Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 21 mars 2016, la SAS Etablissements Salentey, représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) de la décharger des pénalités qui ont été établies sur le fondement du 2. du I de l'article 1737 du code général des impôts et de l'article 1759 du même code, pour un montant total de 1 932 086 euros ;
2°) de réformer, dans cette mesure, le jugement contesté.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Xavier Fabre, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Jean-Michel Riou, rapporteur public.
1. La SAS Etablissements Salentey, qui exerce une activité de commerce en gros de fournitures électriques, matériel mécanique et fourniture automobile, a fait l'objet de deux vérifications de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2008, période étendue au 31 octobre 2009 en matière de taxe sur la valeur ajoutée, puis sur la période du 1er janvier au 31 décembre 2009, période étendue au 30 avril 2010 en matière de taxe sur la valeur ajoutée. A l'issue de ces vérifications, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités ont été mis à sa charge. La société relève appel du jugement du 21 janvier 2016 en tant uniquement qu'il a rejeté sa demande de décharge des pénalités mises à sa charge sur le fondement du 2. du I de l'article 1737 du code général des impôts au titre des années 2007, 2008 et 2009 et de l'article 1759 du même code au titre de l'année 2009.
Sur l'amende prévue par l'article 1759 du code général des impôts :
2. Aux termes de l'article 1759 du code général des impôts : " Les sociétés et les autres personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés qui versent ou distribuent, directement ou par l'intermédiaire de tiers, des revenus à des personnes dont, contrairement aux dispositions des articles 117 et 240, elles ne révèlent pas l'identité, sont soumises à une amende égale à 100 % des sommes versées ou distribuées. Lorsque l'entreprise a spontanément fait figurer dans sa déclaration de résultat le montant des sommes en cause, le taux de l'amende est ramené à 75 %. ".
En ce qui concerne la méconnaissance des stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de l'article 1er du premier protocole additionnels à cette convention :
3. D'une part, aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif au droit à un procès équitable : " Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. / (...) ". Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, relatif à la protection de la propriété : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ".
4. Les dispositions précitées de l'article 1759 du code général des impôts ont pour objet et pour effet d'inciter une personne morale passible de l'impôt sur les sociétés à révéler, à la demande de l'administration présentée sur le fondement de l'article 117 du même code, l'identité des bénéficiaires de l'excédent des distributions auxquelles elle a procédé. Ces dispositions proportionnent l'amende qu'elles instituent au montant des sommes sur lesquelles porte l'infraction que l'amende vise à réprimer. Elles ne s'appliquent pas dans le cas où, après y avoir été invitée par l'administration, la société distributrice révèle, dans le délai imparti, l'identité de la personne ayant bénéficié des sommes distribuées. Le montant de l'amende est limité à 75 % des distributions lorsque l'entreprise a spontanément fait figurer dans sa déclaration de résultat le montant des sommes en cause.
5. Il résulte du point précédent que la loi elle-même a assuré, dans une certaine mesure, la modulation des peines en fonction de la gravité des comportements réprimés. Le montant de l'amende ainsi fixé est proportionné, au regard de l'objectif de lutte contre la fraude fiscale poursuivi par ces dispositions, à la gravité des manquements commis. Par ailleurs, le juge de l'impôt, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, décide, dans chaque cas, selon les résultats de ce contrôle, soit de maintenir l'amende infligée par l'administration, soit d'en prononcer la décharge s'il estime que le contribuable n'a pas contrevenu aux règles applicables. Il dispose ainsi d'un pouvoir de pleine juridiction qui n'est pas incompatible avec les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lesquelles n'impliquent pas que le juge puisse en moduler l'application en lui substituant un taux inférieur à celui prévu par la loi. Le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations doit donc être écarté.
6. Par ailleurs, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point précédent, les dispositions de l'article 1759 du code général des impôts ne portent pas davantage une atteinte disproportionnée, au regard de l'objectif poursuivi de lutte contre la fraude fiscale, au droit au respect des biens garanti par les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
7. Le législateur a, par des dispositions compatibles avec les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, entendu limiter le contrôle exercé par le juge pour chaque sanction prononcée, à un plein contrôle sur les faits invoqués, manquement par manquement, et sur la qualification retenue par l'administration. Il n'appartient donc pas au juge de contrôler la proportionnalité du montant de l'amende contestée devant lui. Il en résulte qu'est inopérant le moyen tiré de ce que le montant de l'amende infligée à la société Etablissements Salentey au titre de l'article 1759 du code général des impôts qui s'élevait à 304 564 euros, serait disproportionné et porterait, dans les circonstances particulières de l'espèce, une atteinte excessive au droit au respect de ses biens.
En ce qui concerne la méconnaissance du principe de non cumul des peines :
8. Le principe de non cumul des peines est affirmé tant par le droit interne que par le premier alinéa de l'article 4 du protocole n° 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui stipule que : " " Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat ".
9. Cette règle ne trouve à s'appliquer, selon les réserves faites par la France en marge de ce protocole, que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale et n'interdit pas le prononcé de sanctions fiscales parallèlement aux sanctions infligées par le juge répressif.
10. Il résulte de l'instruction que le service a mis à la charge de la société appelante la somme de 304 564 euros sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts en raison du refus, par la société, de désigner les bénéficiaires de revenus réputés distribués à hauteur de ce montant. En l'absence, en l'espèce, de toute sanction infligée par le juge répressif, la société Etablissements Salentey ne peut, en tout état de cause, valablement se prévaloir de la méconnaissance du principe de non cumul des peines.
En ce qui concerne la méconnaissance du principe de nécessité des peines :
11. Aux termes de l'article 8 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 : " La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ".
12. Le juge administratif n'étant pas juge de la constitutionnalité des lois, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article 1759 du même code méconnaîtraient le principe de nécessité des peines lequel est issu de l'article 8 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ne peut qu'être écarté.
Sur l'amende prévue par le 2. du I de l'article 1737 du code général des impôts :
En ce qui concerne la méconnaissance des stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention :
13. Aux termes de l'article 1737 du code général des impôts : " I. - Entraîne l'application d'une amende égale à 50 % du montant : / 1. Des sommes versées ou reçues, le fait de travestir ou dissimuler l'identité ou l'adresse de ses fournisseurs ou de ses clients, les éléments d'identification mentionnés aux articles 289 et 289 B et aux textes pris pour l'application de ces articles ou de sciemment accepter l'utilisation d'une identité fictive ou d'un prête-nom ; / 2. De la facture, le fait de délivrer une facture ne correspondant pas à une livraison ou à une prestation de service réelle ; / (...) ".
14. L'amende prévue par les dispositions du 2. du I de l'article 1737 du code général des impôts présente, au sens et pour l'application des stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le caractère d'une accusation en matière pénale. Ces stipulations sont, dès lors, applicables à la contestation de cette amende. Toutefois, ces dispositions du code général des impôts proportionnent le montant de l'amende à l'importance des sommes qui font l'objet de l'infraction. Le juge de l'impôt, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l'administration, décide, dans chaque cas, selon les résultats de ce contrôle, soit de maintenir cette amende, soit d'en prononcer la décharge. Les stipulations de l'article 6 de cette convention ne l'obligent pas à procéder différemment. Par suite, les dispositions du 2. du I de l'article 1737 du code général des impôts ne sont pas incompatibles avec ces stipulations.
15. Les dispositions du 2. du I de l'article 1737 du code général des impôts visent à prévenir la réitération d'agissements fiscalement répréhensibles en les punissant. Au regard de l'objectif ainsi poursuivi de lutte contre la fraude fiscale, ces dispositions ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit au respect des biens garanti par les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
16. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 7, le moyen tiré de ce que la somme mise à la charge de la société au titre de l'application de ces dispositions porterait, dans les circonstances particulières de l'espèce, une atteinte excessive au droit au respect de ses biens doit être écarté comme inopérant.
17. Il résulte de ce qui a été dit aux points 14 à 16 que les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnels à cette convention doivent être écartés.
En ce qui concerne la méconnaissance du principe de nécessité des peines :
18. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe de nécessité des peines doit être écarté pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 12.
19. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 18 que les moyens soulevés, et analysés de façon distincte à l'encontre de chacune de ces deux amendes ne sont pas fondés. En outre, en l'absence de disposition ou de principe y faisant obstacle, la seule circonstance que les amendes mises à la charge de la société appelante sur le fondement de ces deux dispositions du code général des impôts trouvent leur origine dans les mêmes factures n'est pas de nature à entacher d'illégalité les amendes ainsi mises à sa charge. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la somme totale des deux amendes serait totalement disproportionnée au regard des manquements commis et du préjudice causé ne peut qu'être écarté.
20. Il résulte de l'ensemble ce qui précède que la société Etablissements Salentey n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SAS Etablissements Salentey est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Etablissements Salentey et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
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N°16DA00598