Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 novembre 2015, la préfète du Pas-de-Calais demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 8 septembre 2015 du tribunal administratif de Lille ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Lille.
Elle soutient que :
- la remise aux autorités italiennes pouvait être ordonnée sur le fondement de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'aile, puisque M. A...qui ne remplit aucune des conditions cumulatives de l'article L. 211-1 du code de l'entée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ne pouvait justifier de la régularité de son entrée et de son séjour en France ;
- le premier juge a commis une erreur de droit, la décision de remise ne méconnaît pas l'article 5-1 de l'accord conclu entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne, relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière ;
- M. A...a été admis à plusieurs reprises à séjourner en Italie ; bien que le permis de séjour délivré le 21 août 2015 et le titre de séjour ne soient plus en cours de validité, l'autorité préfectorale n'a pas méconnu l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les décisions attaquées ne sont pas entachées d'incompétence ;
- elles sont suffisamment motivées en fait et en droit ;
- la décision de remise aux autorités italiennes n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, M. A...ne répondant pas aux exigences du 1° et du 2° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et ne remplissant pas les conditions pour entrer et séjourner en France ;
- la décision de placement en rétention n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que la décision contestée trouve son fondement légal dans les stipulations du 1 de l'article 5 de l'accord franco-italien relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière qui peuvent être substituées à celles du 2 de l'article 5 de cet accord.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière, signé à Chambéry le 3 octobre 1997 ;
- le règlement (CE) n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 ;
- la directive (CE) 2008/115 du 16 décembre 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Albertini, président de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.
1. Considérant que la préfète du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 8 septembre 2015 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé sa décision du 3 septembre 2015 décidant la remise de M. A...aux autorités italiennes ainsi que son placement en rétention administrative ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 5 de l'accord conclu entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne, relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière : " (...) 1. Chaque partie contractante réadmet sur son territoire, à la demande de l'autre partie contractante et sans formalités, le ressortissant d'un Etat tiers qui ne remplit pas ou ne remplit plus les conditions d' entrée ou de séjour applicables sur le territoire de la partie contractante requérante pour autant qu'il est établi que ce ressortissant est entré sur le territoire de cette partie après avoir séjourné ou transité par le territoire de la partie contractante requise. / 2. Chaque partie contractante réadmet sur son territoire, à la demande de l'autre partie contractante et sans formalités, le ressortissant d' un Etat tiers qui ne remplit pas ou ne remplit plus les conditions d'entrée ou de séjour applicables sur le territoire de la partie contractante requérante lorsque ce ressortissant dispose d un visa ou d'une autorisation de séjour de quelque nature que ce soit, délivré par la partie contractante requise et en cours de validité. (...) " ;
3. Considérant que le titre de séjour et le titre de voyage italiens dont disposait M. A...expiraient le 20 août 2015 ; qu'à la date de l'arrêté contesté, ces documents n'étaient plus en cours de validité, de sorte que la préfète du Pas-de-Calais ne pouvait fonder sa décision de remise de M. A...aux autorités italiennes sur les stipulations précitées du 2 de l'article 5 de l'accord franco-italien relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière ;
4. Considérant toutefois, que lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée ;
5. Considérant qu'en l'espèce, la décision contestée trouve son fondement légal dans les stipulations du 1 de l'article 5 de l'accord franco-italien relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière qui peuvent être substituées à celles du 2 de l'article 5 de cet accord dès lors, en premier lieu, qu'il est constant que l'intéressé, est entré sur le territoire français après avoir séjourné sur le territoire italien, en deuxième lieu, que cette substitution de base légale n'a pour effet de priver l'intéressé d'aucune garantie et, en troisième lieu, que l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une ou l'autre de ces deux dispositions ; qu'il y a ainsi lieu de procéder à la substitution de base légale et, par suite, d'écarter le motif, retenu par le jugement attaqué, d'annulation de la décision de remise de l'intéressé aux autorités italiennes ; que par suite, la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille s'est fondé sur ce motif pour annuler sa décision du 3 septembre 2015 décidant la remise de M. A...aux autorités italiennes ;
6. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A...devant le tribunal administratif de Lille ;
7. Considérant que, par un arrêté en date du 16 février 2015, publié au recueil spécial n°16 du même jour des actes administratifs de la préfecture, la préfète du Pas-de-Calais a donné délégation à M. C...B..., chef de la section éloignement, à l'effet de signer, notamment les décisions telles que celles qui sont contestées ; que, dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision contestée manque en fait et doit être écarté ;
8. Considérant que les décisions attaquées comportent les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement ; qu'elles sont, par suite, suffisamment motivées ;
Sur la décision de remise aux autorités italiennes :
9. Considérant qu'aux termes de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation aux articles L. 213-2 et L. 213-3, L. 511-1 à L. 511-3, L. 512-1, L. 512-3, L. 512-4, L. 513-1 et L. 531-3, l'étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 211-1, L. 211-2, L. 311-1 et L. 311-2 peut être remis aux autorités compétentes de l'Etat membre qui l'a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire, ou dont il provient directement, en application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec les Etats membres de l'Union européenne " ; qu'aux termes de l'article L. 211-1 de ce code : " Pour entrer en France, tout étranger doit être muni : / 1° Des documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur ; / 2° Sous réserve des conventions internationales, du justificatif d'hébergement prévu à l'article L. 211-3, s'il est requis, et des autres documents prévus par décret en Conseil d'Etat relatifs, d'une part, à l'objet et aux conditions de son séjour et, d'autre part, s'il y a lieu, à ses moyens d'existence, à la prise en charge par un opérateur d'assurance agréé des dépenses médicales et hospitalières, y compris d'aide sociale, résultant de soins qu'il pourrait engager en France, ainsi qu'aux garanties de son rapatriement (...) " ; que l'article R. 211-27 du même code précise la nature des documents qu'un étranger doit présenter selon que sa venue a des motifs touristiques, médicaux, professionnels ou de recherche ;
10. Considérant que pour décider la remise de M.A..., ressortissant pakistanais, aux autorités italiennes en application de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la préfète s'est fondée sur la circonstance qu'il ne remplissait pas les conditions posées par l'article L. 211-1 de ce code ; qu'à ce titre, il ressort des pièces du dossier que M. A...justifie disposer seulement d'une somme de 40 livres sterling et d'une somme de 100 euros ; qu'il allègue également, sans en justifier, disposer d'une somme de 400 euros sur sa carte bancaire ; que l'intéressé ne dispose pas non plus de documents relatifs à sa prise en charge par un opérateur d'assurance agréé ni aux garanties de son rapatriement ; que dans ces conditions, la préfète du Pas-de-Calais n'a pas fait une inexacte appréciation de la situation de M. A... en estimant qu'il ne remplissait pas les conditions posées par l'article L. 211-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Sur la mesure de placement en rétention administrative :
11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à soutenir que la décision ordonnant son placement en rétention administrative serait illégale en conséquence de l'illégalité de la décision de remise aux autorités italiennes ;
12. Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A moins qu'il ne soit assigné à résidence en application de l'article L. 561-2, l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français peut être placé en rétention par l'autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire, pour une durée de cinq jours, lorsque cet étranger : / 1° Doit être remis aux autorités compétentes d'un Etat membre de l'Union européenne en application des articles L. 531-1 ou L. 531-2 ; / (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 562-1 du même code : " Dans les cas prévus à l'article L. 551-1, l'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger pour lequel l'exécution de l'obligation de quitter le territoire demeure une perspective raisonnable et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque, mentionné au II de l'article L. 511-1, qu'il se soustraie à cette obligation. Les trois derniers alinéas de l'article L. 561-1 sont applicables, sous réserve de la durée maximale de l'assignation, qui ne peut excéder une durée de quarante-cinq jours, renouvelable une fois " ;
13. Considérant que M. A...ne peut invoquer directement devant le juge national les stipulations de l'article 15 de la directive 2008/115/CE visée ci-dessus, dès lors qu'elles ont été transposées en droit français par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité ; que, par suite, ce moyen, qui est inopérant, doit être écarté ;
14. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. A...ne dispose d'aucun document de voyage en cours de validité ; qu'alors même que l'intéressé soutient disposer des moyens de financer lui-même son retour vers l'Italie, il ne justifie d'aucune adresse certaine et stable et ne dispose pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir tout risque de fuite au sens de l'article L. 561-2 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, dès lors, la préfète du Pas-de-Calais a pu, sans commettre d'erreur dans l'appréciation de la situation personnelle de l'intéressé, ordonner son placement en rétention administrative ;
15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 3 septembre 2015 ordonnant la remise de M. A...aux autorités italiennes et son placement en rétention administrative ; que, la demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Lille doit être rejetée ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 8 septembre 2015 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : La demande de M. A...devant le tribunal administratif de Lille est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D...A....
Copie sera adressée pour information à la préfète du Pas-de-Calais.
Délibéré après l'audience publique du 22 septembre 2016 à laquelle siégeaient :
- M. Paul-Louis Albertini, président de chambre,
- M. Olivier Nizet, président-assesseur,
- M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller.
Lu en audience publique le 3 novembre 2016.
L'assesseur le plus ancien,
Signé : O. NIZETLe président de chambre,
président rapporteur,
Signé : P.-L. ALBERTINILe greffier,
Signé : I. GENOT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier,
Isabelle Genot
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N°15DA01886
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