3°) d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer une attestation de demande d'asile et de lui délivrer un dossier de demande d'asile, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Paul-Louis Albertini, président de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., ressortissant géorgien né le 11 mai 1984, a demandé l'asile auprès du préfet du Nord le 1er février 2019. La consultation du fichier " Eurodac " a révélé que ses empreintes avaient été relevées en Allemagne. Les autorités allemandes ont été saisies le même jour d'une demande de reprise en charge, en application du b) de l'article 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Ces autorités ont accepté cette reprise en charge le 7 février 2019. Par un arrêté du 4 mars 2019, le préfet du Nord a ordonné son transfert aux autorités allemandes. M. E... relève appel du jugement du 25 mars 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
2. Par un arrêté du 25 juillet 2018, le préfet du Nord a donné délégation à Mme B... F..., adjointe au bureau de l'asile, à l'effet de signer, en cas d'absence ou d'empêchement du chef de bureau, les arrêtés de transfert pris sur le fondement de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée en litige doit être écarté.
3. En application de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision de transfert dont fait l'objet un ressortissant de pays tiers ou un apatride qui a déposé, auprès des autorités françaises, une demande d'asile dont l'examen relève d'un autre Etat membre ayant accepté de le prendre ou de le reprendre en charge, doit être motivée, c'est-à-dire qu'elle doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Pour l'application de ces dispositions, est suffisamment motivée une décision de transfert qui mentionne le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et comprend l'indication des éléments de fait sur lesquels l'autorité administrative se fonde pour estimer que l'examen de la demande présentée devant elle relève de la responsabilité d'un autre Etat membre, une telle motivation permettant d'identifier le critère du règlement communautaire dont il est fait application.
4. La décision de transfert de M. E... aux autorités allemandes énonce les considérations de droit et de fait sur lesquelles elle se fonde. Elle mentionne le règlement du 26 juin 2013 et les éléments de fait sur lesquels le préfet du Nord s'est fondé pour estimer que l'examen de la demande d'asile de l'intéressé relève de la responsabilité des autorités allemandes. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
5. Il ressort de la décision attaquée que la décision de transfert est fondée sur le b) du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 13 du même règlement est inopérant et ne peut, par suite, qu'être écarté.
6. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement et notamment : / a) des objectifs du présent règlement (...) / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement du 26 juin 2013 doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et en tout état de cause en temps utile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend.
7. Il ressort des pièces du dossier que, le 1er février 2019, les deux brochures d'information A " j'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et B " je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' ", ainsi que le guide d'accueil du demandeur d'asile, ont été remis à M. E... en langue géorgienne. Il ressort également des pièces du dossier que l'intéressé a attesté lire et comprendre cette langue. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article 4 du règlement (UE) n° 604-2013 du Parlement européen et du Conseil doit être écarté.
8. Aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel.5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. ", et aux termes de l'article 35 du même règlement : " 1. Chaque Etat membre notifie sans délai à la Commission les autorités chargées en particulier de l'exécution des obligations découlant du présent règlement et toute modification concernant ces autorités. Les Etats membres veillent à ce qu'elles disposent des ressources nécessaires pour l'accomplissement de leur mission et, notamment, pour répondre dans les délais prévus aux demandes d'informations, ainsi qu'aux requêtes aux fins de prise en charge et de reprise en charge des demandeurs. / (...) / 3. Les autorités visées au paragraphe 1 reçoivent la formation nécessaire en ce qui concerne l'application du présent règlement. / (...) ".
9. Il ressort des pièces du dossier que M. E... a bénéficié, le 1er février 2019, d'un entretien individuel dans les locaux de la préfecture du Nord. Il ressort d'une part, du compte-rendu de cet entretien que l'intéressé a été personnellement reçu par un agent de la préfecture, lequel doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national pour mener cet entretien, alors même que son nom n'est pas précisé dans le compte-rendu. D'autre part, aucun élément du dossier ne permet d'établir que l'entretien n'aurait pas été mené de manière confidentielle. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 doit être écarté.
10. Il ressort des pièces du dossier que M. E... séjourne en France que depuis quelques mois à la date de l'arrêté attaqué et qu'il ne se prévaut d'aucune attache familiale sur le territoire français. Dans ces conditions, le préfet du Nord n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressé, une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels la décision de transfert a été prise. Par suite, cette autorité n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. D'une part, aux termes de l'article 53-1 de la Constitution : " La République peut conclure avec les Etats européens qui sont liés par des engagements identiques aux siens en matière d'asile et de protection des Droits de l'homme et des libertés fondamentales, des accords déterminant leurs compétences respectives pour l'examen des demandes d'asile qui leur sont présentées. / Toutefois, même si la demande n'entre pas dans leur compétence en vertu de ces accords, les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ". D'autre part, aux termes de l'article 17 du règlement du 26 juin 2013 précité : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / (...) ".
12. Il ressort de la lecture de l'arrêté en litige que le préfet du Nord a procédé à l'examen de la situation personnelle de l'intéressé et a relevé expressément que l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant sa situation ne relevait pas des dérogations prévues par les articles 16 et 17 du règlement n° 604/2013. Le préfet a ainsi examiné la possibilité que la France examine la demande d'asile de l'intéressé, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. Le moyen tiré de ce que le préfet du Nord n'aurait pas examiné s'il pouvait être fait application de la faculté prévue par les dispositions précitées doit, par suite, être écarté.
13. La faculté laissée à chaque Etat membre, par les dispositions de l'article 7 du règlement du 26 juin 2013, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement du 26 juin 2013, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. M. E... ne fait état d'aucune circonstance qui justifierait que la France examine sa demande de protection internationale alors même que son examen ne lui incombe pas. Il n'est pas établi que les autorités allemandes pourraient ne pas procéder à un examen sérieux et attentif du recours à l'encontre du rejet de sa demande d'asile. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé ferait l'objet, de la part des autorités allemandes, d'une mesure d'éloignement à destination de son pays d'origine, ni que, en pareil cas, il ne disposerait pas d'une voie de recours effective contre cette mesure. Dès lors, M. E... n'est pas fondé à soutenir que le préfet du Nord aurait commis une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions précitées ainsi, en tout état de cause, que des dispositions de l'article 53-1 de la Constitution, en ne faisant pas usage de la faculté qu'elles ouvrent de procéder à l'examen de sa demande d'asile. Par suite, le moyen doit être écarté.
14. L'Allemagne étant membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Nord aurait à tort considéré que cette présomption était irréfragable. M. E... ne produit, en outre, aucun élément propre à sa situation particulière, dont il résulterait que son dossier ne serait pas traité par les autorités allemandes dans des conditions répondant à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, ni qu'il se trouverait, indépendamment de sa volonté ou de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême en cas de transfert en Allemagne. Enfin, il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que les autorités allemandes procéderaient à son renvoi vers la Géorgie sans examiner au préalable s'il y serait soumis à des risques pour sa vie ou sa sécurité ou de subir des traitements inhumains ou dégradants. Par suite, en décidant de prononcer le transfert de M. E... vers l'Allemagne, le préfet du Nord n'a méconnu ni les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni celles de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction assorties d'une astreinte ainsi que la demande présentée par son conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.
N°19DA00956 6