Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 11 juillet 2018 et 30 avril 2019, la SAS In Extenso Haute-Normandie, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de la décharger, à concurrence d'un montant de 117 054 euros, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés et de la majoration de 40 % correspondante qui lui ont été assignées au titre de l'exercice clos en 2011 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Binand, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée (SAS) Euro Conseil Holding (ECH), dénommée SAS In Extenso Haute-Normandie depuis l'année 2012, assure une activité de prestations de services en matière de gestion et de comptabilité auprès de ses filiales au nombre desquelles figure la SAS Euro Conseil Consulting (ECC) dont elle détient 80 % des parts sociales. Par décision de son assemblée générale adoptée le 14 décembre 2007, la société ECH a abandonné, à hauteur d'un montant de 257 000 euros, ses créances sur la société ECC, cédées par sa filiale fiscalement intégrée, la société Euro Consulting Normandie (ECN), correspondant à des avances de trésorerie et à des prestations restant à régler. La société ECH a ainsi comptabilisé en charge déductible de l'exercice clos le 30 septembre 2008 le montant de cet abandon de créances, tout en augmentant corollairement de 6 169 euros la valeur des parts sociales détenues dans sa filiale qu'elle a estimé en être résulté. Le résultat déficitaire ainsi constaté a été reporté sur les exercices suivants, puis imputé sur l'exercice bénéficiaire clos en 2011. L'administration, à l'issue de la vérification de comptabilité de la société ECH a, notamment, réintégré ce déficit d'un montant de 250 831 euros dans les résultats de l'exercice clos le 30 septembre 2011, au motif que la société ne justifiait pas de l'intérêt qu'elle aurait eu à l'abandon de ses créances qui ne se rattachait pas, dès lors, à sa gestion commerciale normale. A la suite du rejet de sa réclamation le 3 juin 2016, la société In Extenso Haute-Normandie a demandé au tribunal administratif de Rouen de prononcer la décharge partielle, à hauteur de la somme de 117 054 euros, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés, et de la majoration de 40 % pour manquement délibéré, mises à sa charge au titre de l'exercice clos en 2011. Elle relève appel du jugement du 11 mai 2018 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Sur le bien-fondé des impositions :
2. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, dans leur rédaction applicable, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale. Les abandons de créance accordés par une entreprise au profit d'un tiers ne relèvent pas, en règle générale, d'une gestion commerciale normale, sauf s'il apparaît qu'en consentant de tels avantages, l'entreprise a agi dans son propre intérêt. Cette règle doit recevoir application même si le bénéficiaire de ces avances est une filiale, hormis le cas où la situation des deux sociétés serait telle que la société mère puisse être regardée comme ayant agi dans son propre intérêt en venant en aide à une filiale en difficulté. S'il appartient à l'administration d'apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer qu'un abandon de créances consenti par une entreprise à un tiers constitue un acte anormal de gestion, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que cette entreprise n'est pas en mesure de justifier qu'elle a bénéficié en retour de contreparties. Dans l'hypothèse où la société apporte une telle justification, il incombe ensuite à l'administration, si elle s'y croit fondée, d'apporter la preuve que cette contrepartie est dépourvue d'intérêt pour l'entreprise ou que sa rémunération est excessive.
3. Il est constant que la société ECH et sa filiale, la société ECC, n'entretenaient pas de relations commerciales, la société ECC ayant pour objet de réaliser des prestations de consultant au profit des clients de sa société-soeur, la société ECN. Ainsi, l'abandon de créances consenti par la société ECH au profit de la société ECC ne peut être justifié par l'existence de contreparties de nature à établir un intérêt commercial pour l'activité propre de la société ECH.
4. Toutefois, une société peut, sans commettre d'acte anormal de gestion, prévenir les conséquences de graves difficultés financières d'une filiale, dans son intérêt propre, notamment pour sauvegarder son renom, en lui consentant une aide pour assainir sa situation alors même qu'elle n'entretiendrait avec elle aucune relation commerciale. Cette aide doit, sauf preuve contraire, être réputée augmenter la valeur de la participation détenue dans le capital de la filiale. Pour apporter la preuve que la valeur de sa participation dans le capital de sa filiale n'a pas augmenté, il appartient à la société qui consent une aide financière d'apporter tous éléments de nature à justifier que la situation nette réelle de sa filiale est négative. Enfin, si le caractère d'acte anormal de gestion de l'aide consentie à une filiale s'apprécie à la date à laquelle cet acte est intervenu, en revanche la participation détenue dans le capital de la filiale devant être évaluée à la clôture de l'exercice au cours duquel l'aide a été consentie afin de déterminer la variation de l'actif net de la société mère au cours de l'exercice, c'est à la date de cette clôture qu'il convient d'apprécier la situation nette réelle de la filiale afin de déterminer si la société mère est en droit de déduire de ses bénéfices imposables la somme correspondant à l'aide qu'elle a apportée à sa filiale.
5. Il résulte de l'instruction qu'à la date de l'abandon de créances consenti en 2007 par la société ECH, la société ECC, dont la situation s'était dégradée progressivement depuis 2004, se trouvait dans une situation financière difficile, le résultat du dernier exercice comptable clos en 2006, durant lequel aucun chiffre d'affaires n'avait été réalisé, étant déficitaire d'un peu plus de 178 000 euros. La société requérante fait valoir, sans être contredite, qu'aucune perspective de redressement de la société ECC ne pouvait être envisagée à court terme, compte tenu du licenciement par cette dernière de ses deux derniers dirigeants, qui effectuaient les prestations facturées à la société ECN, de la perte de clientèle qui s'en était suivie ainsi que du contentieux en cours devant la juridiction prud'homale susceptible d'aboutir à sa condamnation à des dommages-intérêts, de telle sorte que cette société était exposée au risque d'un dépôt de bilan pour insuffisance d'actif. Dans ces conditions la société ECH a pu estimer à juste titre qu'il était conforme à ses propres intérêts d'assainir la situation financière de sa filiale, alors même qu'il n'est pas démontré, en l'espèce, que les difficultés rencontrées par la société ECC, compte tenu de la faible notoriété de cette entreprise, auraient emporté une atteinte particulière au renom de sa société-mère. Dès lors, la société ECH, en consentant l'abandon de créances en cause, doit être réputée avoir agi dans le cadre d'une gestion normale, alors même, d'une part, qu'elle aurait pu recourir à d'autres mesures pour parvenir aux mêmes fins et, d'autre part, que la société ECC aurait connu postérieurement des résultats déficitaires en dépit du rétablissement de son capital social, comme le relève l'administration.
6. Toutefois, il est constant qu'à la date de clôture de l'exercice 2007 de la société ECH, le résultat d'exploitation de sa filiale était redevenu positif, après l'abandon de créances ainsi consenti. Dans ces conditions, l'abandon de créances en cause doit être regardé comme ayant nécessairement augmenté la valeur de la participation détenue par la société ECH dans la société ECC à concurrence d'un montant égal, en l'absence de toute contribution de même nature consentie par les actionnaires minoritaires de la filiale, au prorata des parts sociales détenues, soit 80 % de la créance abandonnée. En raison de cette contrepartie, et alors d'ailleurs que la société ECH n'a pas constitué une provision pour dépréciation, correspondant à l'excédent, à le supposer établi, de la valeur comptable de la participation sur sa valeur réelle, la somme de 257 000 euros abandonnée par la société ECH à sa filiale, la société ECC, ne peut être admise en déduction du bénéfice imposable de l'exercice 2008 qu'à concurrence de 20 % de son montant, soit 51 400 euros.
7. Il résulte de ce qui précède que la base retenue pour l'établissement de l'impôt sur les sociétés de la société ECH au titre de l'année 2011 doit être réduite à hauteur de 51 400 euros.
Sur la majoration pour manquement délibéré :
8. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
9. Pour justifier l'application à la société In Extenso Haute-Normandie de la majoration de 40 % prévue par les dispositions citées au point précédent, l'administration a retenu que l'abandon de créances consenti par celle-ci en 2007 présentait le caractère d'un acte anormal de gestion, excluant, comme tel, toute déduction en charge, ce que la société ne pouvait ignorer au regard de la connaissance particulière des règles applicables en la matière qu'elle tirait de ses activités exercées dans le secteur comptable. Toutefois, ainsi, qu'il a été dit au point 5, cet abandon de créances se rattachait à la gestion normale de l'entreprise et pouvait, dès lors, présenter le caractère d'une charge déductible, pourvu que la société soit en mesure de justifier le montant de la contrepartie qu'elle en avait retirée. Dès lors que l'administration, qui supporte la charge de la preuve, n'établit pas que l'exagération du montant inscrit en charge déductible par la société ECH aurait procédé d'une intention délibérée, alors d'ailleurs que cette société a corollairement réévalué, même insuffisamment, la valeur de son actif, la SAS In Extenso Haute-Normandie est fondée à demander à être déchargée en totalité de la majoration qui lui a été infligée par l'administration sur le fondement des dispositions du a. de l'article 1729 du code général des impôts.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la société In Extenso Haute-Normandie est fondée à demander la décharge, d'une part, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés qui lui a été assignée au titre de l'année 2011 dans la mesure de la réduction en base prononcée au point 7 du présent arrêt, d'autre part, et en totalité, de la majoration pour manquement délibéré assortissant le redressement contesté ainsi que la réformation, dans cette mesure, du jugement du 11 mai 2018 du tribunal administratif de Rouen. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, qui doit être regardé comme la partie perdante, le versement à la société In Extenso Haute-Normandie d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La SAS In Extenso Haute-Normandie est déchargée du supplément d'impôt sur les sociétés qui lui a été assigné au titre de l'exercice clos en 2011 dans la mesure d'une réduction en base de 51 400 euros.
Article 2 : La SAS In Extenso Haute-Normandie est déchargée de la majoration pour manquement délibéré mise à sa charge au titre de l'abandon de créances consenti au profit de la société Euro Conseil Consulting.
Article 3 : Le jugement du 11 mai 2018 du tribunal administratif de Rouen est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à la SAS In Extenso Haute-Normandie sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la SAS In Extenso Haute-Normandie est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée In Extenso Haute-Normandie et au ministre délégué chargé des comptes publics.
Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
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N°18DA01413