Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 7 février 2018, le 16 avril 2019 et le 3 août 2020, Mme C..., représentée par Me D..., demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) à titre principal, d'annuler la décision du 2 septembre 2015 par laquelle le directeur départemental des finances publiques de l'Oise a refusé de lui accorder la décharge de l'obligation solidaire de payer les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles son ex-époux et elle-même ont été assujettis et d'enjoindre au directeur départemental des finances publiques de l'Oise de lui accorder ladite décharge ou, à titre subsidiaire, de lui accorder la remise gracieuse de cette imposition ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E... B..., première conseillère,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant Mme C....
Considérant ce qui suit :
1. A la suite de son divorce, prononcé le 13 novembre 2012 par un jugement du tribunal de grande instance de Senlis, Mme C... a présenté une demande, en date du 21 octobre 2014, tendant à obtenir, sur le fondement des dispositions du II de l'article 1691 bis du code général des impôts, la décharge de son obligation solidaire de payer la somme de 495 040,64 euros correspondant, d'une part, à la cotisation primitive d'impôt sur le revenu à laquelle le foyer fiscal qu'elle formait avec son ex-époux a été assujetti au titre de l'année 2009 et, d'autre part, aux cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ce foyer fiscal a été assujetti au titre des années 2007 à 2012. Par une décision du 2 septembre 2015, le directeur des finances publiques de l'Oise a refusé de lui accorder la décharge de l'obligation solidaire de payer ladite somme. Par un jugement du 7 décembre 2017, le tribunal administratif d'Amiens, après avoir estimé que les dispositions de l'article 1691 bis du code général des impôts ne permettaient pas à l'administration d'opposer à Mme C..., comme elle l'avait fait, la poursuite de la vie commune entre les époux, a rejeté la demande de Mme C..., au motif, invoqué devant lui par l'administration, que les intéressés s'étaient livrés à des manoeuvres frauduleuses pour se soustraire au paiement de l'impôt. Mme C... relève appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article 1691 bis du code général des impôts : " I. - Les époux et les partenaires liés par un pacte civil de solidarité sont tenus solidairement au paiement : / 1° De l'impôt sur le revenu lorsqu'ils font l'objet d'une imposition commune ; / (...) / II. - 1. Les personnes divorcées ou séparées peuvent demander à être déchargées des obligations de paiement prévues au I ainsi qu'à l'article 1723 ter-00 B lorsque, à la date de la demande : / a) Le jugement de divorce ou de séparation de corps a été prononcé ; / (...) / 2. La décharge de l'obligation de paiement est accordée en cas de disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale et, à la date de la demande, la situation financière et patrimoniale, nette de charges, du demandeur. (...) / 3. Le bénéfice de la décharge de l'obligation de paiement est subordonné au respect des obligations déclaratives du demandeur prévues par les articles 170 et 885 W à compter de la date de la fin de la période d'imposition commune. / La décharge de l'obligation de paiement ne peut pas être accordée lorsque le demandeur et son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité se sont frauduleusement soustraits, ou ont tenté de se soustraire frauduleusement, au paiement des impositions mentionnées aux 1° et 2° du I ainsi qu'à l'article 1723 ter-00 B, soit en organisant leur insolvabilité, soit en faisant obstacle, par d'autres manoeuvres, au paiement de l'impôt. / (...) ".
3. En demandant aux premiers juges, puis à la cour, d'annuler la décision du 2 septembre 2015 par laquelle le directeur départemental des finances publiques de l'Oise a refusé de lui accorder, sur le fondement de ces dispositions, la décharge de l'obligation solidaire de payer la somme de 495 040,64 euros qui lui était réclamée en paiement de cotisations d'impôt sur le revenu assignées au foyer fiscal qu'elle formait avec son ancien époux, Mme C... doit être regardée comme présentant des conclusions à fin de décharge de cette obligation solidaire de paiement.
4. En premier lieu, l'administration renonce expressément, en cause d'appel, à faire valoir qu'en raison de la poursuite de la vie commune de Mme C... et de son ancien époux, postérieurement au prononcé de leur divorce, la requérante ne rentrait pas dans l'un des cas dans lesquels une personne tenue à l'obligation solidaire de paiement de l'impôt sur le revenu prévue par les dispositions précitées du I de l'article 1691 bis peut demander la décharge de cette obligation sur le fondement des dispositions du II de ce même article.
5. En deuxième lieu, il résulte des indications, non contestées par l'administration, figurant sur le courrier en date du 21 octobre 2014 adressée au directeur des finances publiques de l'Oise par Mme C... à l'appui de sa demande de décharge de l'obligation solidaire de payer les impositions en cause, qu'outre la propriété du logement acquis pour le prix de 206 500 euros qu'elle occupait avec ses deux filles mineures, celle-ci disposait d'un patrimoine mobilier constitué, à hauteur de 34 404 euros, d'une assurance vie et, à hauteur de 8 024,59 euros, de dépôts sur deux comptes bancaires. Mme C... recevait de son époux une pension alimentaire, de 500 euros par mois, pour l'entretien de leurs deux enfants mais ne percevait aucun revenu. Les mensualités restant dues de l'emprunt souscrit pour l'acquisition de l'appartement appartenant à Mme C... s'élevaient à 1 009,30 euros. Enfin, si, en application des dispositions de l'article 382 quater de l'annexe II au code général des impôts, le demandeur d'une décharge d'obligation solidaire de payer, présentée sur le fondement des dispositions de l'article 1691 bis du code général des impôts, ne peut soumettre au juge des pièces justificatives autres que celles qu'il a déjà produites à l'appui de la demande qu'il a présentée au directeur départemental des finances publiques, l'administration ne conteste pas que le montant des charges mensuelles supportées par la requérante pouvait être évalué, à la date de sa demande, à la somme de 726,89 euros, ainsi qu'elle l'a d'ailleurs fait devant les premiers juge. Dans ces conditions, Mme C... est fondée à soutenir qu'il existe une disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale, qui s'élève à 495 040,64 euros et, à la date de présentation de sa demande de décharge d'obligation solidaire de payer, sa situation financière et patrimoniale, nette de charges et, qu'ainsi, elle remplissait la condition à laquelle les dispositions précitées du 2. du II de l'article 1691 bis du code général des impôts subordonnent le bénéfice de la décharge de cette obligation.
6. En troisième lieu, il résulte de l'instruction, et il n'est d'ailleurs pas contesté, que Mme C... s'est conformée à ses obligations déclaratives, conformément aux dispositions du 3. du II de l'article 1691 bis du code général des impôts, à compter de la date de la fin de la période au titre de laquelle elle était soumise à une imposition commune avec son ancien époux.
7. En quatrième lieu, l'administration fait valoir que, le 1er juillet 2004, Mme C..., qui était mariée sous le régime de la séparation de biens et ne disposait d'aucun revenu personnel, a fait l'acquisition en son nom propre, pour le prix de 206 500 euros, d'un appartement où le couple qu'elle formait alors avec son ancien époux a établi sa résidence principale avec leurs deux enfants. Cette acquisition a été financée au moyen d'un prêt bancaire de 93 000 euros souscrit par Mme C... et pour lequel son ancien époux s'est porté caution solidaire et d'un apport constitué par la somme de 76 654 euro figurant sur un plan d'épargne logement qu'elle avait souscrit ainsi que, pour le surplus, par des fonds provenant de membres de la famille et d'un proche de Mme C.... Par ailleurs, l'administration fait valoir que l'ex-époux de Mme C..., qui exerçait une activité indépendante d'agent commercial, a été condamné, par un jugement du tribunal de grande instance de Senlis en date du 9 janvier 2014, rendu après l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire de son entreprise personnelle, à l'interdiction de diriger, gérer, administrer et contrôler une entreprise, au motif notamment qu'il avait détourné une partie de l'actif de son entreprise au profit de plusieurs personnes dont faisait partie la requérante. L'administration relève, en outre, dans ses écritures, que l'ancien époux de la requérante a également été condamné, par un jugement du tribunal correctionnel de Senlis en date du 7 janvier 2015, à une peine d'emprisonnement délictuel de six mois, assortie du sursis, pour des faits de banqueroute par dissimulation ou détournement d'actif et pour s'être " volontairement et frauduleusement soustrait à l'établissement et au paiement total de l'impôt sur le revenu en s'abstenant de souscrire la déclaration des bénéfices non commerciaux et la déclaration d'ensemble des revenus au titre des années 2009 et 2010 ". Il résulte de la qualification donnée par ces deux juridictions aux faits retenus à l'encontre de l'ex-époux de Mme C..., en l'absence d'éléments contraires apportés par la requérante, que celui-ci a ainsi tenté d'échapper au paiement de ses dettes, notamment fiscales.
8. Toutefois, d'une part, il ne peut être déduit de ces jugements, dont l'un sanctionne des agissements de l'ancien mari de la requérante dont l'ancienneté n'est pas précisée et dont l'autre se rapporte à des faits commis par celui-ci plusieurs année après l'acquisition par Mme C..., au cours de l'année 2004, du bien immobilier affecté à la résidence principale de la famille, que cette acquisition aurait été destinée à permettre à Mme C... et à son ex-époux de se soustraire au paiement des cotisations d'impôt sur le revenu susceptibles d'être assignées à leur foyer fiscal au titre des années 2007 à 2012. D'autre part, la circonstance qu'en l'absence de revenus personnels perçus par Mme C..., cette acquisition aurait en réalité été financée par son ancien époux dans une proportion significative, notamment par le versement par celui-ci sur le compte bancaire de la requérante, jusqu'en décembre 2012, des sommes nécessaires pour acquitter les mensualités de l'emprunt qu'elle avait souscrit, ne suffit pas à faire regarder cette dernière comme s'étant livrée avec lui à des manoeuvres destinées à échapper au paiement de ces impositions. A cet égard, il n'est pas allégué par l'administration que la demande de divorce formée par les époux le 30 mai 2012 aurait en réalité procédé de manoeuvres visant à rendre plus difficile le recouvrement de l'impôt. Enfin, la circonstance que la demande de décharge d'obligation solidaire présentée par la requérante, qui a nécessairement pour objet d'éviter le paiement par elle de l'impôt, ferait obstacle à la procédure de saisie immobilière portant sur le bien considéré, alors mise en oeuvre par l'administration, ne caractérise pas l'existence d'une manoeuvre frauduleuse. Il s'ensuit que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration, pour justifier la décision du 2 septembre 2015 refusant de lui accorder le bénéfice de la décharge de l'obligation solidaire de payer la somme en cause, lui oppose l'existence de manoeuvres frauduleuses.
9. En cinquième lieu, il résulte des dispositions du a) du 2. du II de l'article 1691 bis du code général des impôts que, pour l'impôt sur le revenu, la décharge est égale à la différence entre le montant de la cotisation d'impôt sur le revenu établie pour la période d'imposition commune et la fraction de cette cotisation correspondant aux revenus personnels du demandeur et à la moitié des revenus communs du demandeur et de son conjoint ou de son partenaire de pacte civil de solidarité. Dès lors qu'il est constant que Mme C... ne percevait aucun revenu durant la période d'imposition commune au titre de laquelle le paiement de la somme de 495 040,64 euros lui est réclamée, elle est fondée à demander la décharge de son obligation solidaire de payer l'intégralité de cette somme.
10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à la décharge de l'obligation solidaire de payer la somme de 495 040,64 euros.
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais, non compris dans les dépens, exposés par Mme C... dans le cadre de la présente instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1503194 du 7 décembre 2017 du tribunal administratif d'Amiens est annulé.
Article 2 : Il est accordé à Mme C... la décharge de l'obligation solidaire de payer la somme de 495 040,64 euros, correspondant, d'une part, à la cotisation primitive d'impôt sur le revenu à laquelle le foyer fiscal qu'elle formait avec son ex-époux a été assujetti au titre de l'année 2009 et, d'autre part, aux cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ce foyer fiscal a été assujetti au titre des années 2007 à 2012.
Article 3 : L'Etat versera à Mme C... la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et au ministre délégué chargé des comptes publics.
Copie en sera adressée à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
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No18DA00293