Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 24 avril et 25 septembre 2020, Mme D... B... E... née G... et M. F... C... B..., représentés par Me Pollono, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 24 février 2017 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours formé contre la décision du 23 octobre 2014 de l'autorité consulaire française à Djibouti refusant de délivrer à M. C... B... un visa de long séjour demandé en qualité de membre de famille de réfugié ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer à M. C... B... le visa demandé ou de réexaminer la demande, dans un délai de quinze jours à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Pollono, leur avocate, de la somme de 2 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- il n'est pas établi que la composition de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France attaquée était régulière ;
- la décision contestée n'a pas été précédée d'un examen sérieux du recours administratif préalable obligatoire et des pièces présentées à l'appui de la possession d'état ;
- elle a été prise en méconnaissance de l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration qui impose à l'administration d'indiquer au demandeur les pièces et informations manquantes ;
- elle est entachée d'erreur d'appréciation quant à leur lien familial lequel est établi tant par les actes d'état civil présentés à l'appui de la demande de visa que par des éléments de possession d'état ;
- elle porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de leur vie privée et familiale garanti notamment par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 16 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, l'article 23-1 du pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, les articles 7 et 33 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, le protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatifs à la protection des victimes des conflits armés internationaux du 8 juin 1977, les recommandations n° R(99) 23 du comité des ministres du Conseil de l'Europe sur le regroupement familial pour les réfugiés et les autres personnes ayant besoin de la protection internationale du 15 décembre 1999, la directive 2003/86/CE du Conseil de l'Union européenne du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 juillet 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par les requérants n'est fondé.
Mme B... E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 mars 2020 du bureau d'aide juridictionnelle (section administrative) du tribunal judiciaire de Nantes.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Ody,
- et les observations de Me Nève, substituant Me Pollono, pour Mme B... E... et M. C... B....
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 14 novembre 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme B... E... et M. C... B... tendant à l'annulation de la décision du 24 février 2017 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours, formé contre la décision du 23 octobre 2014 de l'autorité consulaire française à Djibouti refusant de délivrer à M. C... B..., le fils de H... B... E..., un visa de long séjour demandé en qualité de membre de famille de réfugié. Mme B... E... et M. C... B... relèvent appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 24 février 2017 :
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable au litige : " I. Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. (...) ". Aux termes de l'article R. 752-1 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " La demande de réunification familiale est initiée par la demande de visa mentionnée au troisième alinéa du II de l'article L. 752-1 ; elle est déposée auprès de l'autorité diplomatique ou consulaire dans la circonscription de laquelle résident les membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire ". L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit par ailleurs, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
3. Il ressort des pièces du dossier que, pour rejeter la demande de visa litigieuse, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif tiré de ce que le certificat de naissance produit à l'appui de la demande de visa, sans valeur authentique et ne comportant pas les mentions réglementaires d'un acte de naissance, n'était pas suffisamment probant pour justifier de l'état-civil du demandeur.
4. Pour justifier de l'identité de M. C... B..., et de son lien de filiation à l'égard de Mme B... E..., a été produit à l'appui de la demande de visa un certificat de naissance établi par la municipalité de Mogadiscio. Ce certificat mentionne la date et le lieu de naissance de l'intéressé, ainsi que le nom de jeune fille A... la mère, Mme D... G.... Le ministre de l'intérieur fait valoir en défense que ce certificat est dépourvu de valeur probante dès lors qu'il ne comporte pas les mentions réglementaires d'un acte de naissance, notamment que l'identité complète du père, dates et lieu de la naissance des parents, qualité et identité de la personne ayant déclaré la naissance et date de la déclaration de celle-ci. Toutefois, l'administration ne précise pas quelles règles relatives à l'état-civil somalien auraient été méconnues en l'espèce. Par ailleurs, le requérant a produit un certificat de confirmation d'identité établi en décembre 2019 par la municipalité de Mogadiscio et la copie de son passeport, lesquels font également apparaître, sous le nom de la mère, Mme D... G... et dont les mentions concordent avec celles du certificat de naissance initialement produit. Enfin, les énonciations contenues dans les documents présentés sont conformes aux différentes déclarations faites par Mme B... E... devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Dès lors c'est par une inexacte application des dispositions précitées que la commission a rejeté la demande de visa litigieuse au motif que l'identité de l'intéressé et son lien familial avec Mme B... E... n'étaient pas établis.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
6. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à M. C... B.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer un tel visa à l'intéressé dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin, dans les circonstances de l'espèce, de prononcer une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
7. Mme B... E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Pollono dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 14 novembre 2019 du tribunal administratif de Nantes et la décision du 24 février 2017 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulées.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. C... B... un visa de long séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Pollono, avocate des requérants, la somme de 1 200 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... E..., à M. F... C... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 24 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- Mme Buffet, présidente assesseure,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 octobre 2021.
La rapporteure,
C. ODY
Le président,
J. FRANCFORT Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
5
N° 20NT01390