Par une requête, enregistrée le 7 décembre 2018, M. B... E..., représenté par Me D... C..., demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) d'annuler les décisions attaquées et de ramener la créance à la somme de 3 189,64 euros ;
3°) de le " dispenser " du paiement de la créance, en réparation du préjudice subi ;
4°) d'enjoindre à l'administration de cesser tout recouvrement ;
5°) à titre subsidiaire, de ramener la créance à la somme de 3 101 euros, en réparation du préjudice subi du fait de la carence de l'Etat dans la gestion de son dossier ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n°2000-321 du 12 avril 2000 modifié ;
- le décret n°97-901 du 1er octobre 1997 ;
- le décret n°2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme G... A..., présidente-rapporteure,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., alors adjudant-chef de l'armée de terre affecté au groupement de soutien de la base de défense de Creil, s'est vu notifier par courrier du 27 janvier 2015 du centre expert des ressources humaines et de la solde de Nancy un trop-perçu de rémunération d'un montant de 10 563,10 euros portant sur la période du 1er octobre 2011 au 30 novembre 2014. M. E... a contesté cette décision le 22 février 2015 devant le centre expert des ressources humaines et de la solde de Nancy. Par des courriers des 7 juillet 2015 et 5 octobre 2015, le centre expert des ressources humaines et de la solde de Nancy a fourni certaines explications sur la réclamation de M. E.... Par une décision du 16 novembre 2015, notifiée le 16 décembre 2015, le centre expert des ressources humaines et de la solde de Nancy l'a informé que le trop-perçu s'élevait après réexamen à la somme de 14 259,89 euros. Par courrier daté du 15 février 2016, reçu le 18 février 2016, M. E... a alors saisi la commission des recours des militaires d'un recours préalable pour contester ce trop-perçu de rémunération. Une décision implicite de rejet de sa réclamation est née du silence gardé par le ministre de la défense, laquelle s'est substituée à la décision du 16 novembre 2015 du centre expert des ressources humaines et de la solde. M. E... a saisi le 18 août 2016 le tribunal administratif de Nancy d'une demande d'annulation de cette décision implicite de rejet et de conclusions indemnitaires. Cette requête a été transmise au tribunal administratif d'Amiens, territorialement compétent. M. E... relève appel de l'ordonnance du 9 octobre 2018 par laquelle le président du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. Contrairement à ce que soutient M. E..., il ne ressort pas de l'ordonnance attaquée que le premier juge aurait fait droit aux moyens soulevés en défense par la ministre de la défense dans un mémoire dont il n'a pas eu communication. L'ordonnance attaquée mentionne expressément, en son point 6, que la ministre n'a pas produit d'observations et aucun mémoire en défense n'est d'ailleurs visé. Le premier juge ne s'est ainsi fondé que sur la requête introductive d'instance de M. E... pour rejeter les conclusions de sa demande comme étant irrecevables. Par suite, le moyen tel qu'il est soulevé doit être écarté.
3. Aux termes de l'article 16 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations désormais repris à l'article L. 112-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute personne tenue de respecter une date limite ou un délai pour présenter une demande, déposer une déclaration, exécuter un paiement ou produire un document auprès d'une autorité administrative peut satisfaire à cette obligation au plus tard à la date prescrite au moyen d'un envoi de correspondance, le cachet apposé par les prestataires de services postaux autorisés au titre de l'article L. 3 du code des postes et des communications électroniques faisant foi, ou d'un envoi par voie électronique, auquel cas fait foi la date figurant sur l'accusé de réception ou, le cas échéant, sur l'accusé d'enregistrement adressé à l'usager par la même voie conformément aux dispositions du I de l'article 5 de l'ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives. (...)". Constituent des demandes au sens de ces dispositions, qui sont applicables aux relations entre l'administration et ses agents, les recours administratifs dont l'exercice constitue un préalable obligatoire au recours contentieux, au nombre desquels figurent les recours formés par les militaires, devant la commission des recours des militaires, à l'encontre d'actes relatifs à leur situation personnelle.
4. Aux termes de l'article R. 4125-1 du code de la défense : ". - Tout recours contentieux formé par un militaire à l'encontre d'actes relatifs à sa situation personnelle est précédé d'un recours administratif préalable, à peine d'irrecevabilité du recours contentieux. / Ce recours administratif préalable est examiné par la commission des recours des militaires, placée auprès du ministre de la défense. / La saisine de la commission est seule de nature à conserver le délai de recours contentieux jusqu'à l'intervention de la décision prévue à l'article R. 4125-10. (...)". Aux termes de l'article R. 4125-2 du même code : " À compter de la notification (...) de l'acte contesté, (...), le militaire dispose d'un délai de deux mois pour saisir la commission par lettre recommandée avec avis de réception adressée au secrétariat permanent placé sous l'autorité du président de la commission. / La lettre de saisine de la commission est accompagnée d'une copie de l'acte. (...).".
5. Il ressort des pièces du dossier que M. E... a reçu notification le 16 décembre 2015 de la décision du 16 novembre 2015 du centre d'expertise des ressources humaines et de la solde de Nancy l'informant d'un trop-perçu de solde d'un montant de 14 259,89 euros. Il a contesté cette décision devant la commission des recours des militaires par une lettre recommandée avec avis de réception postée le mardi 16 février 2016, soit dans le délai de deux mois imparti par les dispositions précitées de l'article R. 4125-2 du code de la défense. Ainsi, nonobstant la circonstance que ce recours n'a été enregistré au secrétariat de la commission que le jeudi 18 février 2016, alors que le délai de deux mois avait expiré le 17 février 2016 à minuit, il résulte des dispositions précitées au point 4 que le recours de M. E... devant la commission des recours des militaires n'était pas tardif. Par suite, c'est à tort que par l'ordonnance attaquée, le président du tribunal administratif d'Amiens a rejeté comme irrecevables les conclusions d'annulation de M. E... dirigées contre la décision implicite de rejet de son recours préalable obligatoire, enregistrées le 18 août 2016, au motif que ce recours, reçue le 18 février 2016 par la commission des recours des militaires, n'avait pas préservé le délai de recours contentieux, ainsi que les conclusions à fin d'injonction, accessoires aux conclusions d'annulation. Il s'ensuit que l'ordonnance est entachée sur ce point d'irrégularité et doit être annulée dans cette mesure.
6. Il résulte des dispositions précitées du code de la défense au point 4 qu'à l'exception des matières qu'elles ont entendu écarter expressément de la procédure du recours préalable obligatoire, la saisine de la commission des recours des militaires s'impose à peine d'irrecevabilité d'un recours contentieux, formé par un militaire à l'encontre d'actes relatifs à sa situation personnelle que ce recours tende à l'annulation d'une décision ou à l'octroi d'une indemnité à la suite d'une décision préalable ayant lié le contentieux. Il appartient, dès lors, au militaire, s'agissant d'actes relatifs à sa situation personnelle, de saisir au préalable son administration d'une demande indemnitaire puis, en cas de refus explicite ou implicite de faire droit à sa demande, de saisir la commission des recours des militaires.
7. Si M. E... invoque, dans son recours daté du 15 février 2016 adressé à la commission des recours des militaires, la faute de l'Etat en raison de sa carence dans la gestion de son dossier, il ne résulte pas de l'instruction que l'intéressé aurait préalablement saisi l'administration d'une demande tendant à être indemnisé de ses préjudices résultant de cette faute, ni d'une demande tendant à être indemnisé du préjudice correspondant aux prélèvements déjà effectués sur sa solde. Contrairement à ce que soutient le requérant, le courrier du 7 janvier 2016 adressé au centre d'expertise ne saurait tenir lieu de demande préalable dès lors qu'il s'y borne à contester les sommes qui lui sont réclamées. Dès lors, les conclusions indemnitaires présentées par M. E... sont irrecevables. Par suite, M. E... n'est pas fondé à soutenir que, c'est à tort que par l'ordonnance attaquée, le président du tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses conclusions indemnitaires.
8. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a lieu d'évoquer que dans la mesure énoncée au point 5 et de statuer immédiatement sur les conclusions de M. E... devant le tribunal administratif tendant à l'annulation du 16 novembre 2015 du centre d'expertise des ressources humaines et de la solde de Nancy et de celle implicite de rejet du ministre de la défense née du silence gardé sur son recours préalable obligatoire.
9. L'institution, par les dispositions de l'article R. 4125-1 du code de la défense, d'un recours administratif préalable obligatoire à la saisine du juge, a pour effet de laisser à l'autorité compétente pour en connaître le soin d'arrêter définitivement la position de l'administration. Il en résulte que la décision prise à la suite de ce recours se substitue nécessairement à la décision initiale et est seule susceptible de faire l'objet d'un recours contentieux. Ainsi, la décision implicite de rejet du ministre de la défense née du silence gardé sur le recours préalable obligatoire présenté par M. E... s'est substituée à celle initiale du 16 novembre 2015 du centre d'expertise des ressources humaines et de la solde. Par suite, les conclusions d'annulation dirigées contre cette décision du 16 novembre 2015 sont irrecevables.
Sur les conclusions d'annulation de la décision implicite de rejet du ministre de la défense :
En qui concerne la prescription biennale :
10. L'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000, dans sa rédaction issue de l'article 94 de la loi du 28 décembre 2011 portant loi de finances rectificative pour 2011, dispose que : " Les créances résultant de paiements indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents peuvent être répétées dans un délai de deux années à compter du premier jour du mois suivant celui de la date de mise en paiement du versement erroné, y compris lorsque ces créances ont pour origine une décision créatrice de droits irrégulière devenue définitive. / Toutefois, la répétition des sommes versées n'est pas soumise à ce délai dans le cas de paiements indus résultant soit de l'absence d'information de l'administration par un agent de modifications de sa situation personnelle ou familiale susceptibles d'avoir une incidence sur le montant de sa rémunération, soit de la transmission par un agent d'informations inexactes sur sa situation personnelle ou familiale. / Les deux premiers alinéas ne s'appliquent pas aux paiements ayant pour fondement une décision créatrice de droits prise en application d'une disposition réglementaire ayant fait l'objet d'une annulation contentieuse ou une décision créatrice de droits irrégulière relative à une nomination dans un grade lorsque ces paiements font pour cette raison l'objet d'une procédure de recouvrement ".
11. Il résulte de ces dispositions qu'une somme indûment versée par une personne publique à l'un de ses agents au titre de sa rémunération peut, en principe, être répétée dans un délai de deux ans à compter du premier jour du mois suivant celui de sa date de mise en paiement sans que puisse y faire obstacle la circonstance que la décision créatrice de droits qui en constitue le fondement ne peut plus être retirée. Dans les deux hypothèses mentionnées au deuxième alinéa de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000, la somme peut être répétée dans le délai de droit commun prévu à l'article 2224 du code civil.
12. Sauf dispositions spéciales, les règles fixées par l'article 37-1 de la loi
du 12 avril 2000 sont applicables à l'ensemble des sommes indûment versées par des personnes publiques à leurs agents à titre de rémunération, y compris les avances et, faute d'avoir été précomptées sur la rémunération, les contributions ou cotisations sociales.
13. Il résulte de l'instruction que l'administration a, pour la première fois, réclamé à M. E... notamment le paiement du trop-perçu d'indemnité de sujétions pour service à l'étranger et indûment versée, par une lettre du 27 janvier 2015. Alors même qu'une décision modificative a été prise postérieurement le 16 novembre 2015 et que le montant du trop-perçu de cette indemnité a été réévalué, ce premier courrier du 27 janvier 2015 présente un caractère interruptif de la prescription. Par suite, et comme l'admet d'ailleurs l'administration, les sommes indûment perçues avant le 1er février 2013 sont prescrites. Par suite, M. E... est seulement fondé à soutenir que la créance est partiellement prescrite en tant qu'elles portent sur des sommes perçues avant février 2013.
En ce qui concerne le bien-fondé de la créance restant en litige :
14. Il résulte de l'instruction que, dans le dernier état de ses écritures en défense devant la cour, l'administration ramène le montant de la créance due par M. E... à la somme de 6 237,59 euros, détaillée de la manière suivante : 5 198,15 euros au titre d'un trop-perçu d'indemnité de sujétions pour service à l'étranger, 1 500 euros au titre d'une avance à reprendre en ce qui concerne trois fractions de solde en opération extérieure d'un montant de 500 euros chacune, et d'un moins-versé de 460,56 euros au titre des cotisations sociales. L'administration admet en revanche qu'aucun trop-perçu au titre de la retenue d'une avance avant départ en opération extérieure et de la retenue d'une avance de solde budgétaire n'est dû par le requérant. M. E... reconnaît par ailleurs devant la cour le bien-fondé du trop-perçu de rémunération d'un montant de 1 500 euros au titre des fractions de solde en opération extérieure.
15. Aux termes de l'article 1er du décret du 1er octobre 1997 relatif à la rémunération des militaires à solde mensuelle envoyés en opération extérieure ou en renfort temporaire à l'étranger : " Le présent décret fixe les modalités de calcul de la rémunération des militaires à solde mensuelle, envoyés en opération extérieure ou en renfort temporaire à l'étranger, individuellement, en unité ou en fraction d'unité, et qui n'y ont pas reçu d'affectation traduite par un ordre de mutation qui ne peut être délivré pour une durée inférieure à dix mois. ". Aux termes de l'article 2 de ce décret : " Les militaires visés par le présent décret, sous réserve des dispositions de l'article 6 ci-dessous, perçoivent, lorsqu'ils sont à l'étranger, la solde de base, le supplément familial de solde, les primes et indemnités, auxquelles s'ajoutent une indemnité de sujétions pour service à l'étranger prenant en compte, le cas échéant, un supplément pour enfant à charge, ainsi que les prestations familiales perçues sur leur lieu d'affectation. (...) ".
16. Il résulte de l'instruction et en particulier du dernier tableau établi par l'administration dans son mémoire en défense, auquel M. E... n'a pas répliqué, que l'intéressé a perçu entre février 2013 et mars 2014 un trop-perçu d'indemnité de sujétion pour service à l'étranger d'un montant de 7 420,47 euros, auquel l'administration a toutefois retranché la somme de 2 222,32 euros correspondant à un moins versé entre octobre 2011 et janvier 2013. Le requérant n'apporte aucun élément probant de nature à démontrer que le montant désormais réclamé serait erroné. Par suite, la créance est fondée.
17. Il résulte de l'instruction que M. E... admet le trop-perçu d'un montant de 1 500 euros relatif aux fractions de solde en opération extérieure. Par ailleurs, s'il soutient que le montant de moins-versé de cotisations sociales s'élèverait selon lui à la somme de 306,41 euros, il résulte de l'instruction que l'administration établit désormais en appel à la somme de 460,56 euros, le moins versé de cotisations sociales en faveur de M. E.... Ce nouveau calcul n'est pas contesté par M. E.... Par suite, compte tenu de ce qui a été dit également au point 16, la créance d'un montant total de 6 237,59 euros réclamée par l'administration est fondée.
18. Il résulte de ce qui précède que M. E... est seulement fondé à demander l'annulation de la décision implicite de rejet du ministre de la défense en tant qu'elle fixe un trop perçu de solde supérieure à la somme de 6 237,59 euros.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
19. Compte tenu de ce qui précède, les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de " cesser tout recouvrement " ne peuvent en tout état de cause qu'être rejetées.
Sur les frais liés à l'instance :
20. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. E... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : L'ordonnance du 9 octobre 2018 du président du tribunal administratif d'Amiens est annulée en tant qu'elle rejette les conclusions à fin d'annulation de M. E... dirigée contre la décision du 16 novembre 2015 du centre d'expertise de la solde et des ressources humaines et la décision implicite de rejet du ministre de la défense, ses conclusions à fin d'injonction.
Article 2 : La décision implicite de rejet du ministre de la défense est annulée en tant qu'elle fixe un trop perçu de rémunération supérieure à la somme de 6 237,59 euros. Le montant de la créance de l'Etat est fixé à la somme de 6 237,59 euros.
Article 3 : L'Etat versera à M. E... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par M. E... devant le tribunal administratif d'Amiens et de celles de sa requête d'appel est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Me D... C... pour M. B... E... et à la ministre des armées.
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N°18DA2472
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