Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 août 2018, la préfète de la Seine-Maritime demande à la cour d'annuler ce jugement.
Elle soutient que l'arrêté en cause ne méconnait pas les dispositions de l'article 5 du règlement (UE) n°604/2013.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 septembre 2018, M. B...A..., représenté par Me C...D..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête du préfet du Nord ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Paul-Louis Albertini, président-rapporteur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B...A..., ressortissant somalien né le 5 mai 1993, serait selon ses déclarations, entré en France le 28 mars 2018. Il s'est présenté auprès de l'association " France Terre d'asile " et s'est vu délivrer une convocation, le 29 mars 2018, pour un rendez-vous au guichet unique de l'asile de la préfecture de la Seine-Maritime, le 10 avril 2018. Par un arrêté du 16 juin 2018, notifié le 19 juin 2018, la préfète de la Seine-Maritime a décidé son transfert aux autorités finlandaises. La préfète de la Seine-Maritime relève appel du jugement du 23 juillet 2018 par lequel le magistrat désigné par le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté.
Sur les motifs d'annulation retenue par le tribunal administratif :
2. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. "
3. Aucune disposition n'impose la mention sur le compte rendu de l'entretien individuel prévu à l'article 5 précité de l'identité de l'agent qui a mené l'entretien ou de l'identité de l'interprète. Le compte-rendu d'entretien, signé par l'intimé, comporte la mention que l'entretien a été conduit par un agent de la préfecture de Seine-Maritime et qu'il a bénéficié du concours d'un interprète. Par suite, les services de cette préfecture, et en particulier les agents recevant les étrangers au sein du guichet unique des demandeurs d'asile mis en place dans cette préfecture, doivent être regardés comme ayant la qualité, au sens de l'article 5 précité du règlement n° 604/2013, de " personne qualifiée en vertu du droit national " pour mener l'entretien prévu à cet article. La préfète de la Seine-Maritime est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté en litige en méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et de l'article 4.4 de la directive 2013/32/UE.
4. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. B...A...devant le tribunal administratif de Rouen à l'encontre de l'arrêté en litige.
Sur la légalité de la décision de transfert :
5. La décision de transfert d'un demandeur d'asile en vue de sa prise en charge par un autre Etat membre doit être suffisamment motivée afin de le mettre à même de critiquer l'application du critère de détermination de l'Etat responsable de sa demande et, ainsi, d'exercer le droit à un recours effectif garanti par les dispositions de l'article 27 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par suite, elle doit permettre d'identifier le critère de responsabilité retenu par l'autorité administrative parmi ceux énoncés au chapitre III de ce règlement ou, à défaut, au paragraphe 2 de son article 3. En revanche, elle n'a pas nécessairement à faire apparaître explicitement les éléments pris en considération par l'administration pour appliquer l'ordre de priorité établi entre ces critères, en vertu des articles 7 et 3 du même règlement.
6. L'arrêté en litige vise le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et il ressort de la consultation du fichier Eurodac que M. B...A...a demandé l'asile en Finlande le 13 septembre 2015 et que les autorités finlandaises, saisies le 10 avril 2018 sur le fondement du paragraphe 1. b) de l'article 18 dudit règlement d'une demande visant à sa reprise en charge, ont accepté leur responsabilité le 10 avril 2018 sur le fondement du paragraphe 1. b) de l'article 18 du même règlement. Ces énonciations, qui font état des éléments et indices permettant de déterminer la responsabilité des autorités finlandaises, requises aux fins de reprise en charge de l'intéressé, l'ont mis à même de comprendre les motifs de la décision en litige pour lui permettre d'exercer utilement son recours. Dès lors, la décision attaquée est suffisamment motivée au regard notamment des exigences des dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et n'a pas davantage méconnu les dispositions de l'article 7 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
7. Il ressort aussi des pièces du dossier et des termes de l'arrêté en litige que la préfète de la Seine-Maritime énonce les éléments relatifs à la situation personnelle et administrative de M. B...A.... Dès lors, la préfète n'a pas entaché sa décision d'un défaut d'examen de la situation personnelle de l'intéressé.
8. Aux termes de l'article 4 - Droit à l'information - du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / (...) 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune (...) "
9. Il ressort des pièces du dossier que M. B...A..., qui a présenté une demande d'asile auprès de la préfecture de Seine-Maritime, a bénéficié le 10 avril 2018 d'un entretien individuel qui a été réalisé en présence d'un interprète en langue somali, comprise par l'intéressé. A l'occasion de cet entretien, il s'est vu remettre, en langue somali, une brochure d'information " A " relative à la détermination de l'Etat responsable et une brochure " B " concernant la " procédure Dublin " du règlement (UE) n° 604/2013 comportant les informations mentionnées par les dispositions précitées de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit, par suite, être écarté.
10. La préfète de la Seine-Maritime a en outre indiqué, dans l'arrêté contesté, avoir saisi, le 10 avril 2018, soit dans le délai de deux mois visé à l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, les autorités allemandes et finlandaises d'une demande de reprise en charge sur le fondement des dispositions précitées de l'article 18 paragraphe 1, b) du même règlement et estimé qu'un accord implicite, de la part des autorités allemandes, avait été rendu le 25 avril 2018 en application de l'article 25 du même règlement et qu'un accord explicite, de la part des autorités finlandaises, avait été rendu le 10 avril 2018 en application des dispositions de l'article 18 paragraphe 1, d) de ce règlement. Les pièces produites par l'autorité préfectorale, et notamment des deux accusés de réception DubliNet, réseau privé d'échange intranet entre les Etats membres de l'Union européenne, émis le 10 avril 2018, établissent de surcroît que la requête aux fins de reprise en charge de M. B...A...a bien été transmis aux autorités allemandes et finlandaises le 10 avril 2018. Il s'ensuit que la préfète de la Seine-Maritime a pu légalement, compte tenu de l'existence de cet accord implicite, prononcer le transfert de l'intéressée vers la Finlande.
11. Aux termes de l'article 17 du règlement n°604/2013: " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) / 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit (...). La faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 de ce règlement, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile
12. Il ressort des termes mêmes de la décision contestée et des pièces du dossier que la préfète de la Seine-Maritime, qui a procédé à un examen sérieux de l'ensemble des particularités de la situation de M. B...A..., et a recherché, notamment, s'il y avait lieu de faire application des dispositions de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 pour retenir la France comme Etat responsable de la demande d'asile de M. B...A.... Il déclare ne pas avoir de famille en France ni dans un autre Etat membre et indique être marié et père d'un enfant, sans en connaitre leur adresse. Si l'intéressé soutient qu'il appartenait aux autorités françaises de prendre, auprès des autorités finlandaises des renseignements sur l'état d'avancement de sa demande d'asile, en application de l'article 34 du règlement (UE) n° 604/2013, il résulte des mentions de cet article qu'une telle demande d'informations n'est pas obligatoire, alors qu'en tout état de cause, l'article 18 1. d) du même règlement prévoit la possibilité d'édicter à l'égard d'un demandeur d'asile une décision de transfert vers un Etat ayant rejeté sa demande d'asile, dans la mesure où ce règlement a précisément pour objectif de faire en sorte qu'un étranger sollicitant l'asile dans l'Union européenne ne voie sa demande traitée que par un seul Etat membre. Dans ces conditions, il n'est pas fondé à soutenir que le préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation et aurait méconnu les dispositions précitées de l'article 17 et les dispositions de l'article 34 du règlement du 26 juin 2013 en ne faisant pas usage du pouvoir discrétionnaire qu'il tient de cet article.
13. Pour les mêmes motifs que ceux cités au point 12, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 2 selon lequel " 1. Toute personne a droit à la vie. / 2.Nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté. ", l'article 3-1 selon lequel " Toute personne a droit à son intégrité physique et mentale " de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales selon lequel " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ne peut qu'être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 16 juin 2018. Par voie de conséquence, les conclusions de M. B...A...à fin d'injonction, assorties d'astreinte, ainsi que celles présentées au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 23 juillet 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par M. B...A...devant le tribunal administratif de Rouen et devant la cour administrative d'appel de Douai sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M E...B...A..., au ministre de l'intérieur et à Me C...D....
Copie en sera adressée pour information à la préfète de la Seine-Maritime.
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N°18DA01638
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