Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 18 novembre 2020 et le 23 juin 2021, M. B... A..., représenté par Me Freger, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler les décisions des 5 et 14 novembre 2018 ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'action et des comptes publics de reconstituer sa carrière et de supprimer toute mention de la sanction disciplinaire de son dossier, dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,
- et les observations de Me Laurie Freger pour M. A....
Une note en délibéré présentée pour M. A... par Me Freger a été enregistrée le 27 septembre 2021.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A... est inspecteur des finances publiques, titularisé dans ce grade depuis le 1er septembre 2017. Il était affecté à cette date à la direction régionale des finances publiques de Guyane comme responsable du pôle de topographie et de gestion cadastrale et du pôle d'évaluation des locaux professionnels. Par arrêté du 5 novembre 2018, le ministre de l'action et des comptes publics lui a infligé la sanction du déplacement d'office. Il l'a également affecté, par décision du 14 novembre 2018 à la direction régionale des finances publiques des Hauts-de-France et du département du Nord. M. A... relève appel du jugement du 18 septembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de ces deux décisions.
Sur la régularité du jugement :
2. Lorsque l'administration s'est fondée sur plusieurs motifs dont certains sont illégaux, il appartient au juge administratif d'examiner s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision en se fondant sur les seuls motifs légaux. En l'espèce, le tribunal administratif de Lille a jugé que " si le requérant soutient qu'il n'a pas commis d'abus de fonctions, les manquements à son devoir d'obéissance hiérarchique et de réserve suffisent, à eux-seuls, et en tout état de cause, pour justifier la sanction du déplacement d'office qui lui a été infligée par l'arrêté du 5 novembre 2018 ". Il a donc statué, sans rechercher, comme le soutient l'appelant, s'il ressortait de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision en se fondant sur les seuls motifs que retenait le tribunal, à savoir les manquements au devoir d'obéissance et au devoir de réserve, alors même qu'il lui revenait d'apprécier la proportionnalité de la sanction. M. A... est donc fondé à soutenir que le tribunal administratif de Lille a omis de se prononcer sur le fait de savoir si l'administration aurait pris la même décision sans se fonder sur le motif de l'abus de fonction. Par suite, le jugement du 18 septembre 2020 doit être annulé. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Lille.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 5 novembre 2018 portant sanction de déplacement d'office :
3. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes. En l'espèce, la sanction de déplacement d'office infligée le 5 novembre 2018 à M. A... était fondée sur les griefs d'abus de fonctions et de refus d'obéissance hiérarchique ainsi que de manquement au devoir de réserve. M. A... conteste chacun de ces griefs.
En ce qui concerne le manquement au devoir d'obéissance :
4. Aux termes de l'article 28 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l'exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. ".
5. En l'espèce, il n'est pas contesté que M. A... a informé son supérieur hiérarchique direct, le directeur du pôle de gestion fiscale, par note du 16 avril 2018, qu'en l'absence d'un ordre écrit de la part de ce dernier avant le 25 avril suivant, il affecterait par défaut les constructions sur sol d'autrui aux propriétaires du foncier et il supprimerait l'exonération de taxe foncière sur les propriétés non bâties des parcelles exploitées par l'Office national des forêts. M. A... avait pourtant été auparavant informé en novembre et décembre 2017 par le directeur régional des finances publiques de Guyane et par le directeur du pôle de gestion fiscale que ces questions étaient en cours d'examen par l'administration centrale de la direction générale des finances publiques. Le 20 avril 2018, le directeur du pôle de gestion donnait l'ordre, par instruction écrite, à M. A... de " ne prendre aucune initiative particulière notamment en procédant au retrait d'exonérations des parcelles exploitées par l'Office national des forêts ou en évaluant les parcelles qui ne le seraient pas ". Malgré cette instruction, M. A... a informé le 3 mai 2018, son supérieur, " avoir délibérément enfreint ", selon ses propres termes, ses directives du 20 avril 2018 en procédant au retrait des exonérations des parcelles exploitées par l'Office national des forêts. Le même jour, le directeur régional des finances publiques lui a demandé, par instruction écrite d'annuler les suppressions d'exonérations effectuées. Il n'est pas contesté que M. A... a à nouveau refusé d'exécuter cet ordre, obligeant d'autres agents à y procéder en urgence. Le manquement au devoir d'obéissance est ainsi caractérisé.
6. Toutefois, M. A... soutient que les instructions qui lui avaient été données étaient manifestement illégales et de nature à compromettre un intérêt public. Néanmoins, aux termes de l'article 121 de la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, qui modifie l'article 1394 du code général des impôts qui exclut d'exonération à la taxe foncière sur les propriétés non bâties, les bois et forêts gérés par l'Office national des forêts : " I. - Dans un délai de douze mois à compter de la publication de la présente loi, l'évaluation cadastrale des parcelles de forêts exploitées, concédées ou gérées par l'Office national des forêts est réalisée, en vue d'une perception de la taxe foncière sur les propriétés non bâties par les collectivités dès 2018. ". L'évaluation cadastrale prévue par la loi n'était pas achevée en mai 2018, au moment de l'intervention de M. A... sur les bases, sans pour autant que l'objectif fixé par le législateur ne puisse être atteint. L'article 1416 du code général des impôts dispose en effet que : " Lorsqu'il n'y a pas lieu à l'établissement de rôles particuliers, les contribuables omis ou insuffisamment imposés au rôle primitif sont inscrits dans un rôle supplémentaire qui peut être mis en recouvrement au plus tard le 31 décembre de l'année suivant celle de l'imposition. ". L'appelant ne peut donc utilement soutenir que son intervention le 3 mai 2018 constituait la date limite pour modifier les bases d'imposition pour 2018. Ces explications avaient été fournies à M. A... dès novembre 2017 et réitérées dans toutes les instructions qui lui ont été données. Le directeur régional des finances publiques était donc fondé à demander à M. A... de ne pas procéder de sa propre initiative à des retraits d'exonérations Il résulte de ce qui précède que le caractère manifestement illégal des instructions données n'est pas établi. Par ailleurs, il n'est pas démontré que les instructions données étaient de nature à compromettre gravement un intérêt public. Le signalement fait par M. A... en application de l'article 40 du code de procédure pénale a d'ailleurs été classé sans suite par le procureur de la République de Cayenne. M. A... était donc tenu d'exécuter les instructions qui lui avaient été données et ses refus réitérés de le faire sont donc constitutifs d'une faute.
En ce qui concerne l'abus de fonctions :
7. M. A... soutient d'abord que ce grief n'a pas été évoqué lors de la procédure disciplinaire. Toutefois, le rapport disciplinaire du directeur régional des finances publiques qui constituait la première pièce du dossier disciplinaire soumis au conseil de discipline, d'après les pièces produites par M. A... lui-même en première instance, mentionnait l'abus de fonctions. M. A... s'est d'ailleurs défendu sur ce point dans son mémoire produit au cours de la procédure disciplinaire et également communiqué au conseil de discipline. Ce moyen doit donc en tout état de cause être écarté.
8. Il ressort également des pièces du dossier que M. A... a usé de sa position de responsable de pôle en charge du cadastre et de son habilitation pour intervenir dans le logiciel de gestion des bases des taxes foncières, pour modifier de lui-même les évaluations des parcelles de l'Office national des forêts, tout en reconnaissant que les évaluations auxquelles il a procédé étaient sommaires. Si M. A... n'a pas usé de ces prérogatives dans son propre intérêt ou au profit d'un tiers, il n'en demeure pas moins qu'il n'a pas exercé ses missions conformément à ses obligations statutaires et que de tels faits sont également constitutifs d'une faute comme l'a retenu l'arrêté du 5 novembre 2018.
En ce qui concerne le manquement au devoir de réserve :
9. Il n'est pas contesté que M. A... a indiqué au responsable du groupe d'investigations régionales que " le cadastre était à l'abandon depuis vingt ans ", ce qui ne permettait pas de fournir des informations fiables dans le cadre des investigations du groupe. Ces propos ont été rapportés lors d'une réunion en préfecture, le 6 juin 2018, par ce responsable du groupe en présence du préfet, du parquet général, du procureur de la République et du général commandant la gendarmerie en Guyane. Toutefois, si les propos de M. A... peuvent être considérés comme outranciers, il n'est pas contesté que le cadastre du département de la Guyane nécessite une forte fiabilisation. Par ailleurs, ces propos constituaient une critique générale du service et non une mise en cause personnelle des responsables ou des agents de ce service. De même, s'ils portent atteinte à l'image du service, il n'est pas établi que M. A... ait autorisé son interlocuteur à en faire état, ni qu'il ait entendu leur donner un caractère public. Par ailleurs, cette critique n'a été diffusée que dans une réunion de responsables de l'Etat. Par suite, le manquement au devoir de réserve n'est pas établi par les pièces du dossier.
En ce qui concerne la proportionnalité de la sanction :
10. Aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. / Premier groupe : / l'avertissement ; / - le blâme ; / - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours. / Deuxième groupe : / - la radiation du tableau d'avancement ; / - l'abaissement d'échelon à l'échelon immédiatement inférieur à celui détenu par l'agent ; / - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quatre à quinze jours ; / - le déplacement d'office. / Troisième groupe : / - la rétrogradation au grade immédiatement inférieur et à l'échelon correspondant à un indice égal ou, à défaut, immédiatement inférieur à celui afférent à l'échelon détenu par l'agent ; / - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans. / Quatrième groupe : / - la mise à la retraite d'office ; / - la révocation. ".
11. Il résulte de ce qui a été dit aux points 6 et 7 que M. A..., inspecteur des finances publiques, a refusé à deux reprises d'exécuter les instructions qui lui étaient données, qui n'étaient ni manifestement illégales, ni de nature à compromettre gravement un intérêt public. Il a usé des prérogatives liées à ses fonctions pour corriger de manière approximative et de sa propre initiative, les bases d'imposition, en dépit des instructions contraires qu'il avait reçues. S'il fait valoir que ses manquements n'ont pas eu de conséquence, c'est uniquement l'intervention en urgence d'autres agents qui a permis d'annuler les corrections auxquelles il s'est livré qui aurait pu avoir des conséquences financières lourdes sur l'équilibre financier de l'Office national des forêts, établissement public de l'Etat. Il résulte de ce qui précède que la sanction du déplacement d'office n'est pas disproportionnée au regard du refus d'obéissance et de l'abus de fonctions commis par l'intéressé.
12. Il ressort des pièces du dossier que l'administration aurait pris la même décision de sanction en se fondant sur les seules fautes de la méconnaissance du devoir d'obéissance et de l'abus de fonctions sans retenir le motif non établi du manquement au devoir de réserve. Les conclusions dirigées contre la décision du 5 novembre 2018 portant sanction de déplacement d'office doivent donc être rejetées.
Sur les conclusions d'annulation de la décision d'affectation du 14 novembre 2017 :
13. M. A... se borne à demander l'annulation de la décision l'affectant à la direction régionale des Hauts-de-France et départementale du Nord par voie de conséquence de l'annulation de la décision de sanction qui en constitue la base légale. Par suite, les conclusions tendant à l'annulation de la sanction étant rejetées, cette demande ne peut qu'être rejetée.
14. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions d'annulation de l'arrêté du 5 novembre 2018 de déplacement d'office ainsi que de la décision du même jour d'affectation à la direction des finances publiques de la région Hauts-de-France et du département du Nord doivent être rejetées, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de l'économie, des finances et de la relance. Par suite, les conclusions de M. A... à fin d'injonction ainsi que celles au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 18 septembre 2020 est annulé.
Article 2 : Les demandes de M. A..., tant en première instance qu'en appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
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N°20DA01816
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