Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 21 janvier 2019, le préfet du Nord, représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A...devant ce tribunal.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n°603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.A..., ressortissant éthiopien né le 1er juillet 1998, est entré dans des conditions irrégulières sur le territoire français. Il s'est présenté à la préfecture du Nord le 16 octobre 2018 dans le but de former une demande d'asile. Toutefois, une consultation de l'application Eurodac a permis d'établir que M. A...était connu, en tant que demandeur d'asile, des autorités suisses, ainsi que des autorités allemandes, qui avaient respectivement prélevé ses empreintes digitales le 9 décembre 2015 et le 31 mars 2016. Les autorités suisses ayant refusé de reprendre en charge M.A..., mais les autorités allemandes ayant, quant à elles, accepté sa reprise en charge, le préfet du Nord a prescrit, par un arrêté du 16 novembre 2018, son transfert en Allemagne. Le préfet relève appel du jugement du 12 décembre 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé, pour excès de pouvoir, la décision de transfert prise par cet arrêté et lui a fait injonction de se prononcer de nouveau sur la situation de l'intéressé.
2. Aux termes de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : "1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : / (...) / b) reprendre en charge (...) le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ; / (...) ".
3. Ces dispositions font obligation à l'Etat membre, dont les autorités examinent la demande de protection internationale introduite auprès d'elles par un ressortissant étranger, de reprendre en charge ce dernier lorsqu'il se trouve sur le territoire d'un autre Etat membre, notamment pour y former une autre demande d'asile. Cette obligation de reprise en charge doit cependant être distinguée de l'obligation prise en charge pesant initialement sur l'Etat membre reconnu responsable, au terme du processus de détermination organisé par le règlement (UE) n° 604/2013 à partir des critères énoncés en son chapitre III, de l'examen de la demande d'asile introduite pour la première fois sur le territoire de l'Union européenne par un ressortissant étranger.
4. Pour annuler, par le jugement attaqué, l'arrêté du 16 novembre 2018 par lequel le préfet du Nord a prescrit le transfert de M. A...en Allemagne, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a estimé que cet arrêté était entaché d'erreur de droit, dès lors que l'autorité préfectorale avait fait une inexacte application des critères de détermination de l'Etat responsable énoncés au chapitre III du règlement (UE) n° 604/2013, en privilégiant à tort, pour faire le choix de l'Allemagne comme pays de transfert, le critère subsidiaire du premier Etat membre auprès duquel une demande de protection internationale avait été formée. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que les demandes adressées par le préfet du Nord aux autorités suisses et allemandes tendaient, non pas à obtenir la prise en charge de M. A...aussitôt après la première introduction par lui d'une demande d'asile auprès d'un Etat membre de l'Union européenne ou d'un Etat participant au règlement en vertu d'un accord avec l'Union, mais sa reprise en charge, sur le fondement des dispositions précitées de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013, par l'Etat membre dont les autorités étaient en phase d'examen de sa demande d'asile. Par suite, il ne pouvait être fait reproche au préfet du Nord d'avoir fait une inexacte application des critères de détermination de l'Etat responsable énoncés au chapitre III du règlement (UE) n° 604/2013, qui n'étaient pas applicables dans le cadre de la procédure de reprise en charge dont M. A...était l'objet. Le préfet du Nord est, dès lors, fondé à soutenir que le premier juge a retenu à tort ce motif pour annuler son arrêté.
5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A...devant le tribunal administratif de Lille.
Sur la compétence de l'auteur de la décision :
6. L'arrêté du 16 novembre 2018 en litige a été signé par Mme C...G..., adjointe au chef du bureau de l'asile de la préfecture du Nord, qui a agi dans le cadre d'une délégation de signature qui lui avait été consentie par arrêté du 25 juillet 2018 du préfet du Nord, publié le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture. Cette délégation habilitait MmeG..., en cas d'absence ou d'empêchement du chef du bureau, Mme B...F..., laquelle situation n'est pas contestée, à signer notamment les arrêtés prescrivant le transfert de ressortissants étrangers demandeurs d'asile dans le cadre de l'application des dispositions du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013. Dès lors, le moyen tiré de ce que l'arrêté prescrivant le transfert de M. A...en Allemagne aurait été signé par une autorité incompétente manque en fait.
Sur la motivation de l'arrêté en litige :
7. Les motifs de l'arrêté en litige énoncent que M. A...a bénéficié d'un entretien individuel, qu'il s'est vu délivrer, dans une langue qu'il avait déclaré comprendre, à savoir l'oromo, les informations requises par l'article 4 du règlement (UE) n°604/2013 en ce qui concerne l'application de ce règlement, et qu'il a, en outre, été rendu destinataire, moyennant une explication par un interprète en oromo, du guide du demandeur d'asile dans sa version en langue anglaise, à défaut de traduction disponible en oromo. Ces mêmes motifs ajoutent que les autorités suisses, qui connaissaient l'intéressé en tant que demandeur d'asile, ont été saisies, le 16 octobre 2018, d'une demande de reprise en charge de l'intéressé, formulée sur le fondement des dispositions du b) du 1 de l'article 18 du même règlement, mais qu'elles ont opposé un refus à cette demande. Ces motifs précisent qu'en revanche, les autorités allemandes, saisies elles aussi d'une demande aux mêmes fins, ont expressément fait connaître leur accord quant à cette reprise en charge le 19 octobre 2018. Ainsi rédigés, ces motifs, qui ajoutent que M. A...ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale stable sur le territoire français et qu'il n'établit pas être dans l'impossibilité de retourner en Allemagne, exposent les considérations de droit et de fait sur lesquelles se fonde la décision de transfert de M. A...dans ce pays. Dès lors que, comme il a été dit au point 4, cette décision intervient dans le cadre d'une reprise en charge d'un ressortissant étranger dont la demande d'asile est en cours d'examen par les autorités d'un autre état membre de l'Union européenne et qui a présenté une autre demande d'asile en France, et non d'une prise en charge d'un demandeur d'asile à l'issue de la procédure de détermination de l'Etat responsable de l'examen de sa demande, le préfet du Nord n'avait pas à motiver son arrêté au regard de l'un des critères de détermination énoncés au chapitre III du règlement (UE) n°604/2013. Il suit de là que doit être écarté le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision de transfert au regard de l'exigence rappelée par les articles L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration et 4 du règlement (UE) n°604/2013.
Sur l'appréciation portée sur la situation de l'intéressé :
8. L'article 17 du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 prévoit la possibilité pour chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans ce règlement ou de demander à un autre Etat membre de prendre l'intéressé en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères fixés par ce règlement.
9. Si M. A...invoque le bénéfice de ces dispositions dérogatoires de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013, de même que des stipulations protectrices de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il n'a assorti, tant à l'écrit qu'à l'oral devant le premier juge, ces moyens d'aucune précision de nature à permettre d'en apprécier le bien-fondé et n'a pas davantage produit de telles précisions en cause d'appel. Ces moyens ne peuvent, dans ces conditions, qu'être écartés.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Nord est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 12 décembre 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté du 16 novembre 2018 prescrivant le transfert de M. A... en Allemagne et lui a fait injonction de se prononcer de nouveau sur la situation de l'intéressé. Par voie de conséquence, la demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Lille doit être rejetée.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 12 décembre 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A...devant ce tribunal est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. H...A...et à MeE....
Copie en sera transmise, pour information, au préfet du Nord.
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N°19DA00182