Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25 avril 2018 et 24 juin 2019, la commune de Rang-du-Fliers, représentée par Me A... E..., demande à la cour :
1°) d'annuler l'article 1er du jugement du 22 février 2018 par lequel le tribunal administratif l'a condamnée à verser à M. B... une somme de 3 000 euros ainsi que les points 7 et 8 des motifs du jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif ;
3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 2012-924 du 30 juillet 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Paul-Louis Albertini, président de chambre,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,
- les observations de Me D... F..., représentant la commune de Rang-du-Fliers.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a été recruté à compter de 1986 par la commune de Rang-du-Fliers. Il y détient le grade de rédacteur territorial de première classe depuis le 1er août 2012. Par une décision du 7 janvier 2016, le maire de la commune de Rang-du-Fliers a prononcé, à son encontre, une sanction d'exclusion temporaire de quinze mois, dont douze mois avec sursis. Par un avis du 22 juin 2016, le conseil de discipline de recours a proposé la même sanction. Par un jugement du 22 février 2018, le tribunal administratif de Lille, d'une part, a rejeté les conclusions d'annulation dirigées contre cette sanction disciplinaire et l'avis du conseil de discipline de recours et, d'autre part, a partiellement fait droit aux conclusions indemnitaires présentées par M. B... en condamnant la commune de Rang-du-Fliers à lui verser la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice subi au titre du harcèlement moral. La commune de Rang-du-Fliers relève appel de ce jugement en tant que le tribunal administratif l'a condamnée à verser à M. B... cette somme de 3 000 euros mais également en tant que le tribunal administratif a écarté deux des six griefs sur lesquels s'est fondée la commune pour prononcer, à son encontre, la sanction d'exclusion temporaire des fonctions d'une durée de quinze mois, assortie d'un sursis de douze mois.
Sur la fin de non-recevoir opposée par M. B... :
2. Les appels formés contre les jugements des tribunaux administratifs ne peuvent tendre qu'à l'annulation ou à la réformation du dispositif du jugement attaqué. Par suite, n'est pas recevable, quels que soient les motifs retenus par les premiers juges, l'appel dirigé par le défendeur en premier ressort contre le jugement qui a rejeté les conclusions du demandeur.
3. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande de M. B... dirigée contre l'arrêté du 7 janvier 2016 par lequel le maire de la commune de Rang-du-Fliers a prononcé, à son encontre, une sanction d'exclusion temporaire de quinze mois, assortie d'un sursis de douze mois. Par sa requête, la commune de Rang-du-Fliers demande à la cour d'annuler les motifs 7 et 8 du jugement en ce que le tribunal aurait inexactement apprécié certains faits invoqués à l'appui de la sanction. Ces conclusions, qui ne sont pas dirigées contre le dispositif du jugement mais contre ses motifs, ne sont pas recevables. La fin de non-recevoir opposée par M. B... doit, par suite, être accueillie.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, issu de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : /1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. (...) ".
5. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
6. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.
7. M. B... fait valoir qu'en charge des ressources humaines au sein de la commune de Rang-du-Fliers et assurant les fonctions de " secrétaire personnel " auprès du maire, en poste depuis 1989, il a été affecté, à l'été 2014, comme responsable du service " Documentation / Archives ", situé dans un bâtiment annexe où se trouvaient seulement stockées les archives. Il fait aussi valoir qu'aucun agent municipal n'était affecté dans ce bâtiment annexe et qu'il ne s'est vu attribuer aucune tâche à effectuer. Il fait état également de ce que par une décision du 26 mars 2015, il ne s'est vu accorder un avancement au 10ème échelon qu'à l'ancienneté maximale, alors qu'une note de 19,95/20 accompagnée d'une appréciation " excellent + " lui avait été attribuée, tant en 2013 qu'en 2014. Plusieurs arrêts de travail lui ont en outre été prescrits par son médecin à compter d'octobre 2015, pour état dépressif. L'ensemble de ces faits avancés par M. B... est ainsi susceptible de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral.
8. La commune fait valoir qu'elle a décidé d'affecter M. B... à d'autres fonctions que celles de chargé des ressources humaines au motif, notamment, que l'intéressé avait fait preuve de négligence en n'adressant pas, en temps utile, les tableaux d'avancement des agents municipaux au centre départemental de gestion du Pas-de-Calais. Il résulte en particulier du contenu d'une lettre du 2 juin 2015 du président de ce centre de gestion, que la commune n'avait pas adressé les tableaux d'avancement, une nouvelle relance ayant dû être effectuée le 22 mai 2014 auprès de la nouvelle municipalité, avant l'affectation de M. B... à son nouveau poste. Il résulte également de l'instruction que M. B... a, le 5 décembre 2013, agressé verbalement et physiquement un conseiller municipal dans les locaux de la mairie, sans lui porter de coup. Le maire, alors en place, a estimé ne devoir donner aucune suite à ces faits fautifs, relayés dans la presse, en dépit de la proposition de sanction formulée à l'époque par le directeur général des services, et d'une note établie conjointement par certains élus, dénonçant un tel incident. M. B... a finalement été sanctionné pour ces faits, par un arrêté du 7 janvier 2016.
9. Tout d'abord, dans ce contexte, la commune de Rang-du-Fliers a pu réorganiser ses services, et aussi, dans l'intérêt du service, affecter M. B... sur un autre poste que celui de responsable des ressources humaines, en l'occurrence celui de responsable des archives et de la documentation. Les missions inhérentes à un tel poste correspondaient à celles susceptibles, en vertu de l'article 3 des dispositions statutaires du décret n° 2012-924 du 30 juillet 2012, d'être occupées par un rédacteur territorial. Le comité technique paritaire de la commune a aussi émis, à l'unanimité de ses membres, le 23 mai 2014, un avis favorable à la création de ce poste. Par ailleurs, comme le soutient la commune, l'installation de M. B... en dehors du bâtiment abritant les services municipaux se justifiait par la localisation de l'ensemble des archives communales dans un bâtiment annexe à celui-ci, quand bien même aucun autre agent municipal n'y était affecté.
10. Ensuite, si M. B... fait grief à sa hiérarchie de ne lui avoir attribué aucune tâche, notamment en ne lui notifiant pas une fiche de poste, il résulte de l'instruction qu'à deux reprises, par écrit, M. B... a été sommé en vain de produire les courriers qu'il lui avait été demandé de rédiger et de justifier de la réalité de son travail. Il n'a donné aucune suite à ces deux rappels écrits, ainsi que le fait valoir la commune. Aussi regrettable que soit le manque de suivi hiérarchique de la commune allégué par M. B..., il ne résulte pas de l'instruction que l'intéressé aurait demandé, ne serait-ce qu'une seule fois, des instructions ou des conseils auprès de sa hiérarchie pour accomplir un travail, ni même qu'il aurait émis des réserves ou des critiques sur cette nouvelle affectation et son contenu. Il a d'ailleurs été sanctionné disciplinairement par décision du 7 janvier 2016 pour s'être absenté sans justification les 26 septembre 2014, le 10 décembre 2014 et le 11 décembre 2014.
11. Enfin, il résulte aussi de l'instruction qu'au cours des années 2012 à 2015, et donc au cours de la période durant laquelle il était responsable des archives, M. B... a consulté régulièrement, des sites pornographiques durant son temps de travail, à partir de son poste informatique, faits pour lesquels il a été disciplinairement sanctionné par la même décision du 7 janvier 2016. M. B... a, par la suite, été affecté le 11 mars 2015 au service des affaires générales de la commune. Si la décision d'avancement d'échelon à l'ancienneté maximale, alors qu'il était noté 19,95, au titre des années 2014 et 2013, révèle une erreur manifeste d'appréciation au regard de la valeur professionnelle de M. B... appréciée à cette époque, ainsi que l'a d'ailleurs retenu le tribunal administratif dans un jugement n° 1606435 du 22 février 2018, cette circonstance n'est pas de nature à révéler un fait constitutif de harcèlement au vu du contexte décrit ci-avant. Dans ces conditions, l'ensemble des faits, qui ne peuvent être appréciés sans tenir compte du comportement de l'intéressé et de l'intérêt du service, ne permettent pas de conclure à l'existence d'un harcèlement moral exercé à son encontre, au sens des dispositions précitées de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983. Dès lors, ils ne présentent pas le caractère d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration. Par suite, la commune de Rang-du-Fliers est fondée à soutenir, d'une part, que c'est à tort que le tribunal administratif a jugé qu'elle avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité en raison du harcèlement moral qu'aurait subi M. B... et, d'autre part, que la demande indemnitaire présentée par M. B... devant le tribunal administratif doit être rejetée.
12. Il résulte de tout de ce qui précède que la commune de Rang-du-Fliers est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille l'a condamnée à verser à M. B... la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice subi à raison des faits de harcèlement moral.
Sur les frais liés au procès :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Rang-du-Fliers, qui n'est pas la partie perdante, dans la présente instance, la somme demandée par M. B... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... une somme à verser à la commune de Rang-du-Fliers au titre des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Lille du 22 février 2018 est annulé.
Article 2 : La demande indemnitaire présentée par M. B... devant le tribunal administratif est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Rang-du-Fliers et M. C... B....
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N°18DA00845
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