Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 14 avril 2021, M. B..., représenté par Me Moumni, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du 3 juillet 2019 et la décision implicite, prise postérieurement à la surexpertise médicale du 14 janvier 2020, par lesquelles le ministre de l'intérieur a rejeté son recours administratif préalable formé devant la commission des recours des militaires à l'encontre de l'avis du 20 août 2018 portant inaptitude définitive au service et de la décision du 1er octobre 2018 portant dénonciation de son contrat d'engagement en qualité de sous-officier de gendarmerie du fait de son inaptitude médicale ;
3°) d'enjoindre à l'Etat de le réintégrer rétroactivement dans ses fonctions, droits et prérogatives sans délai ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 17 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la dénonciation de son contrat d'engagement en qualité de sous-officier de gendarmerie ;
5°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise médicale ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le courrier du 30 janvier 2020 l'informant de la confirmation, par le médecin ayant réalisé la surexpertise médicale, de son inaptitude médicale est insuffisamment motivé ;
- le médecin ayant diligenté la surexpertise ne disposait pas d'un niveau de qualification ou de responsabilité supérieur au praticien ayant effectué l'expertise du 20 août 2018, en méconnaissance des dispositions de l'article 21 de l'arrêté du 20 décembre 2012 relatif à la détermination et au contrôle de l'aptitude médicale à servir du personnel militaire ;
- la commission de réforme des militaires aurait dû être saisie préalablement à la rupture de son contrat d'engagement ;
- l'administration a entaché les décisions contestées d'erreur de fait ;
- elle a méconnu l'arrêté du 12 septembre 2016 fixant les conditions physiques et médicales d'aptitude exigées des personnels militaires de la gendarmerie nationale et des candidats à l'admission en gendarmerie et le principe à valeur constitutionnelle d'égalité d'accès à l'emploi public ;
- elle a entaché ses décisions d'erreur de droit en ne vérifiant pas l'existence d'un possible traitement médical ;
- l'attribution d'un coefficient 3 au sigle G ne justifiait pas automatiquement la dénonciation de son contrat d'engagement ; les normes mentionnées à l'annexe de l'arrêté du 12 septembre 2016 fixant les conditions physiques et médicales d'aptitude exigées des personnels militaires de la gendarmerie nationale et des candidats à l'admission en gendarmerie méconnaissent les dispositions de l'arrêté du 20 décembre 2012 modifié relatif à la détermination du profil médical d'aptitude en cas de pathologie médicale ou chirurgicale ;
- la rupture du contrat d'engagement est intervenue au-delà de la période d'un an, en méconnaissance de l'article 15 du décret du 12 septembre 2008 portant statut particulier du corps des sous-officiers de gendarmerie ;
- l'administration a entaché ses décisions d'erreur d'appréciation dès lors que sa pathologie n'est pas incompatible avec l'exercice des fonctions de sous-officier de gendarmerie ;
- les conditions de la dénonciation de son contrat d'engagement constituent une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
- à titre de réparation de ses préjudices, il sollicite la somme de 5 000 euros au titre des troubles subis dans les conditions d'existence, de 6 000 euros au titre du préjudice moral et de 6 000 euros au titre de la perte de chance sérieuse et du préjudice de carrière.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 décembre 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés dans la requête n'est fondé.
Par une ordonnance du 8 décembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 7 janvier 2022.
Par des courriers des 31 janvier et 2 février 2022, la cour a demandé au ministre de l'intérieur et à M. B... des précisions concernant la surexpertise médicale réalisée le 14 janvier 2020, l'instruction n'étant rouverte que sur ce point par application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative.
Le ministre de l'intérieur a présenté des observations sur ce point les 2 et 25 février 2022, et M. B..., représenté par Me Moumni, a présenté des observations sur ce point les 8 et 17 février 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le décret n° 2008-952 du 12 septembre 2008 ;
- l'arrêté du 20 décembre 2012 modifié relatif à la détermination du profil médical d'aptitude en cas de pathologie médicale ou chirurgicale ;
- l'arrêté du 20 décembre 2012 relatif à la détermination et au contrôle de l'aptitude médicale à servir du personnel militaire ;
- l'arrêté du 12 septembre 2016 fixant les conditions physiques et médicales d'aptitude exigées des personnels militaires de la gendarmerie nationale et des candidats à l'admission en gendarmerie ;
- l'arrêté du 29 mars 2021 relatif à la détermination du profil médical d'aptitude en cas de pathologie médicale ou chirurgicale ;
- l'arrêté du 8 juin 2021 fixant les conditions physiques et médicales d'aptitude exigées des personnels militaires de la gendarmerie nationale et des candidats à l'admission en gendarmerie ;
- l'instruction n° 2100/DEF/DCSSA/AST/AME du 1er octobre 2003 relative à la détermination de l'aptitude médicale à servir ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,
- et les observations de Me Moumni pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a signé, le 4 septembre 2017, un contrat d'engagement d'une durée de six ans pour servir en qualité de sous-officier de gendarmerie. Le 20 août 2018, le médecin responsable de l'antenne médicale de Rouen du service de santé des armées a émis un certificat le déclarant inapte médicalement au service en qualité de sous-officier de gendarmerie ainsi qu'une déclaration d'inaptitude médicale définitive à l'engagement en cours de période probatoire. Par une décision du 1er octobre 2018, le commandant de la région de gendarmerie de Normandie a dénoncé son contrat d'engagement au motif de son inaptitude médicale définitive à l'emploi de sous-officier de gendarmerie. M. B... a formé, devant la commission de recours des militaires, un recours administratif préalable obligatoire, reçu le 29 novembre 2018, contre l'avis d'inaptitude définitive du 20 août 2018 et contre la décision de dénonciation de son contrat d'engagement du 1er octobre 2018. Le silence gardé sur ce recours durant une période de quatre mois a fait naître une décision implicite de rejet. Par une décision explicite du 3 juillet 2019, prise après avis de la commission de recours des militaires, le ministre de l'intérieur a, d'une part, retenu que l'autorité compétente était fondée à dénoncer le contrat d'engagement de l'intéressé compte tenu de l'avis d'inaptitude définitive à servir, en raison d'une hépatite chronique, et demandé, d'autre part, qu'il soit procédé à une surexpertise médicale de M. B... afin que l'administration se livre, au vu de cet avis, à un nouvel examen de sa situation. La surexpertise médicale, réalisée le 14 janvier 2020, et dont les conclusions ont été transmises à l'intéressé par un courrier du 30 janvier 2020, a confirmé l'inaptitude définitive de M. B... au service. Aucune décision explicite portant sur le contrat d'engagement de l'intéressé n'est ensuite intervenue. M. B... relève appel du jugement du 12 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses demandes devant être regardées comme tendant à l'annulation de la décision du 3 juillet 2019 et de la décision implicite, prise postérieurement à la surexpertise médicale du 14 janvier 2020, par lesquelles le ministre de l'intérieur a rejeté son recours administratif préalable formé devant la commission des recours des militaires à l'encontre de l'avis du 20 août 2018 portant inaptitude définitive au service et de la décision du 1er octobre 2018 portant dénonciation de son contrat d'engagement en qualité de sous-officier de gendarmerie du fait de son inaptitude médicale, ainsi qu'à l'indemnisation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des conditions de la dénonciation de son contrat d'engagement.
Sur le cadre juridique du litige et sur les fins de non-recevoir opposées en première instance :
2. Aux termes de l'article L. 4125-1 du code de la défense, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Les recours contentieux formés par les militaires mentionnés à l'article L. 4111-2 à l'encontre d'actes relatifs à leur situation personnelle sont, à l'exception de ceux concernant leur recrutement ou l'exercice du pouvoir disciplinaire ou pris en application de l'article L. 4139-15-1, précédés d'un recours administratif préalable exercé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ".
3. Une décision résiliant un contrat d'engagement avant le terme de la période probatoire n'a pas le caractère d'une décision se rapportant au recrutement d'un militaire, lequel est intervenu à la date de la signature de son contrat d'engagement. Elle est donc au nombre des décisions relatives à la situation personnelle des militaires pour la contestation desquelles la saisine de la commission des recours des militaires est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux.
4. L'institution d'un recours administratif, préalable obligatoire à la saisine du juge, a pour effet de laisser à l'autorité compétente pour en connaître le soin d'arrêter définitivement la position de l'administration. Il s'ensuit que la décision prise à la suite du recours se substitue nécessairement à la décision initiale et qu'elle est seule susceptible d'être déférée au juge de la légalité.
5. Il résulte de ce qui précède que les décisions prises par le ministre de l'intérieur, à la suite du recours administratif préalable obligatoire exercé par M. B..., se sont substituées à l'avis médical du 20 août 2018 d'inaptitude définitive de l'intéressé et à la décision du 1er octobre 2018 de dénonciation de son contrat d'engagement. Par ailleurs, la décision explicite du ministre de l'intérieur du 3 juillet 2019, qui s'est substituée à sa décision implicite de rejet née le 29 mars 2019, doit être regardée comme ayant partiellement sursis à statuer sur le recours administratif préalable obligatoire formé par M. B... dans l'attente des conclusions de la surexpertise médicale qu'elle avait ordonnée. Contrairement à ce qui avait été annoncé par l'article 3 de la décision du 3 juillet 2019, aucune décision explicite relative à la réintégration de M. B... comme élève-gendarme ou à la conclusion d'un nouveau contrat d'engagement n'étant intervenue après la surexpertise médicale réalisée le 14 janvier 2020, le ministre de l'intérieur doit être regardé comme ayant définitivement rejeté le recours administratif préalable obligatoire par une décision implicite née postérieurement à cette surexpertise médicale. Dans ces conditions, M. B... doit être regardé comme demandant à la cour, ainsi qu'il l'avait fait devant le tribunal administratif de Rouen, d'annuler la décision du 3 juillet 2019 et la décision implicite, prise postérieurement à la surexpertise médicale, par lesquelles le ministre de l'intérieur a rejeté son recours administratif préalable obligatoire.
6. Par suite, les fins de non-recevoir opposées par le ministre de l'intérieur en première instance tirées, d'une part, de ce que les conclusions à fin d'annulation dirigées contre l'avis médical du 20 août 2018 et contre les conclusions de l'expertise médicale diligentée à la suite de son recours devant la commission de recours des militaires sont irrecevables car elles sont dirigées contre des actes insusceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir et, d'autre part, de ce que les moyens dirigés contre la décision du 1er octobre 2018 sont irrecevables car la décision explicite, prise sur recours administratif préalable obligatoire, s'y est substituée doivent être écartées dès lors que ces actes ne constituent pas les décisions en litige ainsi qu'il a été dit au point précédent. Pour le même motif, l'exception de non-lieu, tirée de ce qu'il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions dirigées contre la décision implicite de rejet du recours administratif préalable obligatoire formé par M. B... doit également être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement :
7. Aux termes de l'article L. 4132-1 du code de la défense : " Nul ne peut être militaire : (...) 3° S'il ne présente les aptitudes exigées pour l'exercice de la fonction (...) ". Aux termes de l'article 3-1 du décret du 12 septembre 2008 portant statut particulier du corps des sous-officiers de gendarmerie : " Un arrêté du ministre de l'intérieur fixe les conditions médicales et physiques d'aptitude exigées pour servir en qualité de sous-officiers de gendarmerie lors de l'admission dans le corps ou en cours de carrière, ainsi que les possibilités de dérogation à ces conditions d'aptitude permettant aux militaires d'être maintenus dans l'emploi de sous-officier de gendarmerie ". Aux termes de l'article 12 de ce décret : " Le contrat d'engagement est souscrit et autorisé par le ministre de l'intérieur suivant les modalités fixées par arrêté. (...) ". Aux termes de l'article 13 de ce décret : " Le militaire engagé est recruté en qualité d'élève gendarme, dans les conditions d'aptitude fixées par l'arrêté mentionné à l'article 3-1 (...) ". Aux termes de l'article 14 de ce décret : " Le militaire engagé effectue, en tant qu'élève gendarme, une période de formation initiale d'une durée d'un an qui peut être prolongée sans pouvoir excéder dix-huit mois. / Cette période de formation initiale est réalisée en école et en unité opérationnelle. / Les programmes et les conditions d'organisation et de déroulement de la scolarité des élèves gendarmes, les coefficients attribués aux différentes épreuves et les dispenses d'épreuves en fonction des titres détenus, le calcul de la note finale, les conditions de renouvellement ou de prolongation de la formation, notamment pour raison de santé ou en cas de résultats insuffisants, sont fixés par arrêté du ministre de la défense après avis du ministre de l'intérieur ". Aux termes de l'article 15 de ce décret : " Le contrat d'engagement initial ainsi que le premier des contrats intervenant après une interruption de service ne deviennent définitifs qu'à l'issue d'une période probatoire dont la durée est celle du suivi effectif de la formation initiale prévue à l'article 14. / Au cours de la période probatoire, quelle qu'en soit la durée, le contrat peut être dénoncé unilatéralement par chacune des parties. Lorsque le contrat est dénoncé par le ministre de l'intérieur, il l'est par décision motivée ".
8. Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 20 décembre 2012 relatif à la détermination et au contrôle de l'aptitude médicale à servir du personnel militaire : " L'article L. 4132-1 du code de la défense dispose que nul ne peut être militaire s'il ne présente les aptitudes exigées pour l'exercice de la fonction. Cette exigence englobe non seulement les compétences techniques nécessaires pour tenir un emploi, mais aussi les aptitudes physique, mentale et médicale (cette dernière incluant l'aptitude psychique). / L'aptitude physique fait référence à des critères morphologiques imposés par les équipements et systèmes d'armes ainsi qu'à l'adéquation entre le niveau d'entraînement physique et les contraintes de l'emploi ou des missions. (...) L'aptitude médicale exprime la compatibilité de l'état de santé d'un individu avec les exigences du statut général des militaires et celles propres à chaque armée, direction et service ou à la gendarmerie nationale. L'aptitude psychique fait partie intégrante de l'aptitude médicale à servir. Objet du présent arrêté, la détermination et le contrôle de l'aptitude médicale à servir du personnel militaire sont fondés sur une expertise médicale qui relève de la compétence des médecins du service de santé des armées. (...) / Le médecin des armées (y compris le praticien réserviste) est responsable de la détermination de l'aptitude médicale. (...) Le médecin des armées peut décider d'une inaptitude en fondant ses conclusions sur les éléments objectifs du bilan médical et sur l'estimation d'un risque pour l'individu ou la collectivité, basée sur sa connaissance des pathologies mais aussi sur celle du milieu militaire et des contraintes liées aux activités et situations d'exception imposées par ce statut. Il convient en effet de déterminer si un sujet est capable d'occuper un emploi, mais aussi s'il peut s'en acquitter au sein de la collectivité militaire. (...) ". Aux termes de l'article 7 de cet arrêté : " La période probatoire à l'engagement, mentionnée aux articles R. 4123-33 à R. 4123-35 du code de la défense, a pour but d'observer le comportement de la jeune recrue au sein de la collectivité militaire et d'évaluer ses possibilités d'adaptation au milieu. Elle apporte donc des éléments d'appréciation d'ordre dynamique qui complètent les données recueillies lors des opérations de recrutement. (...) Au cours de la période probatoire, la découverte d'une affection médicale préexistante à l'engagement, qu'elle soit méconnue ou cachée par le candidat, doit conduire le médecin des armées à reconsidérer l'aptitude médicale. / Dans cette période, le constat d'une affection médicale motivant une décision d'inaptitude définitive peut entraîner la dénonciation par le commandement du contrat signé avec le militaire ".
9. Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 12 septembre 2016 fixant les conditions physiques et médicales d'aptitude exigées des personnels militaires de la gendarmerie nationale et des candidats à l'admission en gendarmerie, alors en vigueur : " I. - Les militaires de la gendarmerie nationale doivent présenter une aptitude médicale conforme aux exigences et aux contraintes inhérentes aux fonctions qu'ils exercent. (...) ". Aux termes de l'article 2 de cet arrêté : " L'aptitude physique et mentale des personnels militaires de la gendarmerie nationale et des candidats à l'admission en gendarmerie nationale est contrôlée à l'occasion du recrutement ou au cours des visites médicales périodiques. Elle est définie sous la forme d'un profil médical chiffré minimum et d'exigences particulières adaptées aux impératifs de la fonction ". Aux termes de l'article 3 de cet arrêté : " Sept sigles définissent le profil médical. Ils correspondent respectivement : (...) G : à l'état général. (...) Les sigles S, I, G, Y, O peuvent être affectés de 6 coefficients (de 1 à 6), (...) / La cotation des affections ou de leurs séquelles est déterminée selon des modalités fixées par le service de santé des armées ". Aux termes de l'article de cet arrêté : " Les normes médicales d'aptitude requises des candidats à l'admission en gendarmerie sont fixées par corps ou statut d'appartenance en annexe I. Elles sont généralement applicables aux sous-officiers de gendarmerie servant en vertu d'un contrat. (...) ". L'annexe I de cet arrêté mentionne, s'agissant d'un sous-officier de gendarmerie, un coefficient maximum de 2 concernant le sigle G.
10. Aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 20 décembre 2012 relatif à la détermination du profil médical d'aptitude en cas de pathologie médicale ou chirurgicale, alors en vigueur : " Les données recueillies au cours d'un examen d'aptitude médicale sont exprimées par la formule dite profil médical. Ce profil médical rassemble sept rubriques, chacune identifiée par un sigle et affectée d'un coefficient variable. (...) Le choix du sigle dépend de la localisation de la région anatomique ou de l'organe examiné, de la nature de l'affection ou de l'anomalie constatée. Toutefois, l'appréciation de l'état général (G) ne se limite pas à la complexion ou à la robustesse physique générale définie en annexe (1). Toute affection, évolutive ou non, peut influer sur le coefficient attribué au sigle G dès lors qu'elle est susceptible de retentir sur l'organisme dans son ensemble par des complications ou une diminution de la résistance et de l'activité du sujet ". Aux termes de l'article 3 de cet arrêté : " Le coefficient à attribuer à l'un des sigles du profil médical est choisi en fonction de la gravité de l'affection ou de l'importance des séquelles sans prendre en considération la catégorie de personnel à laquelle appartient le sujet examiné, son emploi, son ancienneté de service ou son grade. L'éventail de ces coefficients couvre les différents degrés allant de la normalité, qui traduit l'aptitude sans restriction, jusqu'à l'affection grave ou l'impotence fonctionnelle majeure, qui commande l'inaptitude totale. De ce fait, les résultats d'un bilan médical se trouvent transposés en niveaux qui permettent d'émettre un avis sur l'aptitude médicale du personnel à servir ou à la spécialité, à partir de critères ou normes définis par le commandement. (...) Coefficient 2 : il autorise la plupart des emplois militaires. (...) / Coefficient 3 : - attribué à l'un des sigles S, I ou G, il entraîne une restriction significative dans l'entraînement (notamment l'entraînement physique au combat) et limite l'éventail des emplois (en particulier ceux de combattants placés en première ligne) (...) ".
11. Enfin, l'article 149 de l'instruction du 1er octobre 2003 relative à la détermination de l'aptitude médicale à servir, destinée aux médecins des armées qui ont notamment à se prononcer sur l'aptitude des candidats à l'engagement dans les armées et des personnels militaires sous contrat, précise le coefficient qu'il convient d'attribuer aux affectations du foie et des voies biliaires.
12. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'une requête tendant à l'annulation de la dénonciation d'un contrat d'engagement d'un agent recruté pour servir en qualité de sous-officier de gendarmerie et fondé sur son inaptitude physique à exercer cet emploi, non seulement de vérifier l'existence matérielle de l'infirmité invoquée par l'autorité administrative, mais encore d'apprécier si cette infirmité est incompatible avec l'exercice de cet emploi. Si l'appréciation de l'aptitude physique à exercer cet emploi peut prendre en compte les conséquences sur cette aptitude de l'évolution prévisible d'une affection déclarée, elle doit aussi tenir compte de l'existence de traitements permettant de guérir l'affection ou de bloquer son évolution.
13. Il ressort des pièces du dossier que M. B... était toujours en période probatoire, correspondant à sa formation initiale, à la date à laquelle son contrat d'engagement a été dénoncé, le 1er octobre 2018, soit dans la période de dix-huit mois, prévue à l'article 14 du décret du 12 septembre 2008 portant statut particulier du corps des sous-officiers de gendarmerie, à compter du début de sa formation le 4 septembre 2017. Conformément à l'article 7 de l'arrêté du 20 décembre 2012 relatif à la détermination et au contrôle de l'aptitude médicale à servir du personnel militaire, le constat d'une affection médicale motivant une décision d'inaptitude définitive, au cours de la période probatoire, peut entraîner la dénonciation par le commandement du contrat signé avec le militaire.
14. Il ressort des pièces du dossier qu'après avoir fait l'objet, le 23 février 2017, d'un avis médical d'inaptitude temporaire d'un mois et avoir subi, en mars 2017, des examens complémentaires, M. B... a été affecté, le 4 septembre 2017, à l'école de gendarmerie de Tulle et a obtenu, le 7 septembre 2017, un avis médical d'aptitude à servir sans restriction. Il a ensuite été affecté, à compter du 26 octobre 2017, à l'école de gendarmerie de Dijon où il a fait l'objet, le même jour, d'un avis médical d'aptitude au service. Affecté à la brigade de proximité de Longeville-sur-Scie, le 23 juillet 2018, il a fait l'objet, le 20 août suivant, d'un avis médical d'inaptitude définitive à servir en qualité de sous-officier de gendarmerie motivé par la mention " K739 hépatite chronique, sans précision ". Demandée par le ministre de l'intérieur dans sa décision du 3 juillet 2019, une " surexpertise " médicale a été réalisée le 14 janvier 2020 et a confirmé l'inaptitude de M. B... à servir au sein de la gendarmerie nationale. Il ressort ainsi du document manuscrit rédigé par le praticien ayant examiné l'appelant à cette occasion que, si l'hépatite B inactive dont il est porteur et qui ne donne pas lieu à traitement ne remet pas en cause son aptitude à servir en qualité de sous-officier de gendarmerie, tel n'est pas le cas de la cholangite biliaire primitive dont il est atteint et qui nécessite un traitement à vie, justifiant ainsi l'avis d'inaptitude émis.
15. Contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, la circonstance qu'il appartient aux seuls médecins du service de santé des armées de se prononcer sur l'aptitude ou non d'un agent à occuper des fonctions militaires, au regard notamment d'une pathologie et eu égard aux exigences inhérentes au statut général des militaires, ne fait pas obstacle à ce que l'appelant produise tout élément médical de nature à remettre en cause tant l'existence matérielle de l'infirmité invoquée par l'autorité administrative que l'incompatibilité de cette infirmité avec l'exercice des fonctions de sous-officier de gendarmerie. L'avis du 17 septembre 2018 de la gastro-entérologue et hépatologue qui suivait alors M. B... mentionne que celui-ci est suivi pour une " hépatite virale B chronique à faible réplication virale puisque la dernière charge virale était inférieure à 300 UI/ml " et qu'il est " actuellement au stade de porteur inactif puisqu'il n'y a pas de cytolyse ni de fibrose ". En outre, si cet avis fait état de l'existence d'une cholangite biliaire primitive et d'un traitement, depuis le mois de juin 2018, par acide ursodésoxycholique, l'avis circonstancié, produit pour la première fois en appel, du 8 mars 2021 de la nouvelle gastro-entérologue et hépatologue le suivant, certes postérieur aux décisions contestées mais de nature à révéler l'état de santé de l'appelant à la date de leur édiction, relève que la cholangite biliaire primitive " avait été suspectée sur une élévation isolée de Gamma GT avec des anticorps anti-GP210 + " mais qu'il n'y avait " pas d'argument histologique en faveur d'une cholangite biliaire primitive ", ce qui a été corroboré par un professeur du service des maladies de l'appareil digestif et nutrition - hépatologie du centre hospitalier universitaire de Lille qu'elle a sollicité, de sorte qu'aucun traitement n'était nécessaire, seul un suivi biologique étant préconisé dans le cadre du suivi du portage inactif de son hépatite B.
16. Dans ces conditions, les appréciations qui sont contenues dans les avis médicaux au dossier, et qui, pour certaines, s'avèrent contradictoires, ne permettent pas à la cour de se prononcer, en toute connaissance de cause, sur la légalité des décisions en litige et notamment sur l'aptitude médicale de M. B... à l'exercice des fonctions de sous-officier de gendarmerie. Il y a donc lieu pour la cour de réserver tous droits et moyens sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, de prescrire avant dire-droit une expertise et de confier à l'expert la mission définie à l'article 1er du dispositif du présent arrêt.
DÉCIDE :
Article 1er : Il sera, avant dire droit sur les conclusions de la requête de M. B..., procédé par un expert, désigné par la présidente de la cour administrative d'appel, à une expertise médicale avec mission pour l'expert de :
1°) se faire communiquer les documents médicaux utiles à sa mission, notamment le rapport établi à l'issue de la " surexpertise " médicale réalisée le 14 janvier 2020, entendre tout sachant, examiner M. B... et décrire son état actuel ;
2°) prendre connaissance, d'une part, de l'instruction n° 2100/DEF/DCSSA/AST/AME du 1er octobre 2003 relative à la détermination de l'aptitude médicale à servir, en particulier son article 8 sur la détermination des coefficients (1 à 6) pouvant être attribués à l'état général G d'un agent pour apprécier la gravité de son affection et la comptabilité de celle-ci avec les fonctions militaires ainsi que son article 149 relatif aux affections du foie et des voies biliaires et, d'autre part, de l'arrêté du 29 mars 2021 relatif à la détermination du profil médical d'aptitude en cas de pathologie médicale ou chirurgicale, en particulier son article 3 ainsi que son annexe 9.8. " affections du foie et des voies biliaires (index 152) " ;
3°) déterminer, aux dates du 3 juillet 2019, du 14 janvier 2020 et de l'expertise, si l'hépatite dont souffre M. B... est une hépatite virale liée au VHB ; préciser l'ampleur exacte de cette affection, notamment son caractère actif et son degré de gravité ; indiquer en particulier en cas de portage inactif du VHB, si la présence de l'antigène HBs, ADN du VHB, est inférieure à 10 000 copies/ml (le cas échéant en convertissant cette donnée en UI/ml), si les transaminases sont normales et, dans l'hypothèse de dosages normaux, si ceux-ci ont pu être établis par trois examens successifs sur un an ; indiquer également s'il existe ou non une fibrose et un traitement ;
4°) déterminer, aux dates du 3 juillet 2019, du 14 janvier 2020 et de l'expertise, si M. B... souffre d'une cholangite sclérosante primitive (en précisant si cette affection est identique à une cholangite biliaire primitive) et, dans l'affirmative, indiquer l'ampleur exacte de cette affection, notamment son degré de gravité ;
5°) indiquer au regard des conséquences de ces affections sur l'état de santé de M. B..., aux dates du 3 juillet 2019, du 14 janvier 2020 et de l'expertise :
- s'il est apte à tous les emplois des armées mêmes les plus pénibles, les plus contraignants ou les plus stressants,
- ou s'il doit seulement être regardé comme apte à la plupart des emplois militaires,
- ou si son état de santé entraîne une restriction significative de l'entraînement, notamment l'entraînement physique au combat, limitant ainsi l'éventail des emplois,
- ou s'il doit être exempté de tout entraînement physique au combat et se voir imposer des restrictions importantes d'activité (emplois essentiellement sédentaires).
Article 2 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la cour. Il appréciera l'utilité de soumettre au contradictoire des parties un pré-rapport. L'expert déposera son rapport au greffe de la cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par la présidente de la cour dans sa décision le désignant.
Article 3 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.
Article 4 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience publique du 10 mars 2022 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mars 2022.
Le rapporteur,
Signé : N. Carpentier-Daubresse
La présidente de chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
Chloé Huls-Carlier
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N°21DA00825
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N°"Numéro"