Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 1er juin 2018, Mme B...A..., représentée par Me C...E..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;
3°) d'enjoindre à la préfète de Seine-Maritime de prendre en charge sa demande d'asile en cas de reconnaissance du bien fondé de la requête, sans délai à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ou, dans l'hypothèse où il n'obtiendrait pas l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat cette même somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003, modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Paul-Louis Albertini, président-rapporteur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D...B...A..., ressortissante de la République démocratique du Congo née le 2 juillet 1987 à Kinshasa, serait selon ses déclarations en France le 29 août 2017, sous couvert d'un visa de court séjour valable du 16 juin 2017 au 28 septembre 2017, délivré par les autorités consulaires au Brésil. Le 22 novembre 2017, elle s'est présentée auprès de l'association " France Terre d'asile " et s'est vu délivrer une convocation pour un rendez-vous au guichet unique de asile de la préfecture de la Seine-Maritime le 12 décembre 2017. Par un arrêté du 1er mars 2018, notifié le 2 mars 2018, la préfète de la Seine-Maritime a décidé son transfert aux autorités portugaises. Mme B...A...relève appel du jugement du 26 mars 2018 par lequel le magistrat désigné par le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté.
Sur la fin de non-recevoir opposée par la préfète de la Seine-Maritime :
2. Aux termes de l'article R. 776-9 du code de justice administrative : " Le délai d'appel est d'un mois. Il court à compter du jour où le jugement a été notifié à la partie intéressée. Cette notification mentionne la possibilité de faire appel et le délai dans lequel cette voie de recours peut être exercée. ". Aux termes de l'article R. 811-5 du même code, applicable à l'appel : " Les délais supplémentaires de distance prévus à l'article R. 421-7 s'ajoutent aux délais normalement impartis. ". Aux termes de l'article R. 421-7 dudit code : " Lorsque la demande est portée devant un tribunal administratif qui a son siège en France métropolitaine (...) le délai de recours (...) est augmenté d'un mois pour les personnes qui demeurent ...(... ". En application de ces dispositions, Mme B...A...disposait d'un délai de deux mois pour faire appel du jugement du 26 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
3. Toutefois ce délai d'appel est susceptible d'être prorogé dans les conditions définies par l'article 39 du décret du 19 décembre 1991 aux termes duquel : " Lorsqu'une demande d'aide juridictionnelle en vue de se pourvoir en matière civile devant la Cour de cassation est adressée au bureau d'aide juridictionnelle établi près cette juridiction avant l'expiration du délai imparti pour le dépôt du pourvoi ou des mémoires, ce délai es interrompu. Un nouveau délai court à compter du jour de la réception par l'intéressé de la notification de la décision du bureau d'aide juridictionnelle (...) Les délais de recours sont interrompus dans les mêmes conditions lorsque l'aide juridictionnelle est sollicitée à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat ou une juridiction administrative statuant à charge de recours devant le Conseil d'Etat. ".
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme B...A...a déposé une demande d'aide juridictionnelle le 17 avril 2018, soit dans le délai d'appel de deux mois à compter de la notification du jugement de première instance rendu le 28 mars 2018. Le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale lui a été accordé par une décision du 3 mai 2018. Ainsi, la requête d'appel, enregistrée dès le 1er juin 2018, soit dans le délai de recours d'appel, n'est pas tardive. Dès lors, la fin de non-recevoir opposée par la préfète de la Seine-Maritime, tirée de la tardiveté de la requête d'appel, doit être écartée.
Sur la décision portant transfert :
5. Aux termes de l'article 29 du règlement n° 603/2013 du 26 juin 2013 : " Toute personne relevant de l'article 9, paragraphe 1, de l'article 14, paragraphe 1, ou de l'article 17, paragraphe 1, est informée par l'Etat membre d'origine par écrit et, si nécessaire, oralement, dans une langue qu'elle comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'elle la comprend : a) de l'identité du responsable du traitement au sens de l'article 2, point d), de la directive 95/46/CE, et de son représentant, le cas échéant ; b) de la raison pour laquelle ses données vont être traitées par Eurodac, y compris une description des objectifs du règlement (UE) n° 604/2013, conformément à l'article 4 dudit règlement, et des explications, sous une forme intelligible, dans un langage clair et simple, quant au fait que les Etats membres et Europol peuvent avoir accès à Eurodac à des fins répressives ; c) des destinataires des données ; d) dans le cas des personnes relevant de l'article 9, paragraphe 1, ou de l'article 14, paragraphe 1, de l'obligation d'accepter que ses empreintes digitales soient relevées ; e) de son droit d'accéder aux données la concernant et de demander que des données inexactes la concernant soient rectifiées ou que des données la concernant qui ont fait l'objet d'un traitement illicite soient effacées, ainsi que du droit d'être informée des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris les coordonnées du responsable du traitement et des autorités nationales de contrôle visées à l'article 30, paragraphe 1. (...) " ;
6. Il ressort des pièces du dossier que Mme B...A...a eu communication en lingala, langue qu'elle a déclarée comprendre, du guide du demandeur d'asile ainsi que de la brochure dite " A " intitulée " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - Quel pays sera responsable de ma demande ' ", et de la brochure dite " B " intitulée " Je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", lesquels comportent l'ensemble des informations prévues par les dispositions précitées de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté.
7. Aux termes de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...). / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel (...) est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. (...) ".
8. Il ressort aussi des pièces du dossier que Mme B...A...a bénéficié, le 12 décembre 2017, d'un entretien individuel, dont le résumé lui a été remis et contresigné le même jour, dans des conditions en garantissant la confidentialité, en français, langue qu'elle a déclarée comprendre. Il a pu être vérifié qu'elle avait correctement compris les informations dont elle devait avoir connaissance, l'entretien s'inscrivant dans un processus de détermination de l'Etat membre de l'Union européenne responsable de l'examen de sa demande d'asile. L'absence de recours à un interprète en langue française, lingala ou portugaise au cours de l'entretien individuel n'a donc pas été, en l'espèce, de nature à en vicier la régularité. Il ressort du compte-rendu revêtu de sa signature que " l'entretien a été réalisé à 10h40 dans une pièce fermée, de manière confidentielle et personnelle, en français, par JC, agent de la Préfecture de Seine-Maritime ", ce qui démontre qu'elle a bien été reçue par un agent de la préfecture de la Seine-Maritime, dans ses locaux. Aucune disposition n'impose en outre que soit portée la mention, sur le compte-rendu individuel de l'identité de l'agent qui a conduit l'entretien et en l'absence d'élément permettant d'en douter, il doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national pour mener l'entretien prévu par les dispositions citées au point précédent et pour permettre au préfet de déterminer l'Etat responsable. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 précité manque en fait.
9. Pour pouvoir procéder au transfert d'un demandeur d'asile vers un autre Etat membre en mettant en oeuvre ces dispositions du règlement, et en l'absence de dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile organisant une procédure différente, l'autorité administrative doit obtenir l'accord de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile avant de pouvoir prendre une décision de transfert du demandeur d'asile vers cet Etat. Une telle décision de transfert ne peut donc être prise, et a fortiori être notifiée à l'intéressée, qu'après l'acceptation de la prise en charge par l'Etat requis.
10. La préfète de la Seine-Maritime justifie avoir saisi les autorités portugaises en produisant l'accusé de réception par le réseau de communication électronique " DubliNet " de la demande de prise en charge de Mme B...A...adressée à ces autorités le 12 décembre 2017 avec la mention de l'enregistrement " Eurodac " de Mme B...A...sous le n°FR 19930088155. Il ressort aussi des pièces du dossier, et notamment de la réponse des autorités portugaises, produite pour la première fois en appel, que celles-ci ont accepté de la prendre en charge le 12 février 2018. La référence " FRDUB 1 9930086036 - 760 " qui correspond au numéro d'enregistrement de sa demande d'asile en France, figurant sur cet accusé de réception édité automatiquement par le réseau de communication électronique " DubliNet", dont c'est la finalité, et l'accord explicite de prise en charge exprimé par les autorités portugaises, afin de confirmer leur responsabilité, permettent en outre de s'assurer que la demande de prise en charge concerne effectivement Mme B...A.... Dès lors, le moyen tiré de ce que le préfet n'établit pas avoir requis les autorités portugaises et obtenu leur accord explicite pour prendre en charge Mme B...A...avant de prendre l' arrêté de transfert en litige manque en fait.
11. Aux termes de l'article 17 du règlement n°604/2013: " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) / 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit (...). La faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 de ce règlement, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile
12. Il ressort des termes mêmes de la décision contestée et des pièces du dossier que la préfète de la Seine-Maritime, qui a procédé à un examen sérieux de l'ensemble des particularités de la situation de Mme B...A..., a recherché notamment s'il y avait lieu de faire application des dispositions de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 pour retenir la France comme Etat responsable de la demande d'asile de Mme B...A..., qui s'est déclarée célibataire et mère d'un enfant mineur, résidant en République démocratique du Congo. Elle déclare ne pas avoir de famille en France, et indique seulement être atteinte de troubles psychiatriques pour lesquels elle serait suivie depuis le mois de décembre 2017 par " l'Equipe Mobile Précarité Santé Mentale ". Toutefois elle n'établit pas qu'elle ne pourrait bénéficier d'un suivi médical au Portugal. Dans ces conditions, elle n'est pas fondée à soutenir que le préfet aurait méconnu les dispositions précitées de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 en ne faisant pas usage du pouvoir discrétionnaire qu'il tient de cet article.
13. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux points 1 à 12, le moyen tiré de ce que la préfète de la Seine-Maritime aurait entaché la décision en litige d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de Mme B...A...doit être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B...A...n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction, assorties d'astreinte, ainsi que celles présentées au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B...A...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...A..., au ministre de l'intérieur et à Me C...E....
Copie en sera adressée pour information à la préfète de la Seine-Maritime.
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N°18DA01132
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