Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 6 février, 6 juillet et 17 août 2017, la société Brajlais et Kadik Holding, la société à responsabilité limitée (SARL) Rincette, M. D... A...et Mme C...B..., représentés par la SCP Manuel Gros, Héloïse Hicter et associés, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la commune de Béthune à leur verser la somme de 2 151 835 euros, assortie des intérêts au taux légal en réparation du préjudice qu'ils estiment avoir subi à raison des conséquences de la piétonisation de la Grand'Place de Béthune à la suite de la création d'un parking souterrain à proximité ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Béthune une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- les conclusions de M. Jean-Michel Riou, rapporteur public,
- les observations de Me d'Halluin, avocat de la société Brajlais et Kadik holding, la société à responsabilité limitée (SARL) Rincette, M. A... et MmeB...,
- les observations de Me Vino avocat de la commune de Béthune.
Une note en délibéré, présentée pour les requérants par Me d'Halluin a été enregistrée le 25 octobre 2018.
Considérant ce qui suit :
1. Par délibération du 8 avril 2004, le conseil municipal de Béthune a décidé d'engager des travaux de réaménagement de la Grand'Place, consistant notamment en la réalisation d'un parc souterrain. Le 18 décembre 2006 était prise la décision d'interdire le stationnement sur cette place. M. A... et Mme B...respectivement gérant de la société Brajlais et Kadik Holding et gérante de la SARL " Rincette " qui exploitent une brasserie à l'enseigne " Beff' café " située sur la Grand'Place à Béthune relèvent, tant en leur nom propre qu'au nom de ces sociétés, appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté leur demande tendant à ce que la commune de Béthune soit condamnée à les indemniser en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis à la suite du changement d'affectation de la Grand'Place de Béthune.
Sur la responsabilité de la collectivité publique :
En ce qui concerne la responsabilité sans faute de la commune de Béthune :
2. D'une part, le propriétaire riverain d'une voie publique qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics, à l'égard de laquelle il a la qualité de tiers, doit établir, d'une part, le caractère anormal et spécial de son préjudice, et, d'autre part, le lien de causalité entre cette opération et les dommages allégués. A cet égard, toutefois, les riverains des voies publiques sont tenus de supporter, sans contrepartie, les sujétions normales qui leur sont imposées dans un but d'intérêt général. D'autre part, les mesures de police peuvent ouvrir droit à réparation sur le fondement du principe de l'égalité devant les charges publiques dès lors qu'elles engendrent, pour un administré, un préjudice anormal, grave et spécial.
3. Pour rechercher la responsabilité de la commune de Béthune, les requérants font valoir les conséquences des travaux et de la mesure de police du 18 décembre 2006 qui leur auraient causé un préjudice commercial anormal et spécial, du fait de la diminution de la clientèle de leur commerce consécutive au réaménagement de la Grand'Place, conduisant à une interdiction du stationnement sur celle-ci, ce qui rendrait difficile l'accès de la clientèle à la brasserie en question. Il résulte cependant de l'instruction que ceux des clients de la brasserie qui souhaitent s'y rendre en voiture, ce qui n'est d'ailleurs pas nécessairement le cas de la totalité d'entre eux, sont, dorénavant assurés de trouver une place de parking sur les lieux, en se garant dans le parking souterrain aménagé sous la place dont il n'est pas démontré que le tarif serait prohibitif. En outre, il existe toujours des places de stationnement aériennes, à proximité de la Grand'Place non loin de l'établissement, ainsi que quelques emplacements sur la place même. En revanche, la piétonisation de la place a nécessairement contribué à en accroître l'attractivité pour les promeneurs et, par suite, également pour les potentiels clients des terrasses des cafés, qui ne sont plus gênés par la circulation automobile. Dès lors, le lien de causalité entre le dommage allégué et l'ouvrage public que constitue la Grand'Place telle que réaménagée du fait de la suppression du stationnement et de la circulation aériens n'est pas établi. En outre, ce n'est que sur la partie de la Grand'Place comprise entre la rue Grosse Tête et la rue du Pot que l'arrêté du 18 décembre 2006 a interdit le stationnement, l'impossibilité de stationner sur le reste de la place n'étant liée qu'à la pose de plots effectuée en 2011. Ainsi, n'est pas davantage établi le lien de causalité entre l'arrêté de piétonisation de la Grand'Place et le dommage allégué.
4. Au surplus, alors qu'en raison du changement de propriétaire les résultats ne sauraient être comparés avec ceux des années antérieures à 2004, il résulte de l'instruction, notamment des attestations d'un expert-comptable, qu'après une baisse du chiffre d'affaires annuel du café-restaurant en 2006, une augmentation régulière a été enregistrée au cours des années suivantes, à la seule exception de l'année 2009. Dès lors, le préjudice commercial allégué n'est pas établi de manière certaine.
En ce qui concerne la responsabilité pour faute de la commune de Béthune :
5. Il résulte de l'instruction que M. A... et Mme B...qui résidaient alors dans la région parisienne ont décidé d'acquérir un café brasserie sur la Grand'Place de Béthune à partir de la consultation d'une annonce sur le réseau internet début novembre 2003. Les requérants exposent qu'au cours de leurs différentes rencontres avec des représentants des services de la commune préalablement à cet achat, il n'a jamais été évoqué l'existence d'un projet de réalisation de parking souterrain qui serait finalisé. Or, c'est dès le lendemain de l'achat du bien, soit le 8 avril 2004, que le conseil municipal décidait d'engager les travaux de réaménagement de la Grand'Place. Cette coïncidence temporelle révèlerait, selon les appelants, l'existence d'un détournement de pouvoir, qui serait lié à la volonté de favoriser la vente du café en question détenu par un commerçant béthunois bien implanté au détriment de tiers non implantés localement. Toutefois, en invoquant la seule chronologie, alors qu'une délibération du 15 juillet 2003 avait déjà lancé les études sur la revalorisation de la Grand'Place, sans produire aucun document établissant qu'ils ont effectivement reçu une information erronée de la part des services municipaux, les requérants n'apportent pas la preuve qui leur incombe que la commune aurait commis une faute, soit en raison d'un détournement de pouvoir lié à une rétention d'information, soit, à défaut et à tout le moins, en leur donnant des renseignements erronés. Par suite, en l'absence de faute dûment établie, la responsabilité de la commune de Béthune ne peut être engagée.
6. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté leur demande. La requête étant ainsi rejetée comme non fondée, il n'est pas nécessaire de se prononcer sur la fin de non-recevoir et l'exception de prescription quadriennale opposées par la commune de Béthune en défense.
Sur les frais liés au litige :
7. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
8. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par la société Brajlais et Kadik Holding, la société à responsabilité limitée (SARL) Rincette, M. A... et Mme B...doivent, dès lors, être rejetées.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Brajlais et Kadik Holding, de la société à responsabilité limitée (SARL) Rincette, de M. A... et de Mme B...pris ensemble, le paiement d'une somme globale de 1000 euros au titre des frais exposés par la commune de Béthune et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête susvisée des sociétés Brajlais et Kadik Holding, Rincette, et de M. A... et Mme B...est rejetée.
Article 2 : Les sociétés Brajlais et Kadik Holding, Rincette, M. A... et Mme B...verseront la somme globale de 1000 euros à la commune de Béthune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Brajlais et Kadik Holding, à la société à responsabilité limitée Rincette, à M. D... A..., à Mme C... B...et à la commune de Béthune.
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N°17DA00244