Par une requête, enregistrée le 30 juillet 2020, Mme B..., représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande ;
2°) d'annuler l'arrêté du 8 août 2019 en tant que, par cet arrêté, le préfet du Nord a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire pour quitter le territoire français et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Binand, président assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... B..., ressortissante roumaine née le 29 décembre 1981, est entrée en France munie de sa carte d'identité roumaine en cours de validité. Elle a été interpellée, le 8 août 2019, par les services de la police aux frontières de Lille dans le cadre d'une opération de contrôle d'identité. Par un arrêté du 8 août 2019, le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit de circuler sur le territoire français pendant une durée d'un an. Par un jugement du 12 mars 2020, le tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté en tant qu'il porte interdiction de circulation sur le territoire français pendant une durée d'un an et a rejeté le surplus des conclusions de la demande de Mme B.... Cette dernière relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande et demande l'annulation de l'arrêté du 8 août 2019 en tant que, par cet arrêté, le préfet du Nord a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire pour quitter le territoire français et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.
Sur le refus d'accorder un délai de départ volontaire :
2. Aux termes de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse, ou un membre de sa famille à quitter le territoire français lorsqu'elle constate : / (...) / 3° (...) que son comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société. / (...) / L'étranger dispose, pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, d'un délai qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à trente jours à compter de sa notification (...) ".
3. Il ressort des termes de l'arrêté contesté que, pour estimer qu'il y avait urgence à éloigner Mme B... du territoire français, le préfet du Nord s'est fondé sur la menace à l'ordre public que représente la présence de celle-ci sur le territoire français en indiquant qu'elle était défavorablement connue des services de police et de justice pour des faits de vol et d'utilisation frauduleuse de moyens de paiement en avril 2019. Toutefois, ces éléments ne sont assortis d'aucune pièce permettant de les tenir pour établis alors, d'ailleurs, qu'il ressort du procès-verbal d'audition établi par les services de police le 8 août 2019 que Mme B... a déclaré ne pas être connue par les services de police. En conséquence, l'arrêté du 8 août 2019, en tant qu'il refuse d'accorder un délai de départ volontaire à Mme B..., est, conformément à ce que celle-ci soutient, entaché d'une erreur d'appréciation en ce qu'il est fondé sur la menace à l'ordre public que constituerait sa présence sur le territoire français.
4. Le préfet du Nord fait toutefois valoir que la situation de précarité dans laquelle Mme B... se trouvait ainsi que l'ensemble de sa famille constituait une situation d'urgence justifiant de ne pas lui accorder un délai de départ volontaire pour quitter le territoire français. Ce faisant, il doit être regardé comme soutenant que celle-ci entrait dans le champ d'application des dispositions du 1° et du 2° de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. D'une part, la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 détermine notamment les conditions dans lesquelles les Etats membres peuvent restreindre la liberté de circulation et de séjour d'un citoyen de l'Union européenne ou d'un membre de sa famille. En vertu du 1. de l'article 27 de cette directive, ces restrictions sont susceptibles d'être fondées sur des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, à la condition que ces motifs ne soient pas invoqués à des fins économiques. L'article 30 de cette directive prévoit que le délai imparti par une décision par laquelle un Etat-membre fait obligation, en application de ces dispositions, à un citoyen de l'Union européenne ou à un membre de sa famille de quitter son territoire ne peut être inférieur à un mois, sauf en cas d'urgence dûment justifié. En outre, l'article 15 de cette directive dispose que les garanties procédurales prévues à l'article 30 s'appliquent par analogie à toute décision limitant la libre circulation d'un citoyen de l'Union ou des membres de sa famille prise pour des raisons autres que d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. Ainsi, il résulte de cette directive qu'un citoyen de l'Union européenne, ou un membre de sa famille, doit disposer d'un délai d'un mois pour quitter le territoire d'un Etat membre, quels que soient les motifs qui fondent la décision d'éloignement prise à son encontre, hormis le cas où cette décision est justifiée par une situation d'urgence.
6. D'autre part, aux termes de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui a notamment pour objet d'assurer la transposition de la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004, applicable dans la présente affaire : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse, ou un membre de sa famille à quitter le territoire français lorsqu'elle constate : / 1° Qu'il ne justifie plus d'aucun droit au séjour tel que prévu par les articles L. 121-1, L. 121-3 ou L. 121-4-1 ; / 2° Ou que son séjour est constitutif d'un abus de droit. Constitue un abus de droit le fait de renouveler des séjours de moins de trois mois dans le but de se maintenir sur le territoire alors que les conditions requises pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois ne sont pas remplies. Constitue également un abus de droit le séjour en France dans le but essentiel de bénéficier du système d'assistance sociale ; / (...) / L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à sa situation, notamment la durée du séjour de l'intéressé en France, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle en France, et de l'intensité de ses liens avec son pays d'origine. / L'étranger dispose, pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, d'un délai qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à trente jours à compter de sa notification (...) ".
7. La notion d'urgence prévue par les dispositions de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être interprétée à la lumière des objectifs de la directive du 29 avril 2004 et, notamment, de ses articles 15 et 30 mentionnés au point 3. Aussi, il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'urgence à éloigner sans délai de départ volontaire un citoyen de l'Union européenne ou un membre de sa famille doit être appréciée par l'autorité préfectorale, au regard du but poursuivi par l'éloignement de l'intéressé et des éléments qui caractérisent sa situation personnelle, sous l'entier contrôle du juge de l'excès de pouvoir.
8. En l'espèce, en se bornant à invoquer la situation de précarité de Mme B... pour refuser de lui accorder un délai de départ volontaire pour quitter le territoire français, le préfet du Nord ne fait état d'aucune circonstance suffisant à caractériser une situation d'urgence au sens des dispositions de l'article L. 511-3-1 code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile interprétées à la lumière des objectifs de la directive du 29 avril 2004, au regard du but qu'il a poursuivi en prononçant l'éloignement de l'intéressée, à savoir tirer les conséquences du caractère abusif de son droit au séjour à la date de l'arrêté attaqué. Dans ces conditions, le préfet du Nord, en refusant d'accorder un délai de départ volontaire à Mme B... pour quitter le territoire français, a entaché sa décision d'erreur d'appréciation.
9. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision, que la décision, contenue dans l'arrêté du 8 août 2019 du préfet du Nord, refusant d'accorder à Mme B... un délai de départ volontaire pour quitter le territoire français doit être annulée.
Sur la décision fixant le pays de destination :
10. En premier lieu, Mme B... ne peut utilement invoquer, par la voie de l'exception, l'illégalité de la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire pour quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination dès lors que cette décision ne constitue pas la base légale de la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.
11. En second lieu, aux termes du dernier alinéa de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
12. Mme B... fait état de risques encourus par elle en cas de retour dans son pays d'origine en raison de son appartenance à la communauté des Roms. Toutefois, en se bornant à se prévaloir, à l'appui de ses allégations, de rapports internationaux décrivant de façon générale la situation de cette communauté en Roumanie, Mme B... n'établit pas être exposée de manière personnelle, certaine et actuelle, à des menaces quant à sa vie ou sa liberté. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que le préfet du Nord aurait, par la décision contestée, méconnu les dispositions précitées de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation de la décision, contenue dans l'arrêté du 8 août 2019, par laquelle le préfet du Nord a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire pour quitter le territoire français et à demander, dans cette mesure, l'annulation de cet arrêté. Enfin, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme que le conseil de Mme B... demande sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1906844 du 12 mars 2020 du tribunal administratif de Lille est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de Mme B... tendant à l'annulation de la décision, contenue dans l'arrêté du 8 août 2019, refusant de lui accorder un délai de départ volontaire pour quitter le territoire français.
Article 2 : L'arrêté du 8 août 2019 du préfet du Nord est annulé en tant qu'il refuse d'accorder à Mme B... un délai de départ volontaire pour quitter le territoire français.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B..., au ministre de l'intérieur et à Me A....
Copie en sera adressée au préfet du Nord.
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N°20DA01140