Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 1er juillet 2016, la Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe, représentée par l'association d'avocats Maquinghen, B...et Danset, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler et de réformer la décision du 6 septembre 2013 par laquelle le préfet du Nord l'a assujettie au versement d'une pénalité d'un montant de 1 507 734,38 euros en application de l'article L. 5212-12 du code du travail ainsi que la décision implicite du 5 janvier 2014 par laquelle le ministre du travail, des relations sociales, de la formation professionnelle et du dialogue social a rejeté son recours hiérarchique.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, notamment son article 24 ;
- la loi n° 2010-1657, notamment son article 208 ;
- le décret n° 2012-1354 du 4 décembre 2012 ;
- le décret n° 2015-655 du 10 juin 2015 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Hervé Cassara, premier conseiller,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,
- et les observations de Me A...B..., représentant la Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe.
Considérant ce qui suit :
1. La Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe relève appel du jugement du 4 mai 2016 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 6 septembre 2013 par laquelle le préfet du Nord l'a assujettie au versement d'une pénalité d'un montant de 1 507 734,38 euros en application de l'article L. 5212-12 du code du travail et de la décision implicite du 5 janvier 2014 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a rejeté son recours hiérarchique. La Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe doit être regardée comme demandant la décharge de la pénalité ainsi mise à sa charge.
2. En vertu des dispositions de l'article L. 5212-12 du code du travail, lorsqu'ils ne satisfont à aucune des obligations définies aux articles L. 5212-2 et L. 5212-6 à L. 5212-11 du même code relatives à l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés, mutilés de guerre et assimilés, les employeurs sont astreints à titre de pénalité au versement au Trésor public d'une somme dont le montant est égal à celui de la contribution instituée par le second alinéa de l'article L. 5212-10 du même code, majoré de 25 %. La majoration de la somme dont le versement est ainsi exigé des employeurs, par rapport à celle dont ils auraient dû s'acquitter pour satisfaire à l'obligation d'emploi de travailleurs handicapés, revêt le caractère d'une sanction. Il appartient au juge du fond, saisi d'une contestation portant sur une sanction que l'administration inflige à un administré, de prendre une décision qui se substitue à celle de l'administration. Par suite, compte tenu des pouvoirs dont il dispose ainsi pour contrôler une sanction de cette nature, le juge se prononce sur la contestation dont il est saisi comme juge de plein contentieux.
Sur le moyen tiré de l'erreur de qualification juridique des faits :
3. Aux termes de l'article L. 5212-2 du code du travail : " Tout employeur emploie, dans la proportion de 6 % de l'effectif total de ses salariés, à temps plein ou à temps partiel, des travailleurs handicapés, mutilés de guerre et assimilés, mentionnés à l'article L. 5212-13. ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 5212-3 du même code : " Dans les entreprises à établissements multiples, l'obligation d'emploi s'applique établissement par établissement ". Aux termes du quatrième alinéa de l'article R. 5212-1 du même code ajouté par l'article 1er du décret du 10 juin 2015 relatif aux établissements assujettis à l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés en application des articles L. 5212-2 et L. 5212-3 du code du travail : " Pour l'application de l'article L. 5212-3, dans les entreprises à établissements multiples, la déclaration prévue au 2° est établie par établissement assujetti qui s'entend d'un établissement dont le chef dispose d'un pouvoir de direction incluant le recrutement et le licenciement du personnel. ". Le décret du 10 juin 2015 s'est borné, sur ce point, à codifier une jurisprudence constante du Conseil d'Etat, d'ailleurs prise en compte par le préfet du Nord dans la décision en litige ainsi qu'il résulte des visas de cette décision, dans l'interprétation de la notion d'établissement au sens des dispositions de l'article L. 5212-3 du code du travail et selon laquelle un établissement assujetti, au sens de ces dispositions, s'entend d'un établissement dont le chef dispose d'un pouvoir de direction incluant le recrutement et le licenciement du personnel.
4. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport de l'inspecteur du travail du 13 février 2013, que les directeurs des caisses locales ne disposent pas du pouvoir de recruter ou de licencier du personnel, ce pouvoir étant exercé par la Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe. Si, pour soutenir le contraire, la Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe fait valoir que le statut des directeurs de caisse locale, cadres de niveau E ou F, soit un niveau élevé dans la classification au sein du Crédit mutuel Nord Europe, et leur rémunération moyenne de 64.000 en 2012, montrent l'importance de leur poste, que chaque directeur de caisse locale bénéficie d'une délégation d'octroi de crédits importante et engage les dépenses de son unité, et que le directeur de caisse locale est aussi responsable de l'hygiène, de la sécurité et des conditions de travail de son point de vente pour ses collaborateurs et ses clients, ces circonstances sont sans incidence sur le pouvoir de recruter ou de licencier du personnel. La Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe fait également valoir que chaque directeur de caisse locale notifie chaque année à la direction des ressources humaines de la Caisse fédérale l'effectif dont il a besoin pour faire fonctionner son unité, cet élément prouve, au contraire, quand bien même il serait associé au choix d'un collaborateur, qu'il ne peut lui-même recruter ou licencier du personnel, ce que l'appelante reconnaît d'ailleurs explicitement dans ses écritures, en admettant que " le directeur de caisse n'est pas le signataire effectif des contrats de travail ". De même, si la Caisse fédérale soutient aussi que le directeur de caisse locale répartit les tâches au sein de son équipe, définit les horaires et les jours de congés et a la capacité de les modifier en fonction des besoins et des aléas de l'activité, qu'il valide et paie les frais professionnels de ses collaborateurs, et qu'il a la capacité de faire progresser dans leur emploi ses collaborateurs en ce qu'il mène les entretiens professionnels, se trouve à l'initiative des révisions individuelles de situation salariale, identifie les besoins de formation et demande les formations nécessaires, ces circonstances ne sont pas plus de nature à prouver qu'il peut, librement, recruter ou se séparer d'un collaborateur. Si la Caisse fédérale soutient de surcroît qu'en matière disciplinaire, le directeur de caisse locale aurait l'initiative de la procédure, participerait à l'entretien préalable et prendrait position sur la décision devant en résulter, l'appelante reconnaît elle-même que " sur le plan formel, il est vrai que les directeurs de caisse ne sont pas signataires des contrats de travail, des sanctions, comme des ruptures ". Enfin, les circonstances que chacune des caisses locales possède un numéro de SIRET qui lui est propre, dispose d'un compte d'exploitation ainsi que d'un conseil d'administration, que le directeur de caisse est chargé d'animer, sont sans incidence quant à la capacité du directeur de caisse locale de pouvoir recruter et licencier du personnel. Dès lors, les caisses locales, dont chaque directeur ne dispose pas d'un pouvoir de direction incluant le recrutement et le licenciement du personnel, ne peuvent être regardées comme des établissements distincts au sens des dispositions de l'article L. 5212-3 du code du travail. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de qualification juridique des faits doit être écarté.
Sur le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision du 6 septembre 2013 :
5. Aux termes de l'article R. 5212-31 du code du travail dans sa rédaction alors applicable : " Le préfet du département où est situé chaque établissement ou, dans le cas des entreprises ayant conclu un accord concernant des établissements situés dans plusieurs départements, en application de l'article L. 5212-8, le préfet du département où est situé le siège de l'entreprise adresse à l'employeur qui n'a pas rempli les obligations définies aux articles L. 5212-2 et L. 5212-6 à L. 5212-11 une notification motivée de la pénalité prévue à l'article L. 5212-12 qui lui est appliquée. Il établit un titre de perception pour la somme correspondante. / Il transmet ce titre au trésorier-payeur général qui en assure le recouvrement. ". La Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe soutient que la décision du 6 septembre 2013 méconnaît ces dispositions, dès lors qu'elle s'applique également aux caisses locales, établissements distincts de la Caisse fédérale, qui ne sont pas situés dans le département du Nord. Toutefois, pour les motifs exposés au point 4, les caisses locales ne peuvent être regardées comme constituant des établissements au sens de ces dispositions. Dès lors, le préfet compétent pour notifier la pénalité prévue à l'article L. 5212-2 du code du travail était celui du département dans lequel se situe le siège de la Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe, soit le préfet du Nord. Par suite, le moyen, qui n'est pas inopérant, tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision doit être écarté.
Sur les moyens tirés des vices de procédure :
6. En premier lieu, en vertu des dispositions du VII de l'article 208 de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, les dispositions du I de ce même article, qui ont modifié l'article L. 5212-5 du code du travail relatif aux déclarations annuelles obligatoires d'emploi des travailleurs handicapés, sont applicables à la déclaration annuelle obligatoire d'emploi des travailleurs handicapés, victimes de guerre et assimilés effectuée à compter de l'année 2012. En outre, aux termes de l'article 9 du décret du 4 décembre 2012 relatif à la déclaration annuelle obligatoire d'emploi des travailleurs handicapés adressée à l'association mentionnée à l'article L. 5214-1 du code du travail : " Les dispositions du présent décret sont applicables aux déclarations relatives à l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés adressées au titre de l'année 2012. ". Si la Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe soutient que la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) ne disposait plus de la compétence matérielle pour effectuer les opérations de contrôle des déclarations annuelles obligatoires d'emploi des travailleurs handicapés et ne pouvait, dès lors, pas agir en lieu et place de l'association mentionnée à l'article L. 5214-1 du code du travail qui serait seule compétente, les dispositions de l'article 208 de la loi du 29 décembre 2010 et du décret du 4 décembre 2012 précitées, qui transfèrent la compétence à l'association mentionnée à l'article L. 5214-1 du code du travail, notamment pour contrôler les déclarations annuelles obligatoires d'emploi des travailleurs handicapés, ne sont applicables qu'à compter des déclarations adressées au titre de l'année 2012. Or, il est constant que la décision en litige a été prise au vu de la déclaration adressée au titre de l'année 2011. Par suite, les dispositions issues de l'article 208 de la loi du 29 décembre 2010 et du décret du 4 décembre 2012 n'étaient pas applicables à cette décision.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 8112-1 du code du travail : " Les agents de contrôle de l'inspection du travail sont membres soit du corps des inspecteurs du travail, soit du corps des contrôleurs du travail jusqu'à l'extinction de leur corps. / Ils disposent d'une garantie d'indépendance dans l'exercice de leurs missions au sens des conventions internationales concernant l'inspection du travail. / Ils sont chargés de veiller à l'application des dispositions du code du travail et des autres dispositions légales relatives au régime du travail, ainsi qu'aux stipulations des conventions et accords collectifs de travail répondant aux conditions fixées au livre II de la deuxième partie. / Ils sont également chargés, concurremment avec les officiers et agents de police judiciaire, de constater les infractions à ces dispositions et stipulations. / Les agents de contrôle de l'inspection du travail sont associés à la définition des orientations collectives et des priorités d'intérêt général pour le système d'inspection du travail arrêtées, chaque année, par le ministre chargé du travail après concertation avec les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d'employeurs représentatives, et ils contribuent à leur mise en oeuvre. / Ils sont libres d'organiser et de conduire des contrôles à leur initiative et décident des suites à leur apporter. (...) ". et du second alinéa de l'article R. 8112-1 du même code : " Outre l'exercice de ces attributions principales, il [l'inspecteur du travail] concourt à l'exécution des missions de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, en ce qui concerne les politiques du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle ". Si la Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe soutient que l'inspecteur du travail aurait outrepassé sa compétence sur les plans matériel et territorial, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'inspection du 13 février 2013, que l'inspecteur du travail a agi, en l'espèce, sur instruction du directeur de l'unité territoriale Nord-Lille de la DIRECCTE du Nord-Pas-de-Calais, comme le permettaient les dispositions précitées, et qu'il a conduit son inspection dans le seul ressort de cette unité territoriale.
8. En troisième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que les investigations menées pour le compte du directeur de l'unité territoriale Nord-Lille de la DIRECCTE du Nord-Pas-de-Calais par l'inspecteur du travail, qui n'était pas tenu de se rendre dans chacune des 156 caisses locales concernées, n'auraient pas été de nature à lui permettre de déterminer si les caisses locales pouvaient être ou non qualifiées d'établissements au sens des dispositions de l'article L. 5212-3 du code du travail.
9. En quatrième lieu, s'il est constant que le rapport de l'inspecteur du travail du 13 février 2013 n'a été communiqué, à la demande de la Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe, que dans une version dans laquelle certains passages, relatant les entretiens conduits par l'inspecteur du travail avec les salariés interrogés, ont été occultés, il résulte de l'instruction que, d'une part, les analyses et la conclusion de l'inspecteur du travail, qui constituent la partie essentielle du rapport, n'ont pas été occultées et, d'autre part, que le nom des salariés interrogés était mentionné ce qui a permis à la Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe, qui produit d'ailleurs de larges extraits de leur témoignage dans ses écritures, de les interroger.
10. En cinquième lieu, la Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe soutient que la procédure de contrôle est irrégulière dès lors que les dispositions du code du travail relatives à l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés, mutilés de guerre et assimilés méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ne prévoyant pas des garanties effectives et appropriées pour la mise en oeuvre de la procédure de contrôle au domicile de l'entreprise, telles que l'identification de l'autorité investie du pouvoir de contrôle, les droits et obligations de l'autorité administrative qui se présente au domicile de l'employeur, l'information préalable de l'employeur ou l'association de l'employeur à l'enquête. Si le droit au respect du domicile que les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales protègent s'applique également, dans certaines circonstances, aux locaux professionnels où des personnes morales exercent leurs activités, il doit être concilié avec les finalités légitimes du contrôle, par les autorités publiques, du respect des règles qui s'imposent à ces personnes morales dans l'exercice de leurs activités professionnelles. Le caractère proportionné de l'ingérence que constitue la mise en oeuvre, par une autorité publique, de ses pouvoirs de visite et de contrôle des locaux professionnels résulte de l'existence de garanties effectives et appropriées, compte tenu, pour chaque procédure, de l'ampleur et de la finalité de ces pouvoirs. Lorsque l'inspecteur du travail concourt à l'exécution des missions de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, en ce qui concerne les politiques du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle en application des dispositions de l'articles L. 8112-1 du code du travail et du second alinéa de l'article R. 8112-1 du même code citées au point 7, il exerce ses missions dans les conditions fixées par les dispositions des articles L. 8113-1 à L. 8113-11 du code du travail fixant les prérogatives et moyens d'intervention des agents de contrôle de l'inspection du travail, notamment quant au droit d'entrée des agents dans les établissements et dans les locaux affectés à l'hébergement, au droit de prélèvement, à l'accès aux documents, à la recherche et à la constatation des infractions ou manquements et au secret professionnel. Les pouvoirs de contrôle ainsi conférés par ces dispositions aux agents de contrôle de l'inspection du travail, qui répondent au but légitime de protection de l'ordre public, ne conduisent pas à une ingérence qui ne serait pas nécessaire à la poursuite de ces objectifs ou serait disproportionnée. Les dispositions autorisant les contrôles des agents de contrôle de l'inspection du travail ne méconnaissent ainsi pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. En dernier lieu, la Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe fait aussi valoir que l'enquête n'a pas été contradictoire dès lors que, notamment, la DIRECCTE du Nord-Pas-de-Calais ne l'a pas avertie de la venue de l'inspecteur du travail et des modalités de cette enquête, et que ni le principe du contradictoire, ni celui du respect des droits de la défense n'ont été respectés. Toutefois, il résulte de l'instruction que la Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe a pu faire valoir ses observations, tant sur le déroulement de la procédure que sur le fond, à tous les stades de la procédure comme en témoignent les nombreux échanges qu'elle a eus avec la DIRECCTE du Nord-Pas-de-Calais, résultant notamment de l'échange de lettres des 29 mai 2012 et 11 juin 2012, de la lettre qu'elle a adressée à la DIRECCTE le 21 février 2013, aux observations du 12 mars 2013 qu'elle a encore adressées à la DIRECCTE en réponse à la mise en demeure du 27 février 2013, à l'entretien organisé le 22 mai 2013 à l'initiative du directeur de l'unité territoriale Nord-Lille, à l'issue duquel s'en est encore suivi un échanges de lettres des 29 mai et 20 juin 2013. Par suite, la Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe n'est pas fondée à soutenir que le principe du contradictoire, résultant notamment des dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, désormais codifiées aux articles L. 121-1 à L. 122-2 du code des relations entre le public et l'administration, et celui du respect des droits de la défense, qui s'appliquent en tout état de cause dans le silence des dispositions du code du travail et qui constituent des garanties effectives et appropriées, auraient été méconnus en l'espèce.
12. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les moyens, qui ne sont pas inopérants, tirés des vices de procédure dont la décision du 6 septembre 2013 serait entachée, doivent être écartés.
Sur le moyen tiré de l'erreur de droit :
13. Aux termes de l'article L. 5212-12 du code du travail : " Lorsqu'ils ne satisfont à aucune des obligations définies aux articles L. 5212-2 et L. 5212-6 à L. 5212-11, les employeurs sont astreints à titre de pénalité au versement au Trésor public d'une somme dont le montant est égal à celui de la contribution instituée par le second alinéa de l'article L. 5212-10, majoré de 25 %. ". Contrairement à ce que soutient la Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe, ces dispositions s'appliquent au cas de l'employeur qui, comme en l'espèce, ne respecte pas pleinement ses obligations en matière d'emploi de travailleurs handicapés, mutilés de guerre et assimilés. Dès lors, le moyen tiré de l'erreur de droit ne peut qu'être écarté.
Sur le moyen tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique :
14. En invoquant la méconnaissance du principe de sécurité juridique, la Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe doit être regardée comme soutenant que la DIRECCTE du Nord-Pas-de-Calais aurait méconnu le principe de confiance légitime et aurait modifié sa doctrine quant à l'interprétation de la notion d'établissement au sens des dispositions précitées de l'article L. 5212-3 du code du travail. Toutefois, d'une part, le principe de confiance légitime, qui fait partie des principes généraux du droit de l'Union européenne, et qui ne trouve à s'appliquer dans l'ordre juridique national que dans le cas où la situation juridique dont a à connaître le juge administratif est régie par le droit de l'Union européenne, ne peut être utilement invoqué en l'espèce. D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction que la DIRECCTE du Nord-Pas-de-Calais aurait explicitement pris position sur la notion d'établissement au sens des dispositions précitées de l'article L. 5212-3 du code du travail ou sur la situation personnelle de la Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe à cet égard, ni d'ailleurs que la Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe aurait interrogé la DIRECCTE du Nord-Pas-de-Calais sur sa situation ou sur la doctrine de l'administration en la matière, avant les premiers échanges à ce sujet en 2012, nonobstant la lettre de la DIRECCTE de Picardie du 20 avril 2011 produite par l'appelante faisant état d'un trop perçu au titre de la contribution prévue à l'article L. 5212-9 du code du travail. Enfin, si le principe de légalité des délits et des peines, qui s'étend à toute sanction ayant le caractère d'une punition, fait obstacle à ce que l'administration inflige une sanction si, à la date des faits litigieux, la règle en cause n'est pas suffisamment claire, de sorte qu'il n'apparaît pas de façon raisonnablement prévisible par les professionnels concernés que le comportement litigieux est susceptible d'être sanctionné, il ne résulte pas de l'instruction, notamment pour les motifs exposés aux points 3 et 4 et alors que la jurisprudence était constante depuis de nombreuses années dans l'interprétation de la notion d'établissement au sens des dispositions de l'article L. 5212-3 du code du travail, que la règle en cause n'aurait pas été suffisamment claire, de sorte qu'il n'apparaîtrait pas de façon raisonnablement prévisible par la Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe que le comportement en litige était susceptible d'être sanctionné. Par suite, le moyen doit être écarté.
Sur le moyen tiré des erreurs de calcul :
15. Tout d'abord, si la Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe fait valoir que le calcul du montant de la pénalité aurait dû être fondé sur le premier alinéa de l'article L. 5212-10 du code du travail, qui prévoit un coefficient multiplicateur de 600, et non sur le second alinéa du même article, qui prévoit un coefficient multiplicateur de 1500, il résulte des termes mêmes de l'article L. 5212-12 du même code rappelés au point 12 que le calcul du montant de la pénalité est fondé sur le second alinéa de l'article L. 5212-10.
16. Ensuite, aux termes de l'article L. 111-2 du code du travail : " Pour la mise en oeuvre des dispositions du présent code, les effectifs de l'entreprise sont calculés conformément aux dispositions suivantes : / 1° Les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein et les travailleurs à domicile sont pris intégralement en compte dans l'effectif de l'entreprise ; / 2° Les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée, les salariés titulaires d'un contrat de travail intermittent, les salariés mis à la disposition de l'entreprise par une entreprise extérieure qui sont présents dans les locaux de l'entreprise utilisatrice et y travaillent depuis au moins un an, ainsi que les salariés temporaires, sont pris en compte dans l'effectif de l'entreprise à due proportion de leur temps de présence au cours des douze mois précédents. Toutefois, les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée et les salariés mis à disposition par une entreprise extérieure, y compris les salariés temporaires, sont exclus du décompte des effectifs lorsqu'ils remplacent un salarié absent ou dont le contrat de travail est suspendu, notamment du fait d'un congé de maternité, d'un congé d'adoption ou d'un congé parental d'éducation ; / 3° Les salariés à temps partiel, quelle que soit la nature de leur contrat de travail, sont pris en compte en divisant la somme totale des horaires inscrits dans leurs contrats de travail par la durée légale ou la durée conventionnelle du travail. ". Aux termes de l'article L. 5212-14 du même code : " Pour le calcul du nombre de bénéficiaires de l'obligation d'emploi, chaque personne est prise en compte à due proportion de son temps de présence dans l'entreprise au cours de l'année civile, quelle que soit la nature ou la durée de son contrat de travail, dans la limite d'une unité et dans les conditions suivantes : / - les salariés dont la durée de travail est supérieure ou égale à la moitié de la durée légale ou conventionnelle sont décomptés dans la limite d'une unité comme s'ils avaient été employés à temps complet ; / - les salariés dont la durée de travail est inférieure à la moitié de la durée légale ou conventionnelle sont décomptés dans des conditions fixées par décret sans que leur prise en compte puisse dépasser une demi-unité. / Les personnes mises à disposition de l'entreprise par un groupement d'employeurs sont prises en compte dans les mêmes conditions que les salariés de l'entreprise ". La Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe fait valoir que l'administration s'est méprise dans le calcul de la pénalité en ce que son effectif, au sens de ces dispositions, en 2011, année servant d'assiette au calcul de la pénalité, était de 2695 équivalents temps plein et non de 2784 équivalents temps plein, effectif retenu par l'administration dans la décision du 6 septembre 2013 en litige. La ministre du travail, mise en demeure de produire un mémoire en défense par un courrier de la présente cour mentionnant les dispositions de l'article R. 612-6 du code de justice administrative, n'y a pas donné suite. Dès lors, la ministre doit être regardée comme ayant acquiescé aux faits ainsi exposés par l'appelante, alors qu'il résulte au demeurant de l'instruction que la Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe avait fait valoir cette erreur de calcul dès le 7 mai 2014 sans que l'administration n'y apporte une réponse, pas plus d'ailleurs dans son mémoire en défense de première instance alors que le moyen était à nouveau soulevé. Il y a lieu, dès lors, de procéder au calcul de la pénalité, au vu de la méthode de calcul exposée dans la décision en litige du 6 septembre 2013, en se fondant sur un effectif de 2695 équivalents temps plein en lieu et place de l'effectif de 2784 équivalents temps plein retenu par l'administration. Un tel calcul conduit nécessairement à fixer une obligation d'emploi de 161 travailleurs handicapés, soit un nombre d'unités bénéficiaires manquantes de 81,50 ce qui aboutit, toutes choses égales par ailleurs, à une pénalité d'un montant de 1 404 346,80 euros, qu'il y a lieu de mettre à la charge de la Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe.
17. Il résulte de tout ce qui précède que la Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille ne lui a pas accordé la décharge partielle de la pénalité à laquelle elle a été assujettie, qui doit être fixée à la somme de 1 404 346,80 euros, et n'est pas fondée à se plaindre du rejet du surplus de sa demande.
DÉCIDE :
Article 1er : La pénalité mise à la charge de la Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe est fixée à un montant de 1 404 346,80 euros.
Article 2 : La Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe est déchargée de la différence entre le montant de la pénalité mise à sa charge par la décision du 6 septembre 2013 et celui fixé à l'article 1er ci-dessus.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 4 mai 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la Caisse fédérale du Crédit mutuel Nord Europe et à la ministre du travail.
Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.
N°16DA01207 2