Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 décembre 2018, M. A...B..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, ces décisions ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
------------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A...B..., ressortissant de la République démocratique du Congo, a déclaré être entré sur le territoire français au mois d'août 2018. Afin d'obtenir une prise en charge en tant que mineur isolé, il a présenté des documents d'état civil mentionnant qu'il serait né le 26 octobre 2002 et donc âgé de quinze ans. Toutefois, des investigations conduites par une association compétente dans le domaine de l'aide sociale à l'enfance ayant amené le préfet de l'Aisne à estimer que l'intéressé était majeur et que les documents dont ils se prévalait étaient contrefaits, celui-ci a été interpellé, le 30 août 2018, dans le cadre d'une enquête judiciaire en flagrance pour faux et usage de faux. Par un arrêté pris le jour même, le préfet de l'Aisne a, dans ces conditions, fait obligation à M. A...B...de quitter le territoire français sans lui accorder de délai de départ volontaire, lui a fait interdiction de retour sur ce territoire durant deux années et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office. Par un jugement du 15 octobre 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a, d'une part, annulé la décision faisant interdiction à M. A...B...de retour sur le territoire français durant deux années, mais, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de cette demande tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, des autres décisions contenues dans l'arrêté du 30 août 2018 du préfet de l'Aisne. M. A...B...relève appel de ce jugement.
Sur la recevabilité des conclusions dirigées contre l'interdiction de retour :
2. Si M. A...B...persiste à conclure, en cause d'appel, à l'annulation de la décision, contenue dans l'arrêté du 30 août 2018 en litige, par laquelle le préfet de l'Aisne lui a fait interdiction de retour sur le territoire français durant deux années, le jugement du 15 octobre 2018 dont il relève appel a, comme il vient d'être dit au point précédent, prononcé l'annulation, pour excès de pouvoir, de cette décision, aux motifs qu'elle était insuffisamment motivée et que sa durée était disproportionnée aux buts en vue desquels elle avait été prise. M. A... B..., qui est dès lors dépourvu d'intérêt à maintenir de telles conclusions en appel, ne peut utilement soutenir, alors que cette annulation n'appelait aucune mesure d'exécution, que cette décision aurait pu être annulée pour d'autres motifs. Il suit de là que ces conclusions, qui sont irrecevables, ne peuvent qu'être rejetées.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
En ce qui concerne la légalité externe :
3. Il y a lieu, par adoption des motifs retenus par le premier juge au point 2 de son jugement, d'écarter le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision faisant obligation à M. A...B...de quitter le territoire français.
4. Il résulte de l'examen des motifs de l'arrêté du 30 août 2018 en litige que ceux-ci énoncent les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de l'obligation de quitter le territoire français prononcée à l'égard de M. A...B.... En particulier, ces motifs indiquent que les documents que l'intéressé avait produits pour attester de sa minorité se sont avérés falsifiés et qu'une enquête a permis d'établir sa majorité. Le préfet de l'Aisne n'avait pas à exposer en détail les raisons pour lesquelles il estimait que ces documents étaient des faux. Cette autorité n'avait pas davantage à préciser, dans ces motifs, l'objet et les conditions de l'interpellation de l'intéressé. Par suite, cette décision est suffisamment motivée au regard des exigences posées en la matière par le I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que par l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration.
5. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de 1'Union européenne (C 166/13 du 5 novembre 2014) rendue sur renvoi préjudiciel d'une juridiction administrative française, le droit d'être entendu dans toute procédure, tel qu'il s'applique dans le cadre de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier et, notamment, de l'article 6 de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce qu'une autorité nationale n'entende pas le ressortissant d'un pays tiers spécifiquement au sujet d'une décision de retour lorsque, après avoir constaté le caractère irrégulier de son séjour sur le territoire national à l'issue d'une procédure ayant pleinement respecté son droit d'être entendu, elle envisage de prendre à son égard une telle décision, que cette décision de retour soit consécutive ou non à un refus de titre de séjour.
6. Il ressort, en l'espèce, des pièces du dossier, notamment du procès-verbal d'audition signé par M. A...B..., qu'il a été entendu par les services de police le 30 août 2018 en particulier en ce qui concerne son identité, sa nationalité, sa minorité alléguée, sa situation de famille, son niveau d'études, ses conditions de logement, ses attaches dans son pays d'origine et en France, les raisons et conditions de son entrée sur le territoire français, ainsi que sur sa situation administrative. M. A...B...a eu, ainsi, la possibilité, au cours de cet entretien, conduit en langue française, qu'il a déclaré comprendre, de faire connaître des observations utiles et pertinentes de nature à influer sur la décision prise à son encontre, ce que l'agent qui l'a entendu l'a d'ailleurs expressément invité à faire. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé disposait d'informations tenant à sa situation personnelle, qu'il aurait été empêché de porter à la connaissance de l'administration avant que ne soit prise à son encontre la mesure qu'il conteste et qui, si elles avaient pu être communiquées à temps, auraient été de nature à faire obstacle à l'édiction de cette décision. En particulier, il ressort des pièces du dossier, ainisi qu'il vient d'être dit, que l'intéressé a pu s'expliquer sur sa minorité alléguée et sur la provenance des documents qu'il a fournis pour en jusitifier, de même que sur les conditions dans lesquelles ceux-ci ont été mis en sa possession. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français méconnaîtrait le principe général du droit d'être entendu, qui est au nombre des principes fondamentaux du droit de l'Union européenne et qui est notamment énoncé à l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne :
7. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. / (...) " et aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Ces dernières dispositions posent une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère. Il incombe cependant à l'administration, si elle entend renverser cette présomption, d'apporter la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non-conforme à la réalité des actes en cause. Cette preuve peut être apportée par tous moyens et notamment par les données à caractère personnel enregistrées dans le traitement automatisé dénommé Visabio. En revanche, l'administration française n'est pas tenue de solliciter nécessairement et systématiquement les autorités d'un autre Etat afin d'établir qu'un acte d'état civil présenté comme émanant de cet Etat est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte est, compte tenu de sa forme et des informations dont dispose l'administration française sur la forme habituelle du document en question, manifestement falsifié.
8. Il ressort des pièces du dossier que M. A...B..., qui avait invoqué sa minorité pour solliciter une mesure de protection, a été admis, pour un recueil provisoire, à la maison d'accueil des mineurs isolés étranger, gérée par l'association La Cordée, à compter du 24 août 2018. Dans le cadre de l'évaluation de l'âge et de l'isolement de M. A...B..., à laquelle cette association s'est livrée, les documents dont l'intéressé s'était prévalu pour attester de sa minorité ont fait l'objet d'un examen. Parmi ces documents figuraient une copie intégrale d'un acte de naissance établie le 19 juin 2018 par la commune de N'Djill, ainsi qu'un jugement supplétif du tribunal de grande instance de Kinshasa / N'Djill du 31 décembre 2016 et l'acte de signification de ce jugement, dressé le 28 février 2017. A l'issue de cet examen, il est apparu que ces documents étaient à ce point entachés d'incohérences et d'erreurs que leur authenticité s'en trouvait sérieusement mise en doute. Ainsi, dès lors que le préfet de l'Aisne a perçu que cette association, qui exerce son activité habituelle dans le cadre de la politique départementale d'aide sociale à l'enfance et plus particulièrement dans la prise en charge des mineurs étrangers isolés, avait constaté être en présence de documents manifestement falsifiés, il ne lui était pas nécessaire de faire réaliser des investigations complémentaires par les services de la police aux frontières. D'ailleurs, les réponses apportées par M. A...B..., en ce qui concerne sa scolarité, au cours de l'entretien organisé par cette même association afin d'évaluer sa situation et ses besoins, se sont avérées incompatibles avec l'âge de quinze ans dont il se prévalait. Face à ces éléments concordants qui étaient suffisants à permettre d'écarter l'allégation de minorité de M. A...B..., fût-elle constamment maintenue, il n'était pas nécessaire que le préfet de l'Aisne ait recours à une expertise osseuse ou à une consultation de l'application Visabio avant d'envisager de faire obligation à l'intéressé de quitter le territoire français. Dans ces conditions, pour estimer que M. A... B...n'était pas au nombre des ressortissants étrangers mineurs visés au 1° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui ne peuvent légalement faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, le préfet de l'Aisne n'a pas commis d'erreur d'appréciation ni n'a méconnu ces dispositions. Enfin, si M. A...B...produit, pour la première fois en appel, un document présenté comme une photocopie de l'originial de l'acte de naissance dont a été tiré la copie intégrale précédemment fournie et qui en reprend les numéros d'ordre, cette production nouvelle ne peut, dans le contexte exposé précédemment, être regardée comme présentant des garanties suffisantes d'authenticité. M. A... B..., qui ne donne aucune précision sur les conditions dans lesquelles il a pu se procurer ce nouveau document, ne peut dès lors s'en prévaloir.
9. Eu égard notamment à ce qui a été dit aux points 4 et 8, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de l'Aisne ne se serait pas livré à un examen particulier et suffisamment approfondi de la situation de M. A... B...avant de lui faire obligation de quitter le territoire français.
10. Compte-tenu de ce qui a été dit au point 8, M. A... B...ne peut utilement invoquer les stipulations protectrices du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, dans le champ d'application desquelles il n'entre pas. Il ne peut davantage, en tout état de cause, utilement invoquer, au soutien des conclusions qu'il dirige contre la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français, la méconnaissance des dispositions de l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui sont afférentes aux conditions dans lesquelles un ressortissant étranger peut être placé en rétention administrative.
Sur la légalité du refus de délai de départ volontaire :
11. Il y a lieu, par adoption des motifs retenus par le premier juge au point 2 de son jugement, d'écarter le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision refusant d'accorder à M. A...B...un délai de départ volontaire.
12. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 10 que la décision faisant obligation à M. A... B...de quitter le territoire français n'est entachée d'aucune des illégalités invoquées. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision refusant d'accorder à l'intéressé un délai de départ volontaire devrait être annulée par voie de conséquence de l'annulation de cette mesure d'éloignement ne peut qu'être écarté.
13. Si, en vertu du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le ressortissant étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français dispose en principe d'un délai de trente jours pour y satisfaire, ce même II dispose toutefois que l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que ce ressortissant étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français, lorsque notamment il existe un risque que l'intéressé se soustraie à cette obligation. Le f) du 3° de ce même paragraphe II précise que ce risque est regardé comme établi, sauf circonstance particulière, si le ressortissant étranger concerné ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut justifier de la possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité.
14. Il est constant que M. A... B...n'a été en mesure de produire au préfet de l'Aisne aucun document d'identité et de voyage en cours de validité. Il entrait ainsi dans le champ d'application des dispositions du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile rappelées au point précédent qui autorisaient le préfet de l'Aisne à refuser de lui accorder un délai pour se soumettre volontairement à l'obligation de quitter le territoire français prononcée à son égard. Par suite, les moyens tirés de ce que, pour prendre cette décision, le préfet de l'Aisne aurait commis une erreur d'appréciation et méconnu ces dispositions doivent être écartés.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
15. Il y a lieu, par adoption des motifs retenus par le premier juge au point 2 de son jugement, d'écarter le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision fixant le pays à destination duquel M. A...B...pourra être reconduit d'office.
16. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 10 que la décision faisant obligation à M. A... B...de quitter le territoire français n'est entachée d'aucune des illégalités invoquées. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination de cette mesure devrait être annulée par voie de conséquence de l'annulation de celle-ci ne peut qu'être écarté.
17. Si M. A... B...soutient que la décision fixant le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office aurait été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il n'assortit son moyen d'aucune précision, de sorte que la cour ne peut en apprécier le bien-fondé. Ce moyen doit, dès lors et en tout état de cause, être écarté.
18. Il résulte de tout ce qui précède que M. A...B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 15 octobre 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille, après avoir prononcé l'annulation de la mesure d'interdiction de retour dont il faisait l'objet, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Les conclusions qu'il présente au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A...B...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...A...B..., au ministre de l'intérieur, et à Me E...D....
Copie en sera transmise au préfet de l'Aisne.
1
2
N°18DA02518