Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 novembre 2019, M. B..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 6 juin 2017 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ;
3°) d'enjoindre au directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, à titre principal, de lui reconnaître la qualité d'apatride, dans un délai de quatre mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa demande, dans le même délai et sous la même astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
------------------------------------------------------------------------------------------------------
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention relative au statut des apatrides, conclue à New York le 28 septembre 1954 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Jean-Philippe Arruebo-Mannier, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., qui indique être né le 18 septembre 1976 à Ivanivka, ville située dans la région de Lougansk, alors incluse dans le territoire de l'Union des républiques socialistes soviétiques et désormais située en République d'Ukraine, est entré en France, selon ses déclarations, à la fin de l'année 2001, après avoir vécu habituellement en Ukraine jusqu'en 2000. S'étant maintenu sur le territoire français en ayant recours à une identité usurpée et ayant obtenu, sous cette identité, en 2004, une autorisation de séjour renouvelée jusqu'en 2006, ainsi qu'une autorisation de travail, M. B... a entrepris de régulariser sa situation et a formé à cette fin, sous sa véritable identité, le 29 octobre 2014, une demande d'asile, qui a été rejetée par une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 14 septembre 2015 confirmée le 3 mars 2016 par la Cour nationale du droit d'asile. Le 6 octobre 2016, il a sollicité la reconnaissance de la qualité d'apatride. M. B... relève appel du jugement du 12 septembre 2019 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, de la décision du 6 juin 2017 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides refusant de lui reconnaître cette qualité.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En vertu des dispositions de l'article L. 9 du code de justice administrative, les jugements doivent être motivés. Ces dispositions impliquent, à peine d'irrégularité, que les jugements comportent le visa des moyens soulevés par le requérant et, dans leurs motifs, une réponse expresse à ceux de ces moyens qui ne sont pas inopérants, fondée sur les considérations de fait et de droit de nature à la justifier. En revanche, ces dispositions n'imposent pas au juge de répondre à l'ensemble des arguments développés au soutien de ces moyens, ni de se livrer à une présentation exhaustive de l'ensemble des éléments de fait et de droit caractérisant la situation du requérant.
3. Si M. B... a soutenu, devant les premiers juges, qu'il se trouvait, en raison de la situation régnant dans sa région d'origine, dans l'impossibilité de mener des démarches fructueuses afin de se voir reconnaître la nationalité ukrainienne, cette assertion constituait un argument au soutien des moyens, invoqués par lui devant le tribunal administratif, tirés de l'erreur de fait et de l'erreur d'appréciation dont serait entachée la décision du 6 juin 2017 par laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides lui a refusé la reconnaissance de la qualité d'apatride. Or, il ressort des motifs du jugement attaqué que le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à l'ensemble des arguments développés devant lui, a donné, au point 5 de ce jugement, une réponse suffisante à ces deux moyens.
4. Il ressort du point 6 du jugement attaqué que, pour écarter le moyen tiré par M. B... de ce que le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides n'avait pu légalement lui opposer le motif tiré de l'utilisation frauduleuse d'une identité d'emprunt pendant plusieurs années, le tribunal administratif a estimé que cette autorité aurait pris la même décision si elle ne s'était pas fondée sur ce motif. En tenant ce raisonnement, après avoir retenu, au point 5 du jugement, que M. B... n'établissait pas avoir engagé en vain des demandes répétées et assidues auprès des autorités ukrainiennes et russes en vue de se voir reconnaître la nationalité ukrainienne ou russe et que ce constat justifiait légalement la décision lui refusant la reconnaissance de la qualité d'apatride, les premiers juges ont nécessairement estimé que le motif tiré de l'utilisation frauduleuse d'une identité d'emprunt n'avait pas été déterminant dans l'appréciation, à laquelle le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides s'était livré, de la situation de M. B... et ont mis ce dernier suffisamment à même de contester ce raisonnement en appel.
5. Pour écarter l'invocation, par M. B..., des dispositions de la loi du 18 janvier 2001 relative à la citoyenneté ukrainienne, selon lesquelles un ressortissant ukrainien absent depuis plus de quinze ans du territoire national " est considéré comme décédé ", laquelle invocation n'était, en réalité, qu'un argument au soutien des moyens tirés de l'erreur de fait et de l'erreur d'appréciation dont procéderait le motif tenant à l'absence de démarches répétées et assidues dans le but de se voir reconnaître une nationalité, le tribunal administratif a pu, en l'absence d'identification précise des dispositions invoquées par le requérant, se limiter à énoncer, au point 5 du jugement attaqué, que M. B... n'établissait pas entrer dans le champ d'application du texte dont il prétendait relever.
6. Enfin, il ressort des motifs du jugement attaqué que le tribunal administratif, en se fondant sur les considérations de droit et de fait utiles aux motifs qu'il a énoncés, a apporté une réponse suffisante aux moyens qui lui étaient soumis. Dès lors qu'ils n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments invoqués par M. B..., les premiers juges ont pu se dispenser de reprendre les allégations de M. B... afférentes aux circonstances dans lesquelles il aurait été amené à quitter l'Ukraine et à utiliser une identité d'emprunt, de même que d'expliciter l'évolution de la situation politique de ce pays et de ses relations diplomatiques avec la communauté internationale.
7. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 6 que le jugement attaqué est suffisamment motivé et qu'il n'est, par suite, pas entaché sur ce point d'une irrégularité de nature à en justifier l'annulation.
Sur la légalité de la décision contestée :
8. Aux termes de l'article L. 812-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La qualité d'apatride est reconnue à toute personne qui répond à la définition de l'article 1er de la convention de New York, du 28 septembre 1954, relative au statut des apatrides. Ces personnes sont régies par les dispositions applicables aux apatrides en vertu de cette convention. ". Aux termes des stipulations de l'article 1er de la convention relative au statut des apatrides, conclue à New York le 28 septembre 1954 : " 1. Aux fins de la présente Convention, le terme " apatride " désigne une personne qu'aucun Etat ne considère comme son ressortissant par application de sa législation. / (...) ".
9. Il ressort des motifs de la décision contestée que, pour refuser de reconnaître à M. B... la qualité d'apatride, le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a retenu que l'intéressé, ancien ressortissant d'un Etat de l'Union soviétique, et qui était né sur ce qui est désormais le territoire de l'Ukraine, était devenu ukrainien par l'effet de la loi du 18 janvier 2001 relative à la citoyenneté ukrainienne, pour résider de manière permanente sur le territoire ukrainien au 24 août 1991, date de la déclaration d'indépendance de l'Ukraine, qu'il avait d'ailleurs affirmé s'être vu délivrer un passeport intérieur temporaire ukrainien après sa majorité et qu'aucun élément ne permettait d'établir que cette nationalité lui aurait été retirée. Le directeur général de l'Office a également relevé, dans la décision contestée, que M. B... n'avait pas initié la moindre démarche auprès des autorités ukrainiennes en vue d'obtenir un document d'identité ou de se voir confirmer la nationalité ukrainienne entre la date de son arrivée en France, en 2002, et la date du dépôt de sa demande d'asile, en 2014, et qu'il ne s'était pas expliqué sur cette abstention. Enfin, le directeur général a retenu que M. B... n'avait pas contesté avoir effectué un bref retour en Ukraine et n'avait pas démontré l'accomplissement, en cette occasion, de démarches sérieuses, notamment à l'égard des autorités centrales de son pays, et que, par ailleurs, l'intéressé avait frauduleusement fait usage de faux document et vécu plusieurs années sur le territoire français sous couvert d'une identité d'emprunt.
10. M. B... soutient avoir fui l'Ukraine à la fin de l'année 2000 afin de se soustraire aux fausses accusations de vol proférées à son encontre par son employeur, qui, ayant obtenu l'appui de la police locale, lui aurait soustrait ses papiers d'identité ukrainiens. Il ajoute que cette situation a pu légitimement lui faire craindre la perspective d'un retour en Ukraine et que, depuis son arrivée en France, après avoir transité par la Pologne et l'Allemagne, la situation politique de son pays, en particulier de la région de Lougansk, dont il est originaire, a connu un changement notable, dès lors que, le 27 avril 2014, la République populaire de Lougansk a été proclamée par les séparatistes pro-russes qui occupent cette région. Il indique avoir, dans ce contexte, saisi les autorités ukrainiennes par l'intermédiaire des services de l'ambassade d'Ukraine en France et produit la copie de la réponse qui lui a été apportée par ces autorités, le 3 avril 2017, selon laquelle celles-ci n'exercent plus aucun contrôle sur les services administratifs de la région de Lougansk et ne peuvent, dès lors, obtenir communication des archives détenues par ceux-ci, ni, par suite, confirmer sa nationalité. Toutefois, en se prévalant seulement de la démarche qu'il a ainsi accomplie, vraisemblablement au début de l'année 2017, auprès des autorités ukrainiennes et de l'impossibilité, dans laquelle se trouvent actuellement ces autorités, de donner une quelconque suite à cette démarche, M. B... ne conteste pas utilement le motif, retenu par le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides pour rejeter sa demande de reconnaissance de la qualité d'apatride, selon lequel il n'a effectué aucune diligence auprès des autorités ukrainiennes entre la date de son arrivée en France, qu'il situe à présent à la fin de l'année 2001, et le dépôt de sa demande d'asile, à la fin de l'année 2014. Il n'apporte pas davantage d'explication convaincante à cette abstention. M. B... ne peut, à cet égard, invoquer les troubles qui ont précédé la proclamation, le 27 avril 2014, de la République populaire de Lougansk, pour expliquer qu'il n'ait accompli aucune démarche afin d'obtenir la confirmation de sa nationalité durant les treize années durant lesquelles il a résidé habituellement en France avant cette date. Il ne peut davantage invoquer les craintes, que lui aurait inspirées un retour en Ukraine, liées aux accusations que son employeur aurait proférées à son endroit avant son départ de ce pays en 2000, allégations au soutien desquelles il n'apporte aucun élément, alors d'ailleurs que, pour confirmer le rejet de sa demande d'asile, la Cour nationale du droit d'asile a estimé qu'aucun élément tangible ne permettait d'admettre qu'il ait effectivement été l'objet de telles accusations. Dès lors, en fondant notamment sa décision sur l'absence de démarche de la part de M. B... entre la date de son entrée en France et celle du dépôt de sa demande d'asile, le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, qui, s'est livré à un examen suffisamment approfondi de la situation de M. B..., n'a pas tenu compte de faits matériellement inexacts.
11. Ainsi qu'il vient d'être dit, M. B... n'invoque aucune circonstance de nature à justifier qu'il n'ait effectué aucune démarche auprès des autorités ukrainiennes avant d'avoir formé sa demande d'asile en 2014 et justifie seulement avoir saisi ces autorités d'une demande de reconnaissance de sa nationalité au début de l'année 2017. S'il indique avoir également effectué une démarche auprès des autorités russes, la copie d'un courrier dactylographié daté du 4 avril 2017, rédigé en français, non signé et non accompagné d'une quelconque preuve d'envoi, ne peut suffire à justifier d'une saisine effective de ces autorités. Enfin, M. B... invoque le bénéfice de dispositions de la loi du 18 janvier 2001 relative à la citoyenneté ukrainienne selon lesquelles un ressortissant ukrainien absent depuis plus de quinze ans du territoire national serait " considéré comme décédé ". Toutefois, d'une part, il ne conteste aucunement être retourné, fût-ce clandestinement, en Ukraine en 2014, de sorte qu'il ne peut sérieusement soutenir qu'étant entré en France en 2001, il aurait été absent du territoire ukrainien durant plus de quinze années ; d'autre part, il n'allègue pas que les dispositions qu'il invoque lui auraient effectivement été opposées. Dès lors, M. B... n'est, en tout état de cause, pas fondé à se prévaloir de ces dispositions pour soutenir qu'il lui serait juridiquement impossible, du fait de sa longue absence du territoire ukrainien, d'obtenir une confirmation de sa nationalité. En conséquence, pour estimer que M. B... n'établissait aucunement avoir saisi les autorités ukrainiennes, en vue d'obtenir un document d'identité ou de se voir confirmer sa nationalité ukrainienne, entre son arrivée en France et la date du dépôt de sa demande d'asile en 2014, ni ne s'était expliqué sur cette abstention, et qu'il n'établissait pas davantage avoir, depuis lors, accompli des démarches sérieuses auprès des autorités centrales de son pays, lesquels motifs suffisaient à justifier légalement la décision de refus de reconnaissance de la qualité d'apatride, le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides n'a pas entaché sa décision d'une erreur de droit ni davantage d'une erreur dans l'appréciation de la situation de M. B....
12. Enfin, si le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a également retenu un motif tiré de l'utilisation frauduleuse d'une identité d'emprunt pendant plusieurs années alors qu'un tel motif n'est pas au nombre de ceux qui peuvent légalement fonder un refus de reconnaissance de la qualité d'apatride, il ne ressort pas des pièces du dossier que ce motif aurait revêtu un caractère déterminant dans l'appréciation à laquelle cette autorité s'est livrée avant de prendre la décision en litige, fondée principalement sur l'absence de justification par M. B... de démarches significatives auprès des autorités ukrainiennes, ni que le directeur général de l'Office aurait pris une autre décision s'il n'avait pas pris en compte de telles circonstances. Il suit de là que le moyen tiré, sur ce point, de l'erreur de droit ne peut qu'être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte et celles qu'il présente au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.
1
4
N°19DA02475