Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 août 2020 et 3 décembre 2020, M. A..., représenté par Me Deniau, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la société Orange, du fait de son comportement fautif, à lui verser les sommes de 160 293,38 euros en réparation de sa perte de traitement, à parfaire par l'octroi d'une somme complémentaire de 2 000 euros par mois à compter du mois d'octobre 2020, de 2 822,49 euros en réparation de l'absence de versement de l'aide à la mutuelle, à parfaire par l'octroi d'une somme complémentaire de 60,53 euros par mois à compter du mois d'octobre 2020, de 2 159,38 euros en réparation de l'absence de versement du supplément familial de traitement, de 1 570,80 euros en réparation de l'absence de versement des avantages octroyés aux employés fonctionnaires de la société Orange, à parfaire par l'octroi d'une somme complémentaire de 10,20 euros par mois à compter d'octobre 2020, et de 10 000 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence, ces sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'administration de ses demandes préalables et de leur capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de la société Orange la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,
- et les observations de M. A... et de Me Skirim pour la société Orange.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... A... a intégré, en 1983, l'administration des télécommunications à laquelle a succédé la société France Télécom, devenue la société Orange, au grade de mécanicien dépanneur du ministère des postes, télégraphes et téléphones. Par un jugement du 10 décembre 2013, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 15 juillet 2011 par laquelle la société Orange a mis M. A... à la retraite d'office pour invalidité. Par un jugement du 10 juillet 2015, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 11 septembre 2013 par laquelle la société Orange a, de nouveau, mis M. A... à la retraite d'office pour invalidité. Par un jugement du 29 décembre 2017, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 29 mars 2016 par laquelle la société Orange l'a radié des cadres pour abandon de poste à compter du 21 mars 2016. M. A... relève appel du jugement du 24 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la société Orange à lui verser diverses sommes en réparation des préjudices subis du fait, d'une part, de l'illégalité des trois décisions annulées par les jugements du tribunal administratif de Lille précités et, d'autre part, de la méconnaissance par ladite société de son obligation de recherche de reclassement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la responsabilité de la société Orange :
2. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 1 que, par trois jugements devenus définitifs, le tribunal administratif de Lille a annulé les décisions des 15 juillet 2011 et 11 septembre 2013 prononçant la mise en retraite d'office pour invalidité de M. A... et celle du 29 mars 2016 prononçant sa radiation des cadres pour abandon de poste. Les illégalités de ces décisions constituent des fautes de nature à engager la responsabilité de la société Orange, de sorte que M. A... est en droit d'obtenir réparation du préjudice direct et certain en ayant résulté pour lui.
3. En second lieu, il résulte d'un principe général du droit, dont s'inspirent tant les dispositions du code du travail relatives à la situation des salariés qui, pour des raisons médicales, ne peuvent plus occuper leur emploi que les règles statutaires applicables dans ce cas aux fonctionnaires, que, lorsqu'il a été médicalement constaté qu'un salarié se trouve, de manière définitive, atteint d'une inaptitude physique à occuper son emploi, il incombe à l'employeur, avant de pouvoir prononcer son licenciement, de chercher à reclasser l'intéressé dans un autre emploi. La mise en œuvre de ce principe implique que, sauf si l'agent manifeste expressément sa volonté non équivoque de ne pas reprendre une activité professionnelle, l'employeur propose à ce dernier un emploi compatible avec son état de santé et aussi équivalent que possible avec l'emploi précédemment occupé ou, à défaut d'un tel emploi, tout autre emploi si l'intéressé l'accepte. Ce n'est que lorsque ce reclassement est impossible, soit qu'il n'existe aucun emploi vacant pouvant être proposé à l'intéressé, soit que l'intéressé est déclaré inapte à l'exercice de toutes fonctions ou soit que l'intéressé refuse la proposition d'emploi qui lui est faite, qu'il appartient à l'employeur de prononcer, dans les conditions applicables à l'intéressé, son licenciement.
4. Il résulte de l'instruction qu'à la suite du jugement du tribunal administratif de Lille en date du 10 décembre 2013, la société Orange a adressé un courrier daté du 3 mars 2014 afin d'inviter M. A... à présenter, le cas échéant, une demande de reclassement. L'intéressé ayant répondu favorablement à cette invitation, il a été reçu par le médecin du travail le 7 avril 2014 et s'est vu proposer, par courrier du 30 avril 2014, un poste de conseiller au sein de l'unité " appels non identifiés " du service clients de la société Orange situé à Reims, qu'il a refusé par un courrier du 4 juin 2014. Si l'appelant soutient que ce poste n'était pas compatible avec son état de santé dès lors que l'expertise du docteur B... du 26 mars 2012 avait retenu que sa reprise professionnelle devait être effectuée dans sa zone d'habitation alors située à Bouillé-Courdault (Vendée), il résulte de l'instruction, d'une part, que le médecin du travail a rendu un avis d'aptitude au poste proposé et, d'autre part, que M. A... n'apporte aucun commencement de preuve de nature à établir l'existence de postes vacants dans sa zone d'habitation alors que la société Orange fait valoir qu'il n'en existait pas. Par ailleurs, il résulte de l'instruction qu'à la suite du jugement du tribunal administratif de Lille du 7 octobre 2015, la société Orange a, par des courriers des 7 et 22 octobre et 24 novembre 2015, proposé à l'intéressé trois postes de conseiller dans les unités " administration des ventes multiservices " et " gestion des comptes clients " des services clients de la société Orange situés à Villeneuve d'Ascq et à Cambrai, que celui-ci a refusés respectivement par des courriers des 19 octobre, 12 novembre et 13 décembre 2015. M. A... se prévaut de courriels de la société Orange du 23 novembre 2015 mettant en évidence la vacance de postes de conseiller commercial en boutiques à la Rochelle. Mais la circonstance que ceux-ci ne lui aient pas été proposés ne saurait permettre de considérer que la société Orange a méconnu son obligation de reclassement dès lors qu'elle y a satisfait en lui proposant plusieurs postes compatibles avec son état de santé et plus équivalents avec l'emploi d'opérateur des services de renseignements nationaux à Lille qu'il occupait précédemment. Dans ces conditions, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la société Orange aurait commis une faute, au regard de son obligation de reclassement, de nature à engager sa responsabilité.
En ce qui concerne les préjudices :
S'agissant de la réparation sollicitée au titre de l'illégalité de la décision du 29 mars 2016 prononçant la radiation des cadres pour abandon de poste :
5. D'une part, une mesure de radiation des cadres pour abandon de poste ne peut être régulièrement prononcée que si l'agent concerné a, préalablement à cette décision, été mis en demeure de rejoindre son poste ou de reprendre son service dans un délai qu'il appartient à l'administration de fixer. Une telle mise en demeure doit prendre la forme d'un document écrit, notifié à l'intéressé et l'informant du risque qu'il encourt d'une radiation des cadres, sans procédure disciplinaire préalable. Cette obligation, pour l'administration, constitue une condition nécessaire pour que soit caractérisée une situation d'abandon de poste, et non une simple condition de procédure de la décision de radiation des cadres pour abandon de poste.
6. D'autre part, en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité.
7. Il résulte de l'instruction que, par un jugement du 29 décembre 2017 devenu définitif, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 29 mars 2016 prononçant la radiation des cadres de M. A... pour abandon de poste au motif que les mises en demeure de rejoindre son poste sous peine du déclenchement d'une procédure de radiation à son encontre, adressées les 24 novembre 2015 et 1er mars 2016, ne l'informaient pas que cette radiation des cadres pouvait intervenir sans mise en œuvre préalable de la procédure disciplinaire et qu'il n'avait ainsi pas été régulièrement mis en demeure de reprendre son service avant d'être radié des cadres pour abandon de poste. Il résulte toutefois de l'instruction que M. A... a justifié son refus de reprise de ses fonctions par la localisation géographique des postes proposés, ainsi qu'il l'avait fait de manière constante jusqu'alors, comme il a été dit au point 4. Dans ces conditions, il résulte de l'instruction qu'en l'absence de motif valable, ce refus fautif de rejoindre son poste, qui est à l'origine de la rupture du lien avec le service, est de nature à exonérer totalement la société Orange de sa responsabilité. Par suite, les préjudices invoqués par M. A... ne présentant pas de lien direct avec l'illégalité fautive de la décision du 29 mars 2016, sa demande tendant à la condamnation de la société Orange sur ce fondement doit donc être rejetée.
S'agissant de la réparation sollicitée au titre de l'illégalité des décisions des 15 juillet 2011 et 11 septembre 2013 prononçant la mise en retraite d'office pour invalidité :
8. En premier lieu, il résulte de l'instruction que M. A... a été placé en congé de longue maladie du 27 août 2003 au 26 août 2004 puis en congé de longue durée jusqu'au 26 août 2008, et enfin en disponibilité d'office du 27 août 2008 au 26 novembre 2010 par une décision du 12 juillet 2010 qui n'a pas été contestée par l'intéressé et qui a été prolongée ultérieurement ainsi que le mentionne la société Orange dans son courrier du 8 avril 2015 adressé au tribunal administratif de Lille et dans son attestation en date du 19 mai 2016 et tout en lui assurant le versement d'un demi-traitement. Dans ces conditions, les réintégrations de M. A... au 15 juillet 2011 et au 1er octobre 2013, effectuées conformément aux injonctions prononcées par les jugements du tribunal administratif de Lille respectivement des 10 décembre 2013 et 10 juillet 2015, n'impliquaient pas qu'un plein traitement lui soit versé dès lors qu'il était, à ces dates, en disponibilité d'office, l'appelant n'ayant alors pas contesté le maintien dans cette position. Par suite, M. A... n'est pas fondé à solliciter la condamnation de la société Orange à lui verser un complément de rémunération à compter du mois de juillet 2011.
9. En deuxième lieu, si M. A... soutient, d'une part, que, depuis sa radiation de poste du 29 mars 2016, il ne perçoit plus d'aide à la mutuelle, d'autre part, que, depuis le mois de novembre 2015, il ne perçoit plus de supplément familial et, enfin, qu'il n'a jamais bénéficié des avantages octroyés aux fonctionnaires de la société Orange portant sur la réduction de son abonnement Internet, ces préjudices ne sont pas en lien direct avec les illégalités fautives des décisions des 15 juillet 2011 et 11 septembre 2013. Par suite, sa demande indemnitaire sur ces fondements doit être rejetée.
10. En dernier lieu, si M. A... soutient que les illégalités fautives des décisions du 15 juillet 2011 et 11 septembre 2013 ont porté atteinte à son honneur et à sa réputation, il n'apporte pas d'élément de nature à établir le caractère certain de ce chef de préjudice. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que les difficultés familiales qu'il a rencontrées à compter des années 2000 seraient en lien direct avec ces illégalités fautives. Par suite, sa demande tendant à l'indemnisation d'un préjudice moral et de troubles dans les conditions d'existence doit être rejetée.
11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir et l'exception de prescription quadriennale opposées par la société Orange, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la société Orange à lui verser diverses sommes en réparation des préjudices résultant, d'une part, de l'illégalité des décisions des 15 juillet 2011, 11 septembre 2013 et 29 mars 2016 annulées par des jugements du tribunal administratif de Lille et, d'autre part, de la méconnaissance par la société Orange de son obligation de recherche de reclassement.
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Orange, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par M. A..., au titre des frais qu'il a exposés et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... la somme demandée par la société Orange au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Orange au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et à la société Orange.
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N°20DA01173
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