017 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le tribunal administratif de Lille, tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Pas-de-Calais du 12 octobre 2017 en tant qu'il désigne la République islamique d'Afghanistan comme pays de renvoi est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. B... C....
Copie en sera adressée au préfet du Pas-de-Calais.
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N°17DA02196