Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 mai 2018, le préfet du Nord, représenté par Me A...D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C...devant le tribunal administratif de Lille.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord entre la République française et le Royaume d'Espagne relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière, signé à Malaga le 26 novembre 2002, et son décret de publication n° 2004-226 du 9 mars 2004 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Valérie Petit, président-assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.C..., ressortissant marocain né le 26 juin 1991, a été interpellé le 19 février 2018 par les services de police, démuni de tous documents d'identité et de séjour. Par un arrêté du même jour, le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Le préfet du Nord relève appel du jugement du 1er mars 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé la mesure d'éloignement ainsi que la décision d'interdiction de retour sur le territoire français.
Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal :
2. Il résulte des dispositions des articles L. 511-1 et L. 511-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives à l'obligation de quitter le territoire français, et des articles L. 531-1 et suivants du même code, relatives aux procédures de remise aux Etats membres de l'Union européenne ou parties à la convention d'application de l'accord de Schengen, que le champ d'application des mesures obligeant un étranger à quitter le territoire français et celui des mesures de remise d'un étranger à un autre Etat ne sont pas exclusifs l'un de l'autre et que le législateur n'a pas donné à l'une de ces procédures un caractère prioritaire par rapport à l'autre. Il s'ensuit que, lorsque l'autorité administrative envisage une mesure d'éloignement à l'encontre d'un étranger dont la situation entre dans le champ d'application de l'article L. 531-1 ou des deuxième à quatrième alinéas de l'article L. 531-2, elle peut légalement, soit le remettre aux autorités compétentes de l'Etat membre de l'Union européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, sur le fondement des articles L. 531-1 et suivants, soit l'obliger à quitter le territoire français sur le fondement de l'article L. 511-1. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce que l'administration engage l'une de ces procédures alors qu'elle avait préalablement engagé l'autre. Toutefois, si l'étranger demande à être éloigné vers l'Etat membre de l'UE ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, ou s'il est résident de longue durée dans un Etat membre ou titulaire d'une " carte bleue européenne " délivrée par un tel Etat, il appartient au préfet d'examiner s'il y a lieu de reconduire en priorité l'étranger vers cet Etat ou de le réadmettre dans cet Etat.
3. Il ressort des pièces du dossier que M. C... est entré en France irrégulièrement et n'y a pas obtenu de titre de séjour. Il entrait ainsi dans le cas où, en application du 1° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet peut prononcer une obligation de quitter le territoire français. M. C...a déclaré, lors de son audition par les services de police, être titulaire d'une carte de résident délivrée par les autorités espagnoles valable jusqu'en septembre 2018, mais l'avoir perdue. La circonstance qu'il était donc susceptible de faire l'objet d'une remise aux autorités de cet Etat ne faisait pas, par elle-même, obstacle à ce que le préfet du Nord prenne à son encontre une telle obligation de quitter le territoire. S'il ressort des pièces du dossier que le préfet a reçu confirmation par les autorités espagnoles de la détention par M. C...d'un titre de séjour espagnol simultanément à la procédure de notification de la mesure d'éloignement de l'intéressé, cette circonstance est sans influence sur la légalité de la décision obligeant M. C...à quitter le territoire. C'est seulement dans le cadre de la détermination du pays de destination vers lequel le ressortissant sera éloigné, que le préfet doit examiner en priorité s'il y a lieu de fixer comme pays de destination celui vers lequel l'intéressé demande à être éloigné. Il ressort d'ailleurs des termes de l'arrêté que le préfet a envisagé la possibilité de réadmettre M. C...en Espagne en cas d'accord des autorités espagnoles. Dans ces conditions, le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a annulé l'obligation de quitter le territoire français au motif que le préfet devait envisager prioritairement la réadmission vers l'Espagne, et par voie de conséquence, la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français.
4. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les autres moyens présentés par M. C...devant le tribunal administratif de Lille.
Sur les autres moyens soulevés par M. C... en première instance :
En ce qui concerne la décision l'obligeant à quitter le territoire :
5. La décision énonce les considérations de fait et droit sur lesquelles elle se fonde. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
6. Par un arrêté du 7 février 2018 régulièrement publié au recueil spécial des actes du département n° 29 du même jour, le préfet du Nord a donné délégation à Mme E...B..., attachée d'administration de l'Etat, chef de la section de l'éloignement et signataire de l'arrêté en litige, à l'effet de signer, en particulier, les décisions portant obligation de quitter le territoire français avec ou sans délai de départ volontaire et celles fixant les pays de destination de telles mesures d'éloignement. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté, qui manque en fait, doit donc être écarté.
7. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Nord n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation de M.C....
8. Aux termes de l'article 6 de l'accord entre la République français et le Royaume d'Espagne relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière : " L'obligation de réadmission prévue à l'article 5 n'existe pas à l'égard : / (...) / c) Des ressortissants des Etats tiers qui séjournent depuis plus de six mois sur le territoire de la Partie contractante requérante, cette période étant appréciée à la date de la transmission de la demande de réadmission (...). Ainsi qu'il a été dit au point 2, le législateur n'a pas donné à la procédure relative à l'obligation de quitter le territoire français ou à celles relatives aux procédures de remise aux Etats membres de l'Union européenne ou parties à la convention d'application de l'accord de Schengen un caractère prioritaire par rapport à l'autre. Par suite, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 3, M. C...ne peut utilement soutenir qu'il pouvait être réadmis en Espagne, ne séjournant pas en France depuis plus de six mois.
En ce qui concerne la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français :
9. Il ressort des termes des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.
10. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifient sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.
11. La décision contestée fait état de la durée de séjour en France de M.C..., de l'absence de menace à l'ordre public et d'une précédente mesure d'éloignement. Nonobstant l'erreur quant à la durée de présence, qui ne peut être regardée que comme une erreur de plume, cette motivation est conforme aux exigences rappelées aux deux points précédents. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision d'interdiction de retour sur le territoire français serait insuffisamment motivée doit être écarté.
12. Il ressort des termes de la décision contestée que le préfet a estimé que M.C..., qui est célibataire et sans charge, ne justifiait pas de circonstances humanitaires pouvant faire obstacle au prononcé d'une interdiction de retour sur le territoire français. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée serait entachée d'une erreur d'appréciation doit être écarté.
13. Aux termes de l'article 21 de la convention de Schengen telle que modifiée par le règlement n° 265/2010 du Parlement Européen et du Conseil du 25 mars 2010 susvisé: " 1. Les étrangers titulaires d'un titre de séjour délivré par un des Etat membres peuvent, sous le couvert de ce titre ainsi que d'un document de voyage, ces documents étant en cours de validité, circuler librement pour une durée n'excédant pas trois mois sur toute période de six mois sur le territoire des autres Etat membres, pour autant qu'ils remplissent les conditions d'entrée visées à l'article 5, paragraphe 1, points a), c) et e), du règlement (CE) n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) et qu'ils ne figurent pas sur la liste de signalement nationale de l'Etat membre concerné (...)". Aux termes de l'article 25 de cette convention : " 1.(...)./ 2. Lorsqu'il apparaît qu'un étranger titulaire d'un titre de séjour en cours de validité délivré par l'une des Parties contractantes est signalé aux fins de non-admission, la Partie contractante signalante consulte la Partie qui a délivré le titre de séjour afin de déterminer s'il y a des motifs suffisants pour retirer le titre de séjour. / Si le titre de séjour n'est pas retiré, la Partie contractante signalante procède au retrait du signalement, mais peut cependant inscrire cet étranger sur sa liste nationale de signalement. ". Contrairement à ce qu'allègue M.C..., la seule détention de son titre de séjour espagnol ne l'autorise pas, sans condition, à circuler librement dans l'espace Schengen et ne fait pas obstacle à ce que le préfet du Nord prononce à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français, impliquant une inscription dans le fichier de système d'information Schengen. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision en litige porterait une atteinte grave et disproportionnée au principe de libre circulation ne peut qu'être écarté.
14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 19 février 2018.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 1er mars 2018 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. C...devant le tribunal administratif est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. F...C....
Copie en sera adressée pour information au préfet du Nord.
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N°18DA00990
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