Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 8 novembre 2018, M. C...A..., représenté par Me B...D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 17 août 2018 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Seine-Maritime de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai de sept jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et d'enregistrer sa demande d'asile dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la directive n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Paul-Louis Albertini, président de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., ressortissant afghan, né le 21 mars 1985, déclare être entré le 20 mars 2018 sur le territoire français et a déposé une demande d'asile le 3 avril 2018. La consultation, par l'autorité administrative, du fichier Eurodac a permis de constater que l'intéressé avait déjà présenté une telle demande en Suède. La préfète de la Seine-Maritime a adressé aux autorités suédoises une demande de reprise en charge de M. A...sur leur territoire. Les autorités suédoises ont expressément accepté cette reprise en charge le 7 juin 2018 sur le fondement du d) du paragraphe 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par un arrêté du 17 août 2018, la préfète de la Seine-Maritime a ordonné la remise de M. A...aux autorités suédoises. M. A...relève appel du jugement du 8 octobre 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. Aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative.".
3. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
4. Ainsi, s'agissant d'un étranger ayant, dans les conditions posées par le règlement, présenté une demande d'asile dans un autre Etat membre et devant, en conséquence, faire l'objet d'une reprise en charge par cet Etat, doit être regardée comme suffisamment motivée la décision de transfert à fin de reprise en charge qui, après avoir visé le règlement, relève que le demandeur a antérieurement présenté une demande dans l'Etat en cause, une telle motivation faisant apparaître qu'il est fait application du b), c) ou d) du paragraphe 1 de l'article 18 ou du paragraphe 5 de l'article 20 du règlement.
5. L'arrêté en litige vise le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il énonce que la consultation du fichier " Eurodac " fait apparaître que M. A...a présenté une demande d'asile en Suède, préalablement au dépôt de sa demande d'asile en France, que les autorités autrichiennes ont été saisies le 28 mai 2018 d'une demande de reprise en charge en application de l'article 18-1 b) du règlement (UE) n° 604/2013, que les autorités suédoises ont fait connaître explicitement leur accord le 7 juin 2018 en application de l'article 18.1 d) du règlement (UE) n° 604/2013 et qu'ainsi les autorités suédoises doivent être regardées comme étant responsables de sa demande d'asile. Dès lors, cet arrêté énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles il se fonde avec une précision suffisante pour permettre à M. A...de comprendre les motifs de la décision et, le cas échéant, d'exercer utilement son recours. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté en litige doit être écarté.
6. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. ".
7. Il ressort des pièces du dossier que M. A...a bénéficié d'un entretien individuel le 5 avril 2018, dont il a signé le résumé et au cours duquel il a pu faire valoir ses observations, ce que le requérant ne remet d'ailleurs pas en cause. La circonstance que l'identité de l'agent ne soit pas mentionnée sur le compte-rendu n'est pas de nature à entacher d'illégalité la procédure. En effet, aucune disposition n'impose que soit portée la mention, sur le compte-rendu individuel, de l'identité de l'agent qui a conduit l'entretien et en l'absence d'élément permettant d'en douter, il doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national pour mener l'entretien prévu par les dispositions citées au point précédent et pour permettre au préfet de déterminer l'Etat responsable. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.
8. Aux termes de l'article 35 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Chaque Etat membre notifie sans délai à la Commission les autorités chargées en particulier de l'exécution des obligations découlant du présent règlement et toute modification concernant ces autorités.(...) 3. Les autorités visées au paragraphe 1 reçoivent la formation nécessaire en ce qui concerne l'application du présent règlement. (...) ".
9. Ces dispositions concernent les relations entre les Etats membres et la Commission, et ne fixent pas d'obligation que les demandeurs d'asile pourraient directement opposer à l'autorité administrative. En effet, il appartient aux Etats membres d'appliquer ces dispositions directement sans nécessairement édicter des normes juridiques spécifiques à cet effet. En tout état de cause, eu égard à ce qui précède, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'agent de la préfecture qui a mené l'entretien avec M. A...n'aurait pas bénéficié de la formation nécessaire.
10. L'article 4 de la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013 prévoit que : " 1 Les Etats membres désignent pour toutes les procédures une autorité responsable de la détermination qui sera chargée de procéder à un examen approprié des demandes conformément à la présente directive. Les Etats membres veillent à ce que cette autorité dispose des moyens appropriés, y compris un personnel compétent en nombre suffisant, pour accomplir ses tâches conformément à la présente directive. / 2. Les Etats membres peuvent prévoir qu'une autorité autre que celle mentionnée au paragraphe 1 est responsable lorsqu'il s'agit: a) de traiter les cas en vertu du règlement (UE) n° 604/2013, et / (...) / 4. Lorsqu'une autorité est désignée conformément au paragraphe 2, les Etats membres veillent à ce que le personnel de cette autorité dispose des connaissances appropriées ou reçoive la formation nécessaire pour remplir ses obligations lors de la mise en oeuvre de la présente directive. ".
11. Ces dispositions n'imposent pas aux Etats membres d'adopter des dispositions normatives en vue de prévoir de manière formelle les modalités de la formation des agents chargés de recevoir en entretien individuel les demandeurs d'asile dans le cadre de la mise en oeuvre du règlement (UE) n° 604/2013. En effet, les dispositions invoquées imposent uniquement que les entretiens individuels soient effectivement menés par une personne disposant des connaissances adéquates, ce qui peut résulter, soit du suivi d'une formation spécifique, soit de compétences déjà détenues par l'agent. En l'espèce, aucun élément du dossier ne permet de faire présumer que l'agent de la préfecture de la Seine-Maritime ayant mené l'entretien individuel de M. A...n'aurait pas disposé des qualifications nécessaires pour réaliser un tel entretien dans le respect des exigences posées par le règlement (UE) n° 604/2013. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 4 de la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013 doit être écarté.
12. Aux termes de l'article 17 du règlement n° 604/2013: " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...)". La faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 de ce règlement, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
13. M. A...soutient que son transfert aux autorités suédoises l'expose à un retour en Afghanistan où il court des risques. Toutefois, la décision contestée a seulement pour objet de renvoyer l'intéressé en Suède et non dans son pays d'origine. Si la Suède a accepté de reprendre en charge M. A...sur son territoire sur le fondement du d) du premier paragraphe de l'article 18 du règlement du 26 juin 2013, qui prévoit la reprise en charge après le rejet d'une demande d'asile, il n'est pas allégué que les autorités de cet Etat, qui est membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, n'auraient pas procédé à un examen sérieux et attentif de cette demande. En outre, il ne ressort des pièces du dossier, ni que l'intéressé aurait épuisé les voies de recours contre les décisions lui refusant l'asile, ni qu'il ferait l'objet, de la part des autorités suédoises, d'une mesure d'éloignement à destination de l'Afghanistan, ni que, en pareil cas, il ne disposerait pas d'une voie de recours effective contre cette mesure, ni enfin, en tout état de cause, que les autorités suédoises n'évalueront pas, avant l'exécution d'une telle mesure, les risques réels et actuels de mauvais traitements qui naîtraient pour lui du fait de son éventuel retour en Afghanistan. Par ailleurs si M. A...fait aussi valoir qu'il appartenait aux autorités françaises de prendre, auprès des autorités suédoises, des renseignements sur l'état d'avancement de sa demande d'asile, en application de l'article 34 du règlement (UE) n° 604/2013, il résulte des mentions de cet article, qu'une telle demande d'information n'est pas obligatoire, alors qu'en tout état de cause, l'article 18 1. d) du même règlement prévoit la possibilité d'édicter à l'égard d'un demandeur d'asile une décision de transfert vers un Etat ayant rejeté sa demande, dans la mesure où ce règlement a précisément pour objectif de faire en sorte qu'un étranger sollicitant l'asile dans l'Union européenne ne voit sa demande traitée que par un seul Etat membre. Dans ces conditions, M. A...n'est pas fondé à soutenir que la préfète de la Seine-Maritime aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, et aurait méconnu les dispositions de l'article 34 du même règlement en ne faisant pas usage du pouvoir discrétionnaire qu'elle tient de cette article.
14. M. A...n'apporte aucun élément de nature à établir la réalité des risques qu'il encourt personnellement et actuellement en cas de retour dans son pays d'origine. Par suite, et pour les mêmes motifs que ceux cités au point précédent, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales selon lequel " nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines et traitements inhumains et dégradants ", ne peut qu'être écarté.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...A..., au ministre de l'intérieur et à Me B...D....
Copie en sera adressée pour information à la préfète de la Seine-Maritime.
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N°18DA02219
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