Procédure devant la cour :
Par un recours enregistré le 7 septembre 2018, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de remettre à la charge de la SAS Wobook les impositions supplémentaires et les pénalités dont elle a été déchargée par le tribunal administratif de Lille, à hauteur de la somme totale de 246 901 euros ;
3°) d'ordonner à la SAS Wobook de procéder au remboursement de la somme de 1 500 euros mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Binand, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Arruebo-Mannier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société par actions simplifiée Wobook, qui exerce une activité d'édition numérique, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration a remis en cause l'éligibilité au crédit d'impôt recherche de son projet MyLib et lui a assigné, par une proposition de rectification, en date du 10 octobre 2013, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre de l'année 2010 et de l'année 2011 ainsi que des rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour la période comprise entre le 1er janvier 2010 et le 31 décembre 2010, à hauteur d'un montant total de 246 901 euros en droits et pénalités. Par un jugement du 18 juillet 2018, dont le ministre de l'action et des comptes publics relève appel, le tribunal administratif de Lille a déchargé la SAS Wobook de ces impositions et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur le motif de décharge retenu par le jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 48 du livre des procédures fiscales : " A l'issue (...) d'une vérification de comptabilité, lorsque des rectifications sont envisagées, l'administration doit indiquer, avant que le contribuable présente ses observations ou accepte les rehaussements proposés, dans la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 (...), le montant des droits, taxes et pénalités résultant de ces rectifications. Lorsqu'à un stade ultérieur de la procédure de rectification contradictoire l'administration modifie les rehaussements, pour tenir compte des observations et avis recueillis au cours de cette procédure, cette modification est portée par écrit à la connaissance du contribuable avant la mise en recouvrement, qui peut alors intervenir sans délai. / (...) ".
3. La nature de la procédure contradictoire de rectification implique que les notifications de redressements adressées par l'administration au contribuable soient suffisamment motivées pour permettre à l'intéressé de formuler utilement ses observations. Le caractère suffisamment motivé d'une notification de redressements s'apprécie, en principe, par rapport au document adressé par l'administration au contribuable. Il appartient à ce dernier, s'il entend contester l'envoi effectif des feuillets mentionnés dans la notification de redressement, d'apporter tous éléments justifiant son affirmation.
4. Devant le tribunal administratif de Lille, la SAS Wobook faisait valoir que la proposition de rectification, en date du 10 octobre 2013, ne comportait pas les conséquences financières de la rectification issue de la vérification de sa comptabilité, de sorte qu'elle n'avait pas été en mesure de présenter utilement ses observations. Pour estimer que la procédure d'imposition était entachée d'une irrégularité à ce titre, les premiers juges ont relevé que la proposition de rectification produite devant eux par la demanderesse comportait seulement 9 pages imprimées, alors que le document produit par l'administration comprenait 18 pages imprimées en recto verso, incluant un tableau récapitulatif du montant des droits, taxes et pénalités résultant des rectifications envisagées. Ils ont déduit tant de la mention portée sur la première page des deux versions de la proposition de rectification, annonçant que ce document comportait 9 feuilles, que de la présentation formelle de la neuvième page se terminant par un point concluant un paragraphe intitulé " conséquences ", que la SAS Wobook avait légitimement pu penser que le document qu'elle avait reçu était complet sans même s'enquérir d'éventuels feuillets manquants.
5. Toutefois, en présence, ainsi qu'il a été dit, d'un envoi annonçant 9 feuilles, il appartient à la SAS Wobook d'apporter des éléments justifiant qu'elle n'a reçu que les 9 pages imprimées qu'elle a produites devant le tribunal, ce qu'elle ne fait pas, en l'espèce, en se bornant à soutenir devant les premiers juges, par assimilation du nombre de feuilles à celui des pages imprimées, que ce document lui apparaissait complet. Par suite, et dès lors que, conformément aux prescriptions de l'article L. 48 du livre des procédures fiscales, la proposition de rectification adressée au contribuable par l'administration comporte l'ensemble des conséquences financières des redressements envisagés, le tribunal administratif de Lille ne pouvait décharger pour ce motif la SAS Wobook des suppléments d'imposition contestés par celle-ci.
6. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SAS Wobook devant le tribunal administratif de Lille et devant elle.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
7. Aux termes de l'article L. 45 B du livre des procédures fiscales : " La réalité de l'affectation à la recherche des dépenses prises en compte pour la détermination du crédit d'impôt défini à l'article 244 quater B du code général des impôts peut, sans préjudice des pouvoirs de contrôle de l'administration des impôts qui demeure seule compétente pour l'application des procédures de rectification, être vérifiée par les agents du ministère chargé de la recherche et de la technologie. / Un décret fixe les conditions d'application du présent article. ". Aux termes de l'article R. 45 B-1 du même livre, dans sa rédaction applicable : " I. - La réalité de l'affectation à la recherche des dépenses prises en compte pour la détermination du crédit d'impôt mentionné à l'article 244 quater B du code général des impôts est vérifiée soit par un agent dûment mandaté par le directeur général pour la recherche et l'innovation, soit par un délégué régional à la recherche et à la technologie ou un agent dûment mandaté par ce dernier. / L'intervention des agents du ministère chargé de la recherche peut résulter soit d'une initiative de ce ministère, soit d'une demande de l'administration des impôts dans le cadre d'un contrôle ou d'un contentieux fiscal. / II. - Dans le cadre de cette procédure, l'agent chargé du contrôle de la réalité de l'affectation à la recherche des dépenses déclarées envoie à l'entreprise contrôlée une demande d'éléments justificatifs. L'entreprise répond dans un délai de trente jours, éventuellement prorogé de la même durée à sa demande. L'entreprise joint à sa réponse les documents nécessaires à l'expertise de l'éligibilité des dépenses dont la liste est précisée dans la demande d'éléments justificatifs (...) / L'agent chargé du contrôle peut envoyer à l'entreprise contrôlée une demande d'informations complémentaires à laquelle celle-ci doit répondre dans un délai de trente jours. / Si les éléments fournis par l'entreprise en réponse à cette demande ne permettent pas de mener l'expertise à bien, l'agent chargé du contrôle peut envoyer à l'entreprise contrôlée une seconde demande d'informations à laquelle celle-ci doit répondre dans un délai de trente jours. Dans ce délai, l'entreprise a la faculté de demander un entretien afin de clarifier les conditions d'éligibilité des dépenses. (...) / III.- L'avis sur la réalité de l'affectation des dépenses à la recherche est émis par les agents chargés du contrôle au vu de la réponse de l'entreprise à la demande d'éléments justificatifs qui lui a été adressée, des documents mentionnés au II, et, le cas échéant, des réponses aux demandes d'informations complémentaires et des éléments recueillis à l'occasion des échanges avec l'entreprise lors de l'entretien dans les locaux de l'administration ou de la visite sur place. / (...) ".
8. En premier lieu, ces dispositions n'imposaient pas à l'administration, contrairement à ce que soutient la SAS Wobook, d'engager avec elle un débat oral et contradictoire sur la réalité de cette affectation, ni davantage au vérificateur d'engager un tel débat sur le rapport établi par les agents du ministère chargé de la recherche. L'administration est seulement tenue d'assurer un caractère contradictoire au contrôle qu'elle diligente et d'en notifier les résultats à l'entreprise, ce qui a été fait en l'espèce.
9. En deuxième lieu, la SAS Wobook fait valoir que l'expert chargé du contrôle de la réalité de l'affectation à la recherche des dépenses déclarées, saisi le 26 mars 2013, ne lui a pas, en méconnaissance du II de l'article R. 45 B-1 du livre des procédures fiscales, envoyé de demande d'éléments justificatifs, et que l'avis défavorable émis le 18 juin 2013 qui lui a été transmis a ainsi été rendu sur la base d'éléments lacunaires, de sorte que la procédure d'imposition est, à ce titre, entachée d'irrégularité.
10. Toutefois, s'il est vrai que cet avis, au vu des éléments de l'instruction, n'a pas été précédé d'une demande de production d'éléments justificatifs, et que la proposition de rectification du 10 octobre 2013 notifie les redressements litigieux au vu de ce seul avis, il résulte toutefois de l'instruction que la SAS Wobook a communiqué spontanément au service vérificateur, le 25 novembre 2013, à l'occasion des observations qu'elle a présentées, des éléments justificatifs relatifs au projet MyLib et que, par courrier du 20 janvier 2014 répondant à ces observations, la société a été informée que ces compléments avaient été transmis à l'expert aux fins d'une nouvelle expertise et que les rectifications n'étaient maintenues que dans cette attente. Le second rapport d'expertise, également défavorable, a été transmis à la société et a conduit l'administration à confirmer le redressement, le 4 février 2014, avant la mise en recouvrement au mois de novembre suivant des suppléments d'imposition en litige. Dès lors, la SAS Wobook, qui n'adresse aucune critique quant au caractère contradictoire de cette seconde expertise rendue à partir de l'ensemble des éléments détaillés qu'elle avait elle-même produits pour justifier de l'éligibilité des dépenses du projet MyLib au crédit d'impôt recherche, n'a pas été privée de la garantie procédurale prévue à l'article R. 45 B-1 du livre des procédures fiscales.
11. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que la SAS Wobook a fait valoir, dans ses observations faisant suite à la proposition de rectification, que le nouveau dossier technique qu'elle présentait permettait d'établir la conformité du projet MyLib aux conditions d'éligibilité au crédit d'impôt recherche et demandait, en conséquence, un nouvel avis technique. L'administration, en indiquant, d'une part, qu'elle sollicitait un nouvel avis sur la base des justificatifs produits, d'autre part, qu'elle maintenait le redressement mais qu'elle réexaminerait sa position à la réception de cet avis, a apporté une réponse suffisamment motivée à ces observations, au regard des exigences de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales.
Sur le bien-fondé des impositions :
12. En vertu de l'article 49 septies F de l'annexe III au code général des impôts que sont considérées comme opérations de recherche scientifique et technique au sens des dispositions du II de l'article 244 quater B de ce code ouvrant droit au crédit d'impôt recherche, outre les activités de recherche fondamentale et de recherche appliquée, les activités ayant le caractère d'opérations de développement expérimental et que n'ont pas ce caractère les opérations qui n'ont pas pour but la production de nouveaux systèmes ou leur amélioration substantielle, mais se bornent à une simple utilisation de l'état des techniques existantes et ne présentent aucun caractère de nouveauté.
13. Il résulte de l'instruction, et notamment du dossier technique produit par la SAS Wobook devant les premiers juges, que le projet MyLib vise à permettre l'accès des utilisateurs, à partir d'appareils multimédias et de systèmes d'exploitation diversifiés, à des contenus d'édition numérique enrichis. Aux termes du second avis technique de l'expert du ministère de la recherche, auquel la SAS Wobook n'apporte pas de contradiction circonstanciée, ce projet " est un développement logiciel certes sur la vague du web et du cloud computing mais mettant en oeuvre des technologies connues présentes dans les livres grand public de développement de logiciels dédiés à ces plateformes IOS et Android ou mises à disposition dans des librairies open source ". L'expert relève, plus précisément, que " l'état de l'art " réalisé est limité, qu'aucune démarche de recherche destinée à lever les éventuels verrous technologiques en matière de compression de données n'est proposée et que le projet repose sur des technologies et un modèle économique déjà mis en oeuvre dans les librairies de données open source essentiellement destinées au grand public. Dès lors, au regard des caractéristiques de ce projet, c'est à bon droit que l'administration a estimé qu'il ne pouvait être regardé comme une opération de recherche scientifique et technique au sens l'article 49 septies F de l'annexe III au code général des impôts et a, pour ce motif, remis en cause son éligibilité au crédit d'impôt recherche.
Sur les pénalités :
14. En premier lieu, aux termes du II de l'article 1727 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable : " L'intérêt de retard n'est pas dû : / (...) / 2. Au titre des éléments d'imposition pour lesquels un contribuable fait connaître, par une indication expresse portée sur la déclaration ou l'acte, ou dans une note annexée, les motifs de droit ou de fait qui le conduisent à ne pas les mentionner en totalité ou en partie, ou à leur donner une qualification qui entraînerait, si elle était fondée, une taxation atténuée, ou fait état de déductions qui sont ultérieurement reconnues injustifiées ; (...) ".
15. La SAS Wobook soutient que les indications portées sur le formulaire CERFA n°2069 qu'elle a déposé afin d'obtenir le remboursement du crédit d'impôt recherche constituent l'indication expresse des motifs l'ayant conduite à donner à ces dépenses la qualification d'opérations de recherche, de sorte que les rappels de droits qui lui sont assignés à raison de la remise en cause de cet avantage fiscal ne peuvent être assortis de l'intérêt de retard. Toutefois, la demande de remboursement d'un crédit d'impôt recherche présentée sur le fondement des dispositions de l'article 199 ter B du code général des impôts constitue une réclamation au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales et ne peut donc être regardée comme une déclaration, un acte ou une note annexée, au sens et pour l'application des dispositions précitées du II de l'article 1727 du code général des impôts. Par suite, le moyen doit être écarté.
16. En second lieu, il ressort des termes mêmes de la proposition de rectification que le vérificateur y a indiqué de manière suffisamment précise les motifs de droit et les considérations de fait sur lesquelles sont fondées les majorations, dont sont assortis les redressements en litige, infligées à la SAS Wobook en application, respectivement, de l'article 1727 du code général des impôts pour les rappels de taxe sur la valeur ajoutée et de l'article 1731 de ce code pour le crédit d'impôt recherche.
17. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a déchargé la SAS Wobook des impositions contestées par cette société et a en conséquence mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, le versement d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par suite, il y a lieu, d'annuler ce jugement et de rétablir les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et les rappels de taxe sur la valeur ajoutée assignés à la SAS Wobook. En revanche, dès lors que le ministre tient de l'article 11 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique le pouvoir d'émettre, le cas échéant, un ordre de recouvrement à l'effet d'obtenir le reversement de sommes dont une personne est redevable envers l'Etat, les conclusions du recours du ministre de l'action et des comptes publics tendant à ce qu'il soit prescrit à la SAS Wobook de reverser la somme mise à la charge de l'Etat par les premiers juges au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont irrecevables et ne peuvent, dès lors, qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 18 juillet 2018 du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : Les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à la charge de la SAS Wobook au titre des années 2010 et 2011 et les rappels de taxe sur la valeur ajoutée réclamés au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2010, ainsi que les pénalités correspondantes, sont remis à sa charge.
Article 3 : La demande de la SAS Wobook devant le tribunal administratif de Lille et le surplus des conclusions du recours du ministre de l'action et des comptes publics devant la cour sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre délégué chargé des comptes publics et à la société par actions simplifiée Wobook.
Copie en sera transmise à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.
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N°18DA01845