Par une requête, enregistrée le 28 juillet 2020, M. B..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande ;
2°) d'annuler l'arrêté du 19 septembre 2019 en tant que, par cet arrêté, le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive n° 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Binand, président assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant roumain né le 20 juin 1973, est entré en France muni de sa carte d'identité roumaine en cours de validité. Il a été interpellé, le 19 septembre 2019, par les services de la police aux frontières de Lille dans le cadre d'une opération de contrôle d'identité. Par un arrêté du 19 septembre 2019, le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit de circuler sur le territoire français pendant une durée d'un an. Par un jugement du 28 janvier 2020, le tribunal administratif de Lille, faisant droit à la demande du préfet du Nord tendant à ce que soit substitué au fondement légal initial de la décision portant obligation de quitter le territoire français, tiré exclusivement des dispositions du 2° de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, celui tiré de l'application des dispositions du 1° de ce même article, a annulé cet arrêté en tant qu'il porte interdiction de circulation sur le territoire français pendant une durée d'un an et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. B.... Ce dernier relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
2. Aux termes de l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, tout citoyen de l'Union européenne (...) a le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'il satisfait à l'une des conditions suivantes : / 1° S'il exerce une activité professionnelle en France ; / 2° S'il dispose pour lui et pour les membres de sa famille tels que visés au 4° de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, ainsi que d'une assurance maladie ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 121-4 de même code : " Tout citoyen de l'Union européenne (...) ou les membres de sa famille qui ne peuvent justifier d'un droit au séjour en application de l'article L. 121-1 ou de l'article L. 121-3 ou dont la présence constitue une menace à l'ordre public peut faire l'objet, selon le cas, d'une décision de refus de séjour, d'un refus de délivrance ou de renouvellement d'une carte de séjour ou d'un retrait de celle-ci ainsi que d'une mesure d'éloignement prévue au livre V. ". Aux termes de l'article L. 121-4-1 du même code : " Tant qu'ils ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale, les citoyens de l'Union européenne (...) ainsi que les membres de leur famille tels que définis aux 4° et 5° de l'article L. 121-1, ont le droit de séjourner en France pour une durée maximale de trois mois, sans autre condition ou formalité que celles prévues pour l'entrée sur le territoire français. ". Enfin, aux termes de l'article L. 511-3-1 du même code : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne (...) à quitter le territoire français lorsqu'elle constate : / 1° Qu'il ne justifie plus d'aucun droit au séjour tel que prévu par les articles L. 121-1, L. 121-3 ou L. 121-4-1 ; / (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que l'autorité préfectorale peut obliger un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne à quitter le territoire français dans le cas où il constate que l'intéressé séjourne en France depuis plus de trois mois sans interruption et ne justifie plus d'aucun droit au séjour. Il incombe toutefois à l'administration, en cas de contestation sur la durée du séjour d'un citoyen de l'Union européenne dont elle a décidé l'éloignement, de faire valoir les éléments sur lesquels elle se fonde pour considérer qu'il ne remplit plus les conditions pour séjourner en France. L'administration peut, notamment, s'appuyer sur les déclarations préalablement faites par l'intéressé. Il appartient alors à l'étranger qui demande l'annulation de cette décision d'apporter tout élément de nature à en contester le bien-fondé, selon les modalités habituelles de l'administration de la preuve.
4. En premier lieu il ressort des pièces du dossier et des motifs mêmes de l'arrêté contesté que le préfet du Nord, pour estimer que M. B..., ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, séjournait en France depuis une durée supérieure à trois mois, qu'il n'exerçait aucune profession, ni ne disposait davantage de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assurance sociale, s'est fondé sur les déclarations faites par l'intéressé à l'occasion de son audition par les services de police le 19 septembre 2019. Ainsi, il ressort des motifs mêmes de l'arrêté contesté que le préfet du Nord a procédé à un examen personnalisé de la situation de l'intéressée au regard du droit au séjour. Par suite, le moyen tiré par M. B... du défaut d'examen particulier de sa situation doit être écarté.
5. En deuxième lieu, d'une part, il ressort des termes mêmes de l'arrêté attaqué que, ainsi qu'il a été indiqué précédemment, le préfet du Nord, pour estimer que M. B... séjournait en France depuis une durée supérieure à trois mois, s'est fondé sur les déclarations faites par l'intéressé à l'occasion de son audition par les services de police le 19 septembre 2019. Il ressort du procès-verbal de cette audition, versé au dossier par le préfet du Nord, que le requérant a déclaré être présent en France depuis sept mois, y vivre depuis le mois de février 2019, n'avoir jamais fait l'objet d'un retour volontaire en Roumanie et ne pas vouloir y retourner. M. B... soutient à nouveau en cause d'appel qu'il a effectué, durant ces sept mois, trois aller-retours entre la France et la Roumanie afin de rendre visite à son épouse et ses enfants restés en Roumanie. Toutefois, et alors que, contrairement à ce qu'il allègue, il lui appartient d'établir la réalité de ces déplacements, l'intéressé n'assortit cette allégation, par ailleurs peu circonstanciée, d'aucune pièce probante de nature à justifier la réalité des voyages allégués. Ainsi, ces déclarations, eu égard à leur caractère contradictoire et en l'absence de toute justification, ne permettent pas d'établir que M. B... aurait séjourné en France depuis moins de trois mois à la date de l'arrêté contesté. Dès lors, l'intéressé doit être regardé comme séjournant en France depuis plus de trois mois à la date de la décision contestée. Il en résulte que, ainsi que les premiers juges l'ont indiqué à juste titre, l'éloignement de M. B... est susceptible de trouver son fondement légal dans les dispositions du 1° de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicable à l'étranger qui ne justifie d'aucun droit au séjour.
6. D'autre part, il ressort des motifs mêmes de l'arrêté contesté que le préfet du Nord, a relevé notamment que l'intéressé n'exerçait aucune activité professionnelle, ce que M. B... ne conteste pas sérieusement devant les premiers juges ni en cause d'appel. Par ailleurs, le préfet a également relevé que l'intéressé n'apportait pas la preuve qu'il aurait disposé de revenus propres afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale français. Or, si M. B... fait valoir que le préfet du Nord n'établit pas qu'il serait une charge pour le système d'assistance sociale français, il n'établit pas exercer une activité professionnelle alors, en outre, qu'il ressort du procès-verbal d'audition du 19 septembre 2019 que l'intéressé a déclaré être sans domicile fixe et vivre dans un camp de fortune. Ainsi, M. B... ne justifie disposer d'un droit au séjour ni sur le fondement du 1° de L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ni sur celui du 2° de cet article. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté du 19 septembre 2019 du préfet du Nord, en tant qu'il lui fait obligation de quitter le territoire français, méconnaît les dispositions du 1° de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. En troisième lieu, eu égard à la situation de M. B... exposée au point précédent, les moyens tirés de l'erreur de fait et de l'erreur d'appréciation dont l'arrêté serait entaché, en tant qu'il fait obligation pour l'intéressé de quitter le territoire français, doivent être écartés.
Sur le refus d'accorder un délai de départ volontaire :
8. Le préfet du Nord a fait valoir, devant les premiers juges, que M. B... entrait dans le champ d'application des dispositions du 1° ou du 2°de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que la situation de précarité dans laquelle il se trouvait constituait, dans l'un ou l'autre cas, une situation d'urgence justifiant de ne pas lui accorder un délai de départ volontaire pour quitter le territoire français.
9. D'une part, la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 détermine notamment les conditions dans lesquelles les Etats membres peuvent restreindre la liberté de circulation et de séjour d'un citoyen de l'Union européenne ou d'un membre de sa famille. En vertu du 1. de l'article 27 de cette directive, ces restrictions sont susceptibles d'être fondées sur des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, à la condition que ces motifs ne soient pas invoqués à des fins économiques. L'article 30 de cette directive prévoit que le délai imparti par une décision par laquelle un Etat-membre fait obligation, en application de ces dispositions, à un citoyen de l'Union européenne ou à un membre de sa famille de quitter son territoire ne peut être inférieur à un mois, sauf en cas d'urgence dûment justifié. En outre, l'article 15 de cette directive dispose que les garanties procédurales prévues à l'article 30 s'appliquent par analogie à toute décision limitant la libre circulation d'un citoyen de l'Union ou des membres de sa famille prise pour des raisons autres que d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. Ainsi, il résulte de cette directive qu'un citoyen de l'Union européenne, ou un membre de sa famille, doit disposer d'un délai d'un mois pour quitter le territoire d'un Etat membre, quels que soient les motifs qui fondent la décision d'éloignement prise à son encontre, hormis le cas où cette décision est justifiée par une situation d'urgence.
10. D'autre part, aux termes de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui a notamment pour objet d'assurer la transposition de la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004, applicable dans la présente affaire : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse, ou un membre de sa famille à quitter le territoire français lorsqu'elle constate : / 1° Qu'il ne justifie plus d'aucun droit au séjour tel que prévu par les articles L. 121-1, L. 121-3 ou L. 121-4-1 ; / 2° Ou que son séjour est constitutif d'un abus de droit. Constitue un abus de droit le fait de renouveler des séjours de moins de trois mois dans le but de se maintenir sur le territoire alors que les conditions requises pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois ne sont pas remplies. Constitue également un abus de droit le séjour en France dans le but essentiel de bénéficier du système d'assistance sociale ; / 3° Ou que son comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société. / L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à sa situation, notamment la durée du séjour de l'intéressé en France, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle en France, et de l'intensité de ses liens avec son pays d'origine. / L'étranger dispose, pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, d'un délai qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à trente jours à compter de sa notification (...) ".
11. La notion d'urgence prévue par les dispositions de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être interprétée à la lumière des objectifs de la directive du 29 avril 2004 et, notamment, de ses articles 15 et 30 mentionnés au point 8. Aussi, il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'urgence à éloigner sans délai de départ volontaire un citoyen de l'Union européenne ou un membre de sa famille doit être appréciée par l'autorité préfectorale, au regard du but poursuivi par l'éloignement de l'intéressé et des éléments qui caractérisent sa situation personnelle, sous l'entier contrôle du juge de l'excès de pouvoir.
12. En l'espèce, en se bornant à invoquer la situation de précarité de M. B... pour refuser de lui accorder un délai de départ volontaire pour quitter le territoire français, le préfet du Nord ne fait état d'aucune circonstance suffisant à caractériser une situation d'urgence au sens des dispositions de l'article L. 511-3-1 code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile interprétées à la lumière des objectifs de la directive du 29 avril 2004, au regard du but qu'il a poursuivi en prononçant l'éloignement de l'intéressé, à savoir tirer les conséquences de l'absence de son droit au séjour ou du caractère abusif de celui-ci à la date de l'arrêté attaqué. Dans ces conditions, le préfet du Nord, en refusant d'accorder un délai de départ volontaire à M. B... pour quitter le territoire français, a entaché sa décision d'erreur d'appréciation. Il s'ensuit, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés à l'appui des conclusions à fin d'annulation de la décision refusant d'accorder à l'intéressé un délai de départ volontaire, que M. B... est fondé à demander l'annulation de cette décision.
Sur la décision fixant le pays de destination :
13. M. B... ne peut utilement invoquer, par la voie de l'exception, l'illégalité de la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire pour quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination dès lors que cette décision ne constitue pas la base légale de la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de la décision, contenue dans l'arrêté du 19 septembre 2019, par laquelle le préfet du Nord a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire pour quitter le territoire français et à demander, dans cette mesure, l'annulation de cet arrêté. Enfin, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme que le conseil de M. B... demande sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1908173 du 28 janvier 2020 du tribunal administratif de Lille est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. B... tendant à l'annulation de la décision, contenue dans l'arrêté du 19 septembre 2019, refusant de lui accorder un délai de départ volontaire pour quitter le territoire français.
Article 2 : L'arrêté du 19 septembre 2019 du préfet du Nord est annulé en tant qu'il refuse d'accorder à M. B... un délai de départ volontaire pour quitter le territoire français.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et à Me C....
Copie en sera adressée au préfet du Nord.
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N°20DA01099