Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 avril 2015, M. E..., représenté par Me A...F..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lille du 23 décembre 2014 ;
2°) d'annuler la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires Nord Pas-de-Calais Haute-Normandie et Picardie du 21 mars 2012 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision de poursuivre la procédure disciplinaire a été prise par une autorité incompétente et en méconnaissance du principe d'impartialité ;
- la composition de la commission de discipline était irrégulière ;
- la décision en litige a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière, en méconnaissance des droits de la défense et de l'article R. 57-7-16 du code de procédure pénale ;
- elle est entachée d'une erreur dans la qualification juridique des faits ;
- la matérialité des faits qui lui sont reprochés n'est pas établie ;
- la sanction est disproportionnée par rapport aux faits reprochés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 février 2017, le garde des Sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- la requête de M. E...est irrecevable, en l'absence de moyens critiquant le jugement attaqué ;
- les moyens de légalité externe sont nouveaux en appel et par suite, irrecevables ;
- les autres moyens de la requête ne sont pas fondés.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 février 2015.
Par ordonnance du 1er septembre 2016, la clôture d'instruction a été fixée au 3 octobre 2016 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président-rapporteur,
- et les conclusions de M. Jean-Marc Guyau, rapporteur public.
1. Considérant qu'une sanction de cinq jours de cellule disciplinaire a été infligée, le 9 février 2012 par la commission de discipline du centre pénitentiaire de Maubeuge à M. B... E..., alors incarcéré dans cet établissement ; que, par une décision du 21 mars 2012, qui s'est substituée à celle du 9 février 2012, le directeur interrégional des services pénitentiaires du Nord Pas-de-Calais Haute-Normandie et Picardie a rejeté le recours administratif préalable formé par l'intéressé ; que celui-ci relève appel du jugement du 23 décembre 2014 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette sanction ;
Sur la légalité externe de la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires Nord Pas-de-Calais Haute-Normandie et Picardie du 21 mars 2012 :
2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la décision de poursuivre la procédure disciplinaire du 27 janvier 2012 a été prise par le capitaine Claude Mory, chef de détention du centre pénitentiaire de Maubeuge, qui a également présidé la commission de discipline qui s'est tenue le 9 février 2012 ; que celui-ci disposait d'une délégation de signature du directeur de l'établissement aux fins de " décider d'engager des poursuites disciplinaires à l'encontre des personnes détenues " et de " présider la commission de discipline et de prononcer les sanctions disciplinaires ", datée du 5 juillet 2011 et régulièrement publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture du Nord n° 53 du 7 juillet 2011 ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision de poursuivre la procédure disciplinaire manque en fait et ne peut qu'être écarté ; qu'il en est de même du moyen tiré de l'incompétence du président de la commission de discipline ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article R. 57-7-16 du code de procédure pénale : " En cas d'engagement des poursuites disciplinaires, les faits reprochés ainsi que leur qualification juridique sont portés à la connaissance de la personne détenue. Le dossier de la procédure disciplinaire est mis à sa disposition. / La personne détenue est informée de la date et de l'heure de sa comparution devant la commission de discipline ainsi que du délai dont elle dispose pour préparer sa défense. Ce délai ne peut être inférieur à vingt-quatre heures. / Elle dispose de la faculté de se faire assister par un avocat de son choix ou par un avocat désigné par le bâtonnier de l'ordre des avocats et peut bénéficier à cet effet de l'aide juridique (...) " ;
4. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le détenu faisant l'objet de poursuites disciplinaires doit être mis à même, avant la tenue de la séance de la commission de discipline, de prendre connaissance des faits qui lui sont reprochés, des fautes disciplinaires retenues à son encontre et des droits qui sont les siens afin de préparer utilement sa défense ; que toutefois, contrairement à ce que soutient le requérant, ces dispositions n'imposent pas que la décision de poursuivre la procédure mentionne ces informations ; qu'il ressort des pièces du dossier que la convocation de M. E...devant la commission de discipline lui a été notifiée le 7 février 2012 à 11h15, soit près de quarante-huit heures avant la séance ; que cette convocation énonce les qualifications juridiques des faits reprochés à M.E..., mentionne son droit à bénéficier de l'aide juridique et à être assisté d'un avocat et renvoie, en ce qui concerne les faits, aux documents annexés ; que M. E...n'établit, ni même ne soutient, que le document mentionné n'aurait pas été annexé à la convocation ; que, dans ces conditions, M. E... doit être considéré comme ayant été mis à même de prendre connaissance des informations nécessaires à la préparation de sa défense ; que l'absence de mention, dans l'acte de poursuite, des faits qui lui sont reprochés, ne saurait constituer un manquement au principe d'impartialité ; que par suite, M. E...n'est pas fondé à soutenir que la procédure suivie est irrégulière ;
5. Considérant qu'aux termes de l'article R. 57-7-6 du code de procédure pénale : " La commission de discipline comprend, outre le chef d'établissement ou son délégataire, président, deux membres assesseurs. " ;
6. Considérant que le garde des Sceaux, ministre de la justice produit le registre de la commission de discipline du 9 février 2012, qui comporte la signature du capitaine Mory, président de cette commission, et des deux assesseurs ; que M. E...n'établit pas que les mentions de ce registre seraient erronées ; que, par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la composition de la commission de discipline ne peut qu'être écarté ;
7. Considérant qu'aux termes de l'article R. 57-7-25 du code de procédure pénale : " Lors de sa comparution devant la commission de discipline, la personne détenue présente ses observations. Elle est, le cas échéant, assistée par un avocat. / Si la personne détenue est mineure, un membre du service du secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse, avisé par le chef d'établissement, peut assister à la commission de discipline et présenter oralement ses observations sur la situation personnelle, sociale et familiale du mineur. / Si la personne détenue ne comprend pas la langue française, n'est pas en mesure de s'exprimer dans cette langue ou si elle est dans l'incapacité physique de communiquer, ses explications sont présentées, dans la mesure du possible, par l'intermédiaire d'un interprète désigné par le chef d'établissement. " ;
8. Considérant que si M.E..., de nationalité néerlandaise, fait valoir ne pas maîtriser la langue française, il ressort toutefois des pièces du dossier qu'il comprend, parle et écrit, certes de façon rudimentaire, en français, en envoyant régulièrement des courriers aux autorités pénitentiaires, ce qui établit qu'il était à même de comprendre les faits qui lui étaient reprochés ; qu'il a, au demeurant, pu faire valoir ses arguments lors de l'entretien préalable aux poursuites, et durant la séance de la commission de discipline, pour laquelle il était, d'ailleurs, assisté d'un avocat ; que, dans ces conditions, l'absence d'interprète lors de la commission de discipline, qui n'a privé M. E...d'aucune garantie, est sans incidence sur la régularité de la procédure disciplinaire au terme de laquelle il a été sanctionné ; que, par suite, les moyens tirés de la violation des droits de la défense et de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article R. 57-7-25 du code de procédure pénale ne peut qu'être écarté ;
Sur la légalité interne de la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires Nord Pas-de-Calais Haute-Normandie et Picardie du 21 mars 2012 :
9. Considérant que la commission de discipline reprochait à M. E... d'avoir, le 16 janvier 2012, adressé à une salariée de la société Sodexo, en charge de la cantine du centre de détention, une photographie de lui avec noté au dos " Nadège, je reviendrai à la buanderie " alors qu'il lui avait été préalablement enjoint de cesser d'adresser des photographies aux personnels en mission dans l'établissement, et, le même jour, d'avoir, par courrier, accusé le directeur de l'établissement et le responsable du centre de détention d'être des " tricheurs " et de " tramer un complot " ; qu'il lui était également reproché d'avoir, le 23 janvier 2012, adressé au lieutenant du centre de détention un courrier dans lequel il avait indiqué " Vous êtes une bête curieuse ! badaud. Votre curiosité cela équivaut à votre intelligence. N'êtes pas capable pour trouver un téléphone ou ma montre. Attendez voir ! entre chez vous. Que celui à qui le bonnet fait, le mette ! " ; que M. E... a expressément reconnu les faits devant la commission de discipline, se contentant de préciser qu'aucune insulte ne pouvait lui être reprochée, et que l'extrait cité de la lettre du 23 janvier, concernait non pas la lieutenante du centre de détention à laquelle la lettre était adressée, mais un autre surveillant ; que s'il conteste, en appel, la réalité de l'injonction qui lui aurait été faite de ne plus adresser de photographies aux personnels de l'établissement, il n'apporte aucun élément probant au soutien de ses allégations ; qu'en tout état de cause, les autres manquements qui lui sont reprochés, et qu'il a expressément reconnus, suffisent à justifier la sanction ; que, par suite, le moyen tiré de l'absence de matérialité des faits ne peut qu'être écarté ;
10. Considérant qu'aux termes de l'article R. 57-7-3 du code de procédure pénale : " Constitue une faute disciplinaire du troisième degré le fait, pour une personne détenue : / 1° De formuler des outrages ou des menaces dans les lettres adressées aux autorités administratives et judiciaires ; / 2° De formuler dans les lettres adressées à des tiers des menaces, des injures ou des propos outrageants à l'encontre de toute personne ayant mission dans l'établissement ou à l'encontre des autorités administratives et judiciaires, ou de formuler dans ces lettres des menaces contre la sécurité des personnes ou de l'établissement ; / 3° De refuser d'obtempérer aux injonctions des membres du personnel de l'établissement ; (...) / 4° De ne pas respecter les dispositions du règlement intérieur de l'établissement ou les instructions particulières arrêtées par le chef d'établissement " ; qu'aux termes de l'article R. 57-7-33 de ce code : " Lorsque la personne détenue est majeure, peuvent être prononcées les sanctions disciplinaires suivantes : (...) / 7° La mise en cellule disciplinaire. " ; qu'aux termes de l'article R. 57-7-47 du même code : " Pour les personnes majeures, la durée de la mise en cellule disciplinaire ne peut excéder vingt jours pour une faute disciplinaire du premier degré, quatorze jours pour une faute disciplinaire du deuxième degré et sept jours pour une faute disciplinaire du troisième degré. (...) " ;
11. Considérant, contrairement à ce que soutient le requérant, et alors même que la lettre du 23 janvier concernerait un surveillant et non la lieutenante du centre pénitentiaire à laquelle elle était adressée, il ressort des pièces du dossier que les faits reprochés à M. E..., tels qu'ils ont été mentionnés au point 3, constituent des fautes du troisième degré au sens des alinéas 1 à 4 de l'article R. 57-7-3 du code de procédure pénale ; que, par suite, M. E... n'est pas fondé à soutenir que l'administration pénitentiaire aurait inexactement qualifié les faits justifiant la sanction qui lui a été infligée ;
12. Considérant qu'il appartient à l'administration pénitentiaire de prononcer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, une sanction adéquate dont la nature et le quantum ne doivent pas être disproportionnés par rapport à la nature et à la gravité de la faute disciplinaire commise ; qu'il ressort des pièces du dossier que M. E... a commis, en sept jours, quatre fautes du troisième degré, passibles chacune de sept jours de placement en cellule disciplinaire en application des dispositions citées au point 4 de l'article R. 57-7-49 du code de procédure pénale ; que l'intéressé avait, au cours des six mois précédant les faits, été convoqué à deux reprises devant la commission de discipline ; que, dans ces conditions, compte tenu du comportement de M. E...et de la nature des fautes commises, il ne ressort pas des pièces du dossier que la sanction de cinq jours de placement en cellule disciplinaire aurait été disproportionnée par rapport aux faits lui étant reprochés ; que, par suite, le moyen tiré du caractère disproportionné de la sanction ne peut qu'être écarté ;
13. Considérant, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par le garde des Sceaux, ministre de la justice, qu'il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... E..., au garde des Sceaux, ministre de la justice et à Me A...F....
Délibéré après l'audience publique du 14 mars 2017 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme D...C..., première conseillère,
- M. Rodolphe Féral, premier conseiller.
Lu en audience publique le 28 mars 2017.
Le premier conseiller le plus ancien,
Signé : M. C...Le président-rapporteur,
Signé : M. G...
Le greffier,
Signé : M.T. LEVEQUE
La République mande et ordonne au garde des Sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier,
Marie-Thérèse Lévèque
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N°15DA00613