Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 décembre 2019 et 29 janvier 2021, M. A... C..., représenté par Me B... D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de faire droit à sa demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n°84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 95-654 du 9 mai 1995 ;
- le décret n° 2004-1439 du 23 décembre 2004 ;
- le décret n°2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Ghislaine Borot, présidente-rapporteure,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,
- les observations de M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... C..., recruté au sein de la police nationale en 1982, exerçait, dans sa dernière affectation, des fonctions de brigadier-chef de police à la direction départementale de la police aux frontières du Pas-de-Calais. Par un courrier du 6 février 2017, reçu par l'administration le 15 février suivant, il a formé une demande indemnitaire afin d'obtenir la réparation des préjudices qu'il estime avoir subis. Une décision implicite de rejet est née du silence gardé par l'administration. M. C... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner l'Etat à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice matériel ainsi que la somme de 10 000 euros au titre de son préjudice moral. M. C... relève appel du jugement du 23 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. M. C... soutient que le tribunal administratif n'a pas examiné son préjudice matériel et s'est mépris sur sa demande qui n'était pas fondée que sur le harcèlement moral. Il doit être regardé comme faisant grief au tribunal administratif de n'avoir pas examiné ses conclusions indemnitaires sur une autre faute, à savoir celle tirée de son absence de promotion au grade supérieur. Toutefois, il ressort du jugement attaqué que le tribunal administratif, s'il a principalement examiné la demande sur le fondement du harcèlement moral, a néanmoins examiné l'absence de promotion invoquée par le requérant et la discrimination dont il dit avoir fait l'objet. Dans ces conditions, le tribunal administratif ne s'est ni mépris sur la demande indemnitaire de M. C..., ni n'a entaché son jugement d'une omission à statuer. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne le harcèlement moral :
3. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; : 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. ".
4. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.
5. M. C... fait valoir que l'administration a volontairement bloqué son évolution de carrière entre 2009 et sa mise à la retraite en refusant de le promouvoir au grade de brigadier major en dépit des sept demandes qu'il avait présentées. Alors qu'il a obtenu par deux fois l'annulation par le tribunal administratif des deux sanctions disciplinaires prononcées à son encontre les 4 mai 2006 et 3 juillet 2009, l'administration n'a jamais procédé au relèvement de ses notes, dont la baisse de 6 à 5 en 2006 était liée à cette première sanction disciplinaire. Les appréciations littérales contenues dans ses notations ne sont pas en adéquation avec les notes émises, révélant ainsi une volonté de l'administration de ne pas lui permettre d'atteindre les deux derniers niveaux de note, 6 et 7, désignant les " meilleurs policiers ". Il avance également son état de santé dégradé et son placement en congé de longue durée à compter du 14 novembre 2013. Ces éléments de fait sont susceptibles de faire présumer l'existence d'agissements constitutifs d'un harcèlement moral.
6. Il résulte toutefois de l'instruction que la première sanction d'avertissement du 4 mai 2006 prononcée à l'encontre de M. C... a été annulée par un jugement du 11 mars 2009 du tribunal administratif de Lille pour vice de procédure. Eu égard à la nature du motif d'annulation, lequel ne remettait pas en cause les faits reprochés à M. C..., l'administration n'avait pas à procéder nécessairement à une nouvelle notation de l'intéressé. Si le second avertissement prononcé le 3 juillet 2009 a été annulé cette fois par un jugement du 21 février 2012 au motif que les faits reprochés n'étaient pas constitutifs d'une faute, il ne résulte pas pour autant de l'instruction que l'annulation de cette sanction impliquait une révision de la notation au titre de l'année 2009 évaluée toujours à 5 et qui contrairement à ce que prétend le requérant, n'a pas été abaissée par rapport à l'année précédente. Si le requérant fait valoir qu'il a été maintenu à la note de 5 entre 2006 et 2009 alors qu'il a sauvé la vie d'un collègue en 2008, victime d'un accident vasculaire cérébral et procédé à l'interpellation d'un individu hors de son service, il ne résulte pas pour autant de l'instruction que ses notations, dont les notes correspondent aux appréciations littérales formulées mais aussi aux éléments d'appréciation sur les quatorze items prévus tels que la faculté d'expression, le courage ou encore les relations hiérarchiques, seraient entachées d'erreur de fait ou d'erreur manifeste d'appréciation. Ses allégations selon lesquelles il aurait été victime d'une discrimination en raison de son appartenance syndicale sont également dépourvues de tout fondement.
7. M. C... fait également valoir qu'il a été évincé de la prime collective de résultats exceptionnels de l'année 2006. Il résulte toutefois de l'instruction et notamment de la réponse apportée par le commandant de la compagnie république de sécurité n°16 à l'intéressé, que M. C... en a été exclu en raison de sa sanction disciplinaire, compte tenu des critères d'éligibilité fixées dans la note du 31 juillet 2006 du directeur central des compagnies républicaines de sécurité relative à la prime de résultats exceptionnels à titre collectif dans les compagnies républicaines de sécurité. Alors même que cette sanction a finalement été annulée par le juge administratif, il ne résulte pas de l'instruction que le refus d'octroi de cette prime collective aurait été, à l'époque des faits, injustifié.
8. M. C... soutient que l'administration n'a pas respecté ses voeux de mutation en l'affectant à un poste à Coquelles alors qu'il avait demandé un poste à la police aux frontières de Calais. Il résulte toutefois de l'instruction que le directeur départemental de la police aux frontières du Pas-de-Calais, dans le cadre normal de son pouvoir d'organisation du service, a par une note du 17 février 2011 opéré une permutation de service de certains de ses agents et ce, dans l'intérêt du service. Aucun élément du dossier ne permet d'établir que ce changement de service, qui n'a d'ailleurs pas concerné uniquement M. C..., aurait eu pour objet de l'affecter sur un poste éprouvant.
9. M. C... fait valoir que son état de santé s'est altéré compte tenu de sa souffrance au travail. Il ne résulte pas de l'instruction que les troubles dont il souffre s'inscriraient dans un contexte professionnel pathogène.
10. Dans ces conditions, et compte tenu de tout ce qui précède les agissements de l'autorité administrative n'excèdent pas les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, et ne sauraient être regardés comme constitutifs d'un harcèlement moral, au sens des dispositions précitées de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983. Par suite, les conclusions présentées sur le fondement du harcèlement moral ne peuvent être que rejetées.
En ce qui concerne l'absence de promotion au grade supérieur :
11. M. C... se borne pour l'essentiel à faire état de ce qu'il remplissait les conditions pour pouvoir être promu au grade de major, en ayant notamment obtenu l'examen professionnel requis pour accéder à ce grade en 2009 et de son ancienneté. S'il allègue s'agissant du tableau d'avancement de l'année 2012, qu'il aurait dû être positionné avant deux de ses collègues, à l'ancienneté moindre au sein de la direction départementale de la police aux frontières du Pas-de-Calais, il ne résulte pas de l'instruction que ses mérites auraient été supérieurs à ceux des agents qui ont été promus. Dans ces conditions, la responsabilité de l'Etat ne saurait davantage être engagée sur le fondement de ce second fait générateur. Ses conclusions indemnitaires doivent dès lors être rejetées.
12. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Me B... D... pour M. A... C... et au ministre de l'intérieur.
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N°19DA02792
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