Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 25 mai 2020, M. D..., représenté par Me B... F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 30 juillet 2019 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une carte de séjour temporaire valable un an portant la mention " vie privée et familiale " ou " salarié " dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) à défaut, d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer, dans l'attente du réexamen de sa situation, une autorisation provisoire de séjour, dans un délai de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ou, à titre subsidiaire, à lui-même sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord du 17 mars 1988 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Tunisie en matière de séjour et de travail ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme G... A..., présidente de chambre,
- et les observations de Me E... représentant M. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant tunisien né le 23 mai 2001, est entré régulièrement en France le 9 avril 2017 sous couvert d'un visa court séjour C. Il a sollicité, le 13 juin 2019, son admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié. Par un arrêté du 30 juillet 2019, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer le titre de séjour ainsi sollicité, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement. M. D... relève appel du jugement du 7 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la décision portant refus de titre de séjour :
2. Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. / (...) ". En présence d'une demande de régularisation présentée, sur le fondement de l'article L. 313-14, par un étranger qui ne serait pas en situation de polygamie et dont la présence en France ne présenterait pas une menace pour l'ordre public, il appartient à l'autorité administrative de vérifier, dans un premier temps, si l'admission exceptionnelle au séjour par la délivrance d'une carte portant la mention " vie privée et familiale " répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard de motifs exceptionnels, et à défaut, dans un second temps, s'il est fait état de motifs exceptionnels de nature à permettre la délivrance, dans ce cadre, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ".
3. Dès lors que l'article 3 de l'accord franco-tunisien prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée, un ressortissant tunisien souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d'une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, bien que l'accord franco-tunisien ne prévoit pas, pour sa part, de semblables modalités d'admission exceptionnelle au séjour, ses stipulations n'interdisent pas au préfet de délivrer un titre de séjour à un ressortissant tunisien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit. Il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation. En revanche, les dispositions précitées de l'article L. 313-14 sont applicables aux ressortissants tunisiens s'agissant de la délivrance, à titre de régularisation, d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ".
4. M. D..., a présenté, le 13 juin 2019, une demande d'admission exceptionnelle au séjour. Il soutient, sans être contredit, avoir fait valoir à l'appui de sa demande de titre de séjour, outre son contrat d'apprentissage, des circonstances exceptionnelles relatives à sa vie privée et familiale. L'arrêté attaquée vise bien la demande du requérant comme tendant à obtenir son admission exceptionnelle au séjour. Mais s'agissant des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il se borne à relever qu'un ressortissant tunisien ne peut se prévaloir d'une activité salariée pour les invoquer. S'agissant de la situation personnelle et familiale du requérant, l'arrêté se réfère aux seules dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en soulignant que l'intéressé est célibataire et sans charge de famille, qu'il conserve des liens dans son pays d'origine, et qu'il n'établit pas l'intensité de ses liens personnels sur le territoire français. Toutefois, il ne fait aucune mention de l'examen de l'éventualité de la délivrance d'un titre de séjour mention " vie privée et familiale " à titre exceptionnel sur le fondement des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ou de l'exercice, par le préfet, de son pouvoir discrétionnaire.
5. Dans ces conditions, M. D... est fondé à soutenir que le préfet de la Seine-Maritime, en omettant d'instruire la possibilité de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a entaché sa décision d'un défaut d'examen particulier de sa situation. Par suite, et alors qu'aucun des autres moyens soulevés par le requérant n'est susceptible de conduire à l'annulation de l'acte, la décision portant refus de titre de séjour doit être annulée, de même que, par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement.
6. Il résulte de ce qui précède que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 30 juillet 2019 du préfet de la Seine-Maritime.
Sur les conclusions en injonction :
7. L'annulation prononcée par le présent arrêt, eu égard au motif sur lequel elle est fondée, implique seulement qu'il soit enjoint au préfet de la Seine-Maritime de prendre à nouveau une décision sur la demande de titre de séjour présentée par M. D..., après une nouvelle instruction, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me F..., avocat de M. D..., une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que ce conseil renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1903593 du 7 janvier 2020 du tribunal administratif de Rouen et l'arrêté du 30 juillet 2019 du préfet de la Seine-Maritime sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Maritime de procéder au réexamen de la situation de M. D... dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me B... F..., avocat de M. D..., une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que ce conseil renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D..., au préfet de la Seine-Maritime, au ministre de l'intérieur et à Me B... F....
N° 20DA00762 4