Par une requête, enregistrée le 22 novembre 2016, M.E..., représenté par Me A... C..., demande à la cour :
1°) à titre principal, d'annuler ce jugement et de renvoyer l'affaire au tribunal administratif d'Amiens ;
2°) à titre subsidiaire, de réformer ce jugement et de condamner la société Orange à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'illégalité du dispositif de promotion interne mis en place depuis 2004 ;
3°) d'enjoindre à la société Orange de procéder à la reconstitution de sa carrière en le réintégrant au 11ème échelon du grade de technicien des installations (TINT) à compter du 1er décembre 2014 et en rétablissant rétroactivement ses promotions d'échelon jusqu'à ce jour ;
4°) d'enjoindre à la société Orange de procéder au versement de la somme de 21 910,58 euros, quitte à parfaire, représentant la perte de traitement et accessoires résultant de sa reconstitution de carrière, après indexation sur l'évolution annuelle du point d'indice ainsi qu'au versement des cotisations de retraite ;
5) d'enjoindre à la société Orange de procéder à sa nomination au grade de chef technicien (CTINT) ;
6°) de mettre à la charge de la société Orange le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 90-568 du 10 juillet 1990 ;
- le décret n° 58-777 du 25 août 1958 modifié ;
- le décret n° 72-420 du 24 mai 1972 modifié ;
- le décret n° 90-1231 du 31 décembre 1990 modifié ;
- le décret n° 91-103 du 25 janvier 1991 modifié ;
- le décret n° 2004-1300 du 26 novembre 2004 ;
- le décret n° 2011-1673 du 29 novembre 2011 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Paul-Louis Albertini, président de chambre,
- et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,
Considérant ce qui suit :
1. M.E..., fonctionnaire de France Télécom depuis 1975, titulaire depuis 1992 du grade d'aide technicien de 1ère classe, a refusé lors du changement de statut de France Télécom d'intégrer les corps dits de " reclassification ". Par un arrêt du 12 mai 2011, devenu définitif, la cour administrative d'appel de Douai a jugé que M. E...avait droit à une indemnité d'un montant de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral à raison des fautes relevées, consistant à priver de manière générale les fonctionnaires " reclassés " de la possibilité de promotion interne, mais qu'il ne pouvait être regardé comme ayant été privé d'une chance sérieuse d'accéder au corps supérieur si des promotions avaient été organisées au bénéfice des fonctionnaires " reclassés " après 1993. Par une demande indemnitaire préalable du 23 décembre 2013, M. E...a ensuite demandé à la société Orange la reconstitution de sa carrière, à compter du 1er décembre 2004, et la réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'illégalité du dispositif de promotion interne mis en place à compter de décembre 2004. Un refus implicite est né du silence gardé par la société Orange sur cette demande. M. E...relève appel du jugement du 23 septembre 2016 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Le moyen de M. E...tiré de ce que les premiers juges se seraient mépris sur l'interprétation de ses écritures, en estimant qu'il avait soulevé un moyen tiré de l'exception d'illégalité du décret n°2004-1300 du 26 novembre 2004 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de France Télécom, ne saurait constituer une irrégularité de nature à entraîner l'annulation du jugement par le juge d'appel. Il lui appartient seulement d'examiner ce moyen dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel qui résulte de l'introduction de la requête.
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires au titre de l'illégalité du dispositif de promotion interne institué en 2004 :
3. D'une part, aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 susvisée : " Les personnels de La Poste et de France Télécom sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État (...) ". Aux termes de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa version alors en vigueur : " En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...) non seulement par voie de concours (...) mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après : / 1° Examen professionnel ; / 2° Liste d'aptitude établie après avis de la commission paritaire du corps d'accueil. / Chaque statut particulier peut prévoir l'application des deux modalités ci-dessus, sous réserve qu'elles bénéficient à des agents placés dans des situations différentes ". En vertu de l'article 10 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dont l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications prévoit l'application à l'ensemble des corps de fonctionnaires de France Télécom, les statuts particuliers pris par décret en Conseil d'Etat peuvent déroger, après avis du conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat, à certaines des dispositions du statut général qui ne correspondraient pas aux besoins propres de ces corps ou aux missions que leurs membres sont destinés à assurer.
4. D'autre part, l'article 1er du décret du 26 novembre 2004 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de France Télécom prévoit que " Les dispositions des décrets mentionnés en annexe sont abrogées en tant qu'elles prévoient pour les corps de France Télécom les recrutements externes, la répartition des emplois à pourvoir par la voie interne et la voie externe et une période probatoire ou un stage avant la titularisation. ". Selon l'article 2 de ce décret : " Les recrutements par la voie interne ou par l'une des voies offertes au titre de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée, prévus pour les corps de France Télécom par les décrets mentionnés en annexe ne sont ouverts qu'aux fonctionnaires des corps de France Télécom. ". L'article annexe à ce décret mentionne le corps des techniciens des installations de France Télécom, créé par le décret n°90-1231 du 31 décembre 1990 et régi par le décret modifié n°72-420 du 24 mai 1972. Il résulte de l'article 4 de ce décret du 24 mai 1972, que le statut particulier du corps des techniciens prévoyait ainsi au nombre des modalités de promotion interne la voie du concours interne, de la liste d'aptitude et de l'examen professionnel jusqu'à son abrogation par le décret en Conseil d'Etat n°2011-1673 du 29 novembre 2011 relatif au statut particulier du corps des techniciens de France Télécom, qui pris en application de l'article 10 de la loi du 11 janvier 1984, prévoit dorénavant que les techniciens sont recrutés par la voie d'un concours interne sur épreuves.
5. Il résulte de l'instruction, et en particulier de la décision n°14 du 2 juillet 2004 relative aux modalités d'organisation des promotions des personnels et fonctionnaires de France Télécom SA, que la société Orange a fait le choix de privilégier le concours interne. Cette circonstance ne la dispensait pas, en application de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 précité, de procéder à l'établissement de listes d'aptitude ou de tableaux d'avancement permettant la promotion interne des fonctionnaires concernés, jusqu'à la date d'entrée en vigueur du décret du 29 novembre 2011. France Télécom, devenue la société Orange, a commis une illégalité fautive en s'abstenant d'organiser d'autres voies de promotion interne que le concours.
6. Toutefois, compte tenu des appréciations portées sur la manière de servir de M. E..., certes satisfaisantes, il ne résulte pas de l'instruction que l'intéressé ait été privé d'une chance sérieuse d'accéder au corps des techniciens des installations de France Télécom si, à compter de 2004, la promotion interne avait été prévue par une autre voie que celle du concours. En particulier, il ne ressort pas des notices d'entretien établies par sa hiérarchie que ses compétences auraient été exceptionnelles. Il n'a, d'ailleurs, fait part d'aucun projet d'évolution professionnelle à l'occasion de ces entretiens, organisés chaque année au cours de la période concernée. Dès lors, M. E...n'établit pas l'existence d'une perte de chance sérieuse d'accéder au corps des techniciens, entre 2004 et 2011, alors au demeurant qu'il est constant qu'il n'a jamais présenté sa candidature à l'un des concours organisés par France Télécom à compter de 2004.
7. En revanche, il sera fait une exacte appréciation des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral subis par M.E..., du fait de l'illégalité évoquée au point 5, en les évaluant à la somme de 1 000 euros.
En ce qui concerne la reconstitution de carrière et ses conséquences financières :
8. Les décisions administratives ne peuvent légalement disposer que pour l'avenir. S'agissant des décisions relatives à la carrière des fonctionnaires ou des militaires, il peut toutefois être dérogé à ce principe par l'administration en leur conférant une portée rétroactive, dans la seule mesure où ces décisions permettent d'assurer la continuité de la carrière d'un agent ou de procéder à la régularisation de sa situation.
9. D'une part, il ne résulte ni d'une loi, ni de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 12 mai 2011 indemnisant M. E...au titre de la privation de toute possibilité de promotion interne, ni de la décision du Conseil d'Etat " M. B... " du 26 décembre 1925 jugeant des mesures qu'il incombe à l'administration de prendre à la suite d'une annulation contentieuse en matière de fonction publique, ni de la décision du Conseil d'Etat n°372041 du 3 juillet 2015 jugeant de la mise en oeuvre illégale de tableaux d'avancement distincts dans un corps, que, par dérogation au principe de non-rétroactivité des actes administratifs, une décision rétroactive devait nécessairement être prise, en exécution de ces arrêts, pour reconstituer la carrière du requérant ou régulariser sa situation par l'établissement rétroactif de tableaux d'avancement ou de listes d'aptitude, d'autre part, ainsi qu'il a été dit au point 6, M. E...n'établit pas non plus l'existence d'une perte de chance sérieuse dans le cas ou France Télécom aurait organisé la promotion interne autrement que la seule voie du concours interne. Par suite, la société Orange, venant aux droits de France Télécom, a pu légalement rejeter implicitement sa demande tendant à la reconstitution de sa carrière. Ses conclusions tendant à la reconstitution de sa carrière doivent être rejetées.
En ce qui concerne l'inscription sur la liste d'aptitude pour l'accès au grade de chef technicien :
10. Eu égard à tout ce qui précède, les conclusions tendant à ce qu'il soit procédé à sa nomination au grade de chef technicien ne peuvent qu'être rejetées.
11. Il résulte de ce qui précède que M. E...est fondé à se soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande indemnitaire.
Sur les frais liés à l'instance :
12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Orange la somme que M. E...réclame au titre de frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M.E..., qui n'est pas la partie perdante, dans la présente instance, soit condamnée au versement de la somme que la société Orange réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1 : Le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 23 septembre 2016 est annulé.
Article 2 : La société Orange versera à M. E...une somme de 1 000 euros en réparation de ses troubles dans les conditions d'existence et de son préjudice moral.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de la société Orange présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D...E...et à la société Orange France.
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